Au fil des jours
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Publication : mars 2019
Mise en ligne : 29 mai 2019
L’insupportable irréalisme du présent
Dans le premier article d’une série qu’il publie sur le post-capitalisme et la société, le journaliste britannique Paul Mason souligne l’urgence d’un nouveau modèle économique. Pour lui, ce qui caractérise notre présent c’est le sentiment envahissant de l’irréalisme de nos “élites” : les discours actuels ne sont plus considérés comme des guides d’action, les lois ne sont pas appliquées et les règlements sont ignorés. Il donne deux symboles de cet irréalisme mondial : la dette publique des États-Unis et le changement climatique, auquel le monde ne se prépare pas.
• La dette américaine
Ayant augmenté de 2.000 milliards de dollars depuis l’investiture de D. Trump, la dette publique des États-Unis vient d’atteindre un nouveau sommet histotrique en franchissant la barre des 22.000 milliards de dollars. À la différence de ce qui s’est passé pendant la seconde guerre mondiale, il n’y a pas de plan réaliste - ni même d‘intention affirmée – de réduire cet endettement. Pour la première fois dans l’histoire du capitalisme industriel, une des plus grandes économies mondiales aura accumulé en temps de paix des dettes qu’elle ne sait pas réduire de façon vraisemblable : en effet au cours des 30 prochaines années, le PNB américain passerait de 20 à 65 trillions (milliers de milliards) de dollars et sa dette croîtrait comme un champignon de 16 à 97 trillons de dollars. Selon les prévisions du Congressional Budget Office (CBO), le déficit se maintiendrait autour de 8% par an, ce qui constituerait une forte incitation pour les économistes classiques à exiger une austérité d’un niveau insoutenable dans l’Amérique d’aujourd’hui. Cela impliquerait en effet que le peuple américain accepte un effondrement de son niveau de vie et que le monde continue à accepter la monnaie papier que les États-Unis continueraient à émettre pour sortir de leur insolvabilité.
• Le changement climatique
Un simple coup d’œil sur la carte du GIEC souligne l’indispensable réduction des émissions de CO2 au cours des prochaines 20 ou 35 années si l’on veut éviter un changement climatique catastrophique et incontrôlable. Pour atteindre ce but, le GIEC estime qu’il faut procéder à une transition énergétique rapide et de grande envergure dans les villes, les campagnes, les industries, les transports, … ce qui implique un fort accroissement des investissements dans ces domaines.
• Une question stratégique capitale pour l’humanité : l’état d’impréparation des pays lourdement endettés du monde développé pour trouver les ressources nécessaires à ces transformations. À cela s’ajoute la question certainement encore plus importante : sommes-nous préparés à détruire l’influence politique des industries du pétrole fossile et de celles des industries financières ?
Tant qu’on n’aura pas répondu à ces questions, nous continuerons à perpétuer la culture de l’irréalisme !
Le PIB, une mauvaise mesure
Ça n’est pas nouveau mais il faut insister ! Il y a une dizaine d’années, la Commission Internationale sur la mesure des performances économiques et du progrès social présidée par J. Stiglitz, “prix Nobel” d’économie, publiait un rapport que l’on peut résumer en disant que le PIB n’est pas une bonne mesure du bien–être. Car les mesures du PIB sont polarisées sur la production de marchandises et non pas sur la santé, l’enseignement et l’environnement. Or ce que l’on mesure affecte ce que l’on fait et si nous ne mesurons pas ce qu’il faut, nous faisons des erreurs : les mesures déformées du PIB nous rendent matérialistes.
L’ouvrage eut un très bon succès et déclencha un mouvement international de la société civile, d’universitaires et de gouvernements, pour imaginer et utiliser des mesures qui élargissent la conception de bien-être. L’OCDE a conçu un “Indice pour une vie meilleure”, comportant une série de mesures qui rendent mieux compte de ce qui constitue le bien-être et qui permettent d’y parvenir. Elle a aussi soutenu la création d’une nouvelle commission pour succéder à la Commission Stiglitz, “Le Groupe d’experts de haut niveau pour la mesure des performances académiques et du progrès social”.
Stiglitz lui même vient de revenir sur le sujet avec la publication récente de La mondialisation et ses mécontents. Il y montre comment le FMI et d’autres grandes institutions telles que la Banque Mondiale et les accords commerciaux mondiaux ont souvent porté préjudice aux pays en développement qu’ils sont censés aider. Dans la récente mise à jour de cet ouvrage, avec une nouvelle introduction, de nouveaux chapitres et une nouvelle postface sur l’évolution de la mondialisation, sans oublier la montée de Donald Trump, Stiglitz décrit les nouveaux mécontentements aux États-Unis et dans le reste du monde.