Indésirables, les Amis de la Terre !
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Mise en ligne : 31 janvier 2010
Avant le sommet de Copenhague, le spécialiste, au sein des Amis de la Terre, de la finance privée Yann LOUVEL, voulait participer à une conférence organisée par l’Association des MArchés Financiers (AMAFI) dont le programme l’intéressait particulièrement. L’accès lui en a été interdit. Dans un billet d’humeur (publié sur le net) et dont voici l’essentiel, il se demandait : Pourquoi ?
Une belle conférence, réunissant tout le gratin de la finance carbone française, avait lieu le 19 novembre. Enfin, belle sur le papier, car je n’ai malheureusement pas pu aller le vérifier, l’entrée m’en a été interdite ! Mise à l’écart désagréable qui s’explique peut-être par les récentes études des Amis de la Terre qui dénoncaient les dérives que prennent les marchés carbone. Le risque, en effet, n’est pas mince puisqu’on pourrait se retrouver d’ici quelques années avec la situation suivante : des grandes entreprises et des banquiers, courtiers, traders pleins aux as et... pas de réelles réductions des émissions de gaz à effet de serre !!!
Tous les acteurs français de la finance carbone étaient donc réunis. …Au programme : panorama des marchés du carbone, présentation et pratiques de marchés, retours d’expériences d’acteurs du secteur et le plus intéressant : discussion sur les “nouveaux marchés” à venir et sur les “enjeux de la conférence de Copenhague” concernant ces marchés carbone ! Bref, du lourd !
Arrivée cordiale, stand d’accueil habituel, mon inscription est enregistrée, mon badge est déjà fait, tout semble parfaitement se dérouler... Mais finalement, non, je ne suis plus vraiment le bienvenu à cette conférence : elle a un succès si énorme qu’il faut bien donner la priorité aux membres de l’AMAFI ! Les ONG, ça passe après ! …Je temporise, je fais remarquer que beaucoup de personnes s’inscrivent à ce type de conférence mais ne viennent pas, qu’il devrait bien rester quelque place où je pourrais m’installer... mais non ! Un des directeurs de l’AMAFI vient m’expliquer doctement qu’il est vraiment désolé pour ce matin mais que non, ce ne sera pas possible, qu’ils attendent une affluence énorme de dernière minute, que la salle sera pleine à craquer et que bon, pour des raisons de sécurité incendie, forcément... mais que nous pouvons nous rencontrer plus tard pour évoquer ensemble les sujets de notre choix... ! Après une heure, on vient me confirmer … qu’on ne peut pas faire grand’chose pour moi de peur de “perdre son poste”... Bigre, voilà qui est clair ! On me raccompagne jusqu’à la porte. Bref, l’élégance naturelle des financiers a été rompue et les bonnes manières entre gentlemen en ont pris un coup.
En deux ans de campagne sur les acteurs financiers privés, aux Amis de la Terre, c’est la première fois qu’on me refuse l’accès à une conférence !… Sans être parano, ça ressemble quand même furieusement à une mise à l’écart et à une réduction au silence délibérées. Pour quelles raisons ? Serait-ce à cause des derniers rapports publiés par les Amis de la Terre sur les marchés carbone, dont on attend monts et merveilles pour résoudre la crise climatique, et qui seront un des enjeux-clés des négociations à venir de Copenhague ? En effet, les Amis de la Terre étatsuniens, dans “Subprime Carbon” et dans “Simpler, Smaller and More Stable”, mettent en garde les membres du Congrès, en train d’élaborer leur futur marché du carbone, sur le besoin de régulation très sévère, à la fois financière et environnementale, pour éviter que tout le système ne parte en vrille et qu’on se retrouve avec des crédits carbone pourris dont la valeur financière s’effondrerait... et qui ne réduiraient pas les émissions de gaz à effet de serre ! Ce que vient confirmer plus récemment le rapport des Amis de la Terre anglais “Dangerous obsession” qui rappelle qu’il existe d’autres alternatives aux marchés carbone, ce que tout le monde a une fâcheuse tendance à oublier !
Oui mais voilà, les alternatives risquent d’être un peu moins payantes pour les traders et autres courtiers des marchés carbone. À leurs oreilles, “taxe”, “régulation”, “planification”, “réglementation”, sonnent beaucoup moins bien que “marchés” et “commissions” ! ça sonne surtout moins “bling, bling” ! Or des alternatives qui rapportent moins et qui ne font pas tourner le business, ça fait aussi moins “croissance verte”, n’est-ce pas ?
Les banquiers auraient pourtant tout intérêt à ce que le système des marchés de quota fonctionne bien comme il faut, pour qu’ils continuent de faire du fric, non ? Euh ben non, pas vraiment ! Un courtier achète et vend des produits financiers, quels qu’ils soient, avec un seul objectif : en vendre toujours plus, puisqu’il touche une commission sur chaque transaction ! Alors, que ce soit des actions, des obligations ou des crédits carbone, il s’en tamponne le coquillard ! Et qu’il y ait de l’eau dans le gaz avec ces crédits carbone et des petits problèmes d’intégrité environnementale, ce n’est pas vraiment son problème ! On a vu ce que ça donnait avec les subprimes ! Autant le dire simplement : les intérêts des acteurs financiers et des grandes entreprises vont fondamentalement à l’encontre de toute régulation, et on peut leur faire confiance pour faire dérailler tout processus politique allant dans ce sens, grâce à leurs réseaux bien implantés jusqu’au sommet de l’État, en passant par Bercy. Alors on comprend la frilosité de l’AMAFI face à toute mise en garde de la part d’associations. C’est si triste de remettre en cause les espoirs placés dans ce “nouveau marché prometteur en pleine expansion”...