La voie communaliste

Réflexion
par  F. CHATEL
Publication : février 2023
Mise en ligne : 21 mai 2023

François Chatel, à travers l’histoire des communautés montre que les expérimentations d’une société s’éloignant d’un capitalisme destructeur et inégalitaire finissent par être réprimées afin de maintenir les pouvoirs en place.

Que faire d’un système qui nous conduit à notre perte et auquel nous contribuons malgré tout et malgré nous  ? Le capitalisme n’est la fin de l’histoire que si on veut bien le croire. Montrer qu’un autre monde est possible, c’est s’opposer à l’illusion à laquelle veulent nous plonger les tenants du libéralisme économique, c’est ouvrir une autre voie certainement plus profitable de façon à commencer à bouger le rapport de force, et apporter une solution sociale et respectueuse de l’environnement face au totalitarisme des solutions technologiques, et à l’individualisme réducteur.

Proposer autre chose à nos descendants qu’un monde dominé par un système mortifère, injuste et destructeur, nous amène à nous réinventer et oser le changement réfléchi, avant d’être contraint à la maladresse ou à l’obéissance dans un état d’urgence. L’ensemble des contestataires du système qui lutte pour plus d’égalité sociale et de valeurs écologistes, humanistes et libertaires, ne peut plus se contenter d’être dans l’opposition politique devenue inefficace, mais créer concrètement ce changement que l’on désire ici et maintenant, à la fois politique, social et économique. Quelques communes de France, d’Italie et d’ailleurs, fatiguées de "l’enfumage" politique, et de la gestion technocratique de l’État, se sont lancées dans l’aventure de la démocratie directe et de la coopération, dans le passé et le présent.

 LA GRANDE QUESTION

La grande question que l’on peut se poser consiste à savoir pourquoi on peut constater autant de répressions très dures contre toute tentative de mise en place d’une économie et d’une politique communalistes libertaires, basées sur la coopération et la collaboration  ? La persistance depuis le xixe siècle d’une chasse systématique contre toute initiative concrète de collectivisme indépendant de l’État interroge. Les exemples abondent. De même, tout théoricien ou militant en faveur d’une gestion collective non étatique, politique et productiviste est poursuivi, souvent incarcéré et persécuté tel un dangereux délinquant.

Cette répression brutale et systématique révèle la crainte et la menace que représentent ces mouvements libertaires pour les systèmes étatiques qui, de ce fait, confirment leur collusion toxique avec les privilégiés de l’économie capitaliste. Ces mouvements font peur car leur mise en place réduit et menace le pouvoir des gouvernants à la solde des oligarchies, elles-mêmes remises en cause par les valeurs appliquées et transmises par ces mouvements.

L’histoire témoigne des réactions implacables infligées à ces mouvements par à la fois, d’une part les prétendues démocraties capitalistes, et d’autre part les régimes étatiques totalitaires. Comment ne pas en déduire que les persécuteurs se rejoignent en faveur du capitalisme et de l’exploitation des peuples  ? Par exemple, lors de la guerre civile d’Espagne, comment ne pas souligner le rôle agressif des États fascistes italien et allemand, ambigu de l’Angleterre et de la France, déloyal et également agressif de la part de l’U.R.S.S. par l’intermédiaire du PCE (parti communiste espagnol)  ?

 HISTORIQUE DU MOUVEMENT COMMUNALISTE LIBERTAIRE

Depuis les origines de l’humanité, à l’image des Inuits, des Pygmées, des Guaranis, des Santals, des Tivs, des Piaroas ou des Mérinas, de nombreuses sociétés ont fonctionné parfois depuis des millénaires, sans autorité politique (État ou police), ou suivant des pratiques revendiquées par l’anarchisme comme l’autonomie, l’association volontaire, l’auto-organisation, l’aide mutuelle ou la démocratie directe. [1]

Les premières expressions d’une philosophie libertaire peuvent être trouvées dans le taoïsme et le bouddhisme. Au taoïsme, l’anarchisme emprunte l’idéal collectiviste et une critique de l’État  ; au bouddhisme, l’individualisme libertaire, la recherche de l’accomplissement personnel et le rejet de la propriété privée. [2]

Le communalisme libertaire prend ses racines dans l’anarchisme qui regroupe plusieurs courants de philosophie politique, développés depuis le xixe siècle sur un ensemble de théories et de pratiques anti-autoritaires, basées sur la démocratie directe et ayant la liberté individuelle comme valeur fondamentale. Le terme libertaire est souvent utilisé comme synonyme d’anarchiste. L’anarchisme milite pour que l’élaboration des lois émane directement du peuple, qu’elle soit directement votée par lui et que son application soit sous contrôle de ce dernier, en décernant par vote ou tirage au sort des mandats impératifs qui délèguent le pouvoir à une organisation ou un individu (avec révocation possible), en vue de mener une action définie dans la durée et avec un objectif défini, selon des modalités précises, auxquelles il ne peut déroger. Le mandat impératif s’oppose au mandat représentatif.

De nos jours, compte tenu des considérations écologiques qui viennent s’ajouter aux nécessaires réorientations politiques, l’anarchisme social s’oriente vers le communalisme libertaire, et l’écologie sociale, décrits par Murray Bookchin. [3]

Avant de poursuivre, et pour éviter toute confusion, il apparaît nécessaire de faire le point sur la différence entre le libéralisme et le mouvement libertaire. Le libéralisme repose sur le capitalisme pur, sur l’idée que le rôle du marché est précisément de récompenser par le profit l’entrepreneur, sur l’idée que la croissance économique réalisée grâce à la liberté d’entreprendre et à la libre concurrence se traduit par une baisse des prix et une hausse de la qualité inéluctables, qui profitent au plus grand nombre. Il reconnaît aux individus la possibilité de posséder, voire d’accumuler sans limite, des biens qui sont le résultat de leur travail et de leurs efforts. La philosophie libérale s’inscrit dans une logique de prédation  : les individus se concurrencent pour accéder aux terres, aux ressources et aux biens. Ils se livrent à une course à l’innovation, à l’amélioration de la rentabilité des techniques d’extraction, d’exploitation et de production, afin d’accéder à une place préférentielle sur le marché de la consommation, ce qui conduit à une accumulation de capital toujours plus importante. Les libéraux s’inscrivent donc dans une logique économique clairement capitaliste, les différences sociales étant vues comme légitimes, puisque fondées sur le travail et le talent de chacun. En conséquence, le droit de propriété est considéré comme primordial pour garantir l’expression de l’entreprenariat, considéré comme bénéfique pour tous. Le libéral réclame la réduction du rôle de l’État afin de garantir sa liberté, mais se satisfait de son intervention lorsque la "santé" économique le met en difficulté. C’est pourquoi toute une stratégie d’influences (lobbying, corruption, propagande médiatique…) est mise en place afin que l’État se justifie vis-à-vis des électeurs, en affirmant l’importance des entreprises privées pour l’emploi, la croissance et le pouvoir d’achat de chacun.

La philosophie libertaire prône aussi la liberté individuelle la plus étendue possible, notamment par la résistance à toute forme d’autorité (l’État, les grandes entreprises, l’Église, etc.). Mais cette liberté est comprise comme une autonomie qui va déterminer en qualité et en quantité l’engagement de l’individu pour le collectif. D’où l’importance de rendre favorable l’échange entre l’individu et la collectivité. Les libertaires considèrent la liberté non pas comme un système séparateur et individualiste, mais comme une valeur collective, base de la fraternité et du vivre-ensemble, un moyen d’aller en pleine conscience vers les autres, de se porter volontaire pour la coopération et l’entraide, vers lesquelles l’humain est naturellement porté selon Kropotkine. [4]

Les libertaires et les libéraux ont en commun le fait qu’ils prônent la réduction du rôle de l’État mais les libertaires en appellent à le transformer en une assemblée nationale tenue à un rôle d’exécutif des directives rapportées par les assemblées régionales et communales.

Le mouvement libertaire s’apparente à l’anarchisme social par le refus de toute autorité venant d’en haut ou de l’extérieur, en proclamant l’autogestion et la démocratie directe. Rappelons qu’anarchisme ne signifie pas "désordre", mais au contraire prône l’existence d’un ordre sans autorité. Au contraire des libéraux, les libertaires considèrent que «  la propriété, c’est le vol   » (Proudhon) et qu’elle représente la spoliation de ceux qui n’y ont pas accès.

Dans la logique libérale, la Nature est vue comme un ensemble de ressources à exploiter. Par conséquent, les libéraux s’opposent à toute tentative de réglementation environnementale, qu’ils voient comme un risque pesant sur leur liberté d’entreprendre. À l’inverse, la philosophie libertaire prône la coopération entre les individus et l’harmonie avec la Nature. Le bien-être acquis par l’équilibre entre individu et société, par la production collective et la distribution des richesses selon les nécessités des membres de la communauté, dans le respect de l’intégrité environnementale, supplante alors le bien-être par la technologie et la consommation.

Les grands principes du communalisme libertaire  : 
 – Opposition à l’État et à tout gouvernement autoproclamé.
 – Opposition à la propriété privée des moyens de production, mais non contre celle relative à l’usage. Gestion des entreprises collectivisées et des communs par les employés et les assemblées citoyennes.
 – Laïcité proclamée. 

– Pour l’égalité politique et économique entre hommes et femmes. 

– Pour l’abolition du salariat et pour la distribution d’un revenu universel égalitaire. 

– En faveur des assemblées citoyennes et de l’élection ou le tirage au sort de représentants pour une durée limitée et révocables à tout moment. Les lois et les projets sont décidés par les citoyens réunis en assemblées communales ou de quartier. Les représentants sont chargés de transmettre les décisions aux assemblées régionales et au-delà ou d’appliquer celles qui concernent la commune. 

– Pour la libre participation individuelle aux œuvres collectives.

Le propos de cet article n’est pas de détailler les modes d’application de ces principes et leurs conséquences sur la vie individuelle et sociale. Ce qui a été largement entrepris dans de nombreux articles de la Grande Relève. Ces principes rejoignent ceux exposés par Jacques et Marie-Louise Duboin au sujet de l’Économie Distributive, et pourraient même s’en enrichir notamment au sujet de la monnaie, sa fabrication, sa distribution et son utilisation.

 LA RÉPRESSION ENVERS TOUTE TENTATIVE COMMUNALISTE

 La Commune de Paris

La Commune est à la fois le rejet d’une capitulation de la France face aux prussiens dirigés par Bismarck lors de la guerre de 1870, et la conséquence du siège de Paris du 18 mars au 28 mai 1871. C’est une révolte du Paris républicain, favorable à la démocratie directe contre une Assemblée nationale à majorité monarchiste acquise au régime représentatif. L’historien Jacques Rougerie ajoute comme autre cause à l’insurrection des Parisiens, une conséquence des travaux haussmanniens qui fait de la Commune une «  tentative de réappropriation populaire de l’espace urbain   ». Paris, alors, choisit d’ébaucher pour la ville une organisation de type libertaire, fondée sur la démocratie directe, qui donnera naissance au communalisme.

Le Gouvernement de Paris se proclame "Commune libre" et appelle à l’abolition de l’État et à son remplacement par une Fédération libre, administrée par des délégués élus sur la base du mandat impératif, et révocables à tout moment. Cette orientation fait écho aux propositions de Proudhon lors de la Révolution de 1948 et à l’action de Bakounine, quelques mois auparavant lors de la Commune de Lyon, elle aussi réprimée brutalement.

La Commune met en pratique des idées libertaires  : suppression de l’armée permanente et de la conscription  ; élection des fonctionnaires au suffrage universel sur base du mandat impératif (les élus sont révocables à tout moment par leurs électeurs et reçoivent exactement le même salaire que les travailleurs)  ; gestion des ateliers nationaux par les associations ouvrières sous forme de coopératives  : union libre, égalité absolue des droits entre hommes et femmes et amorce d’égalité des salaires  ; proclamation de la laïcité de l’enseignement, les signes religieux sont enlevés des salles de classe  ; etc.

Avec la complicité des prussiens qui libèrent 60 000 soldats français, une armée de 130 000 hommes entraînés est reconstituée par Thiers pour mettre fin à l’insurrection de Paris. Après les combats à partir du 21 mars, la "semaine sanglante" du 21 au 28 mai se solde par une répression terrible qui fera environ 20 000 victimes.

 La Révolution russe de 1917

Voline a vécu la Révolution d’Octobre 1917 à laquelle il a activement participé. Il décrit comment, dès le début de 1918, les bolcheviks engagent la répression contre les anarchistes, dépossèdent les prérogatives autogestionnaires des soviets et mettent en place un pouvoir totalitaire. Ce fut le système dirigé par Lénine et Trotsky qui prépara le terrain pour le stalinisme.

La peur des anarchistes et de leur politique libertaire s’accompagne d’une répression sans faiblesse de la part des dirigeants. La grande majorité des insurrections populaires lors d’une défectuosité momentanée du pouvoir, s’accompagnent d’une volonté de coopération et de mise en place d’une politique communaliste. Comme quoi les peuples recherchent avant tout la paix, l’égalité, le partage et l’autogestion. Cependant, les forcenés du pouvoir par la propagande et l’attribution de privilèges, parviennent à leurs fins en constituant une force destinée à la soumission des réfractaires. Deux exemples montrent la férocité développée en Russie à l’encontre des communautés libertaires établies spontanément.

 L’insurrection des marins de Kronstadt

Le 1er mars 1921, les marins, soldats et ouvriers de Kronstadt, y compris de nombreux communistes déçus par la direction du gouvernement bolchevik, exigent une série de réformes et rejoignent les revendications des ouvriers de Petrograd en grève  : élections libres, liberté de la presse et de réunion, suppression des réquisitions et rétablissement du marché libre, comme celui de la démocratie directe ouvrière et paysanne.

Le 5 mars, soit deux jours avant que le bombardement de Kronstadt commence, un groupe d’anarchistes menés par Emma Goldman et Alexandre Berkman se proposent comme intermédiaires pour faciliter les négociations entre rebelles et gouvernement. Mais ce geste est ignoré par les bolcheviks.

Le 6 mars, des délégués envoyés par Kronstadt pour expliquer les demandes sont directement envoyés en prison. Condamnés, ils seront fusillés deux semaines plus tard dans le cadre de la répression de l’insurrection.

Le 8 mars, les insurgés de Kronstadt écrivent : «  Il est clair que le parti communiste russe n’est pas le défenseur des travailleurs qu’il prétend être. Les intérêts des travailleurs lui sont étrangers. S’étant emparé du pouvoir, il n’a plus qu’une seule crainte  : le perdre, et c’est pourquoi il croit que tous les moyens lui sont bons  : calomnie, violence, fourberie, assassinat, vengeance sur la famille des rebelles. Les travailleurs ne veulent pas de sang. Ils ne le verseront que réduits à l’autodéfense. […] Les ouvriers et les paysans ne cessent d’aller de l’avant, laissant derrière eux l’Assemblée constituante et son régime bourgeois, la dictature communiste, sa Tchéka et son capitalisme d’État » [5].

Une intense campagne de propagande est lancée pour isoler les marins. Le 4 mars, le blocus de Kronstadt est effectif. Le 5 mars, dans un ultimatum, les autorités affirment que la révolte «  a été assurément préparée par le contre-espionnage français  », que les marins sont «  les dupes d’un complot blanc  ». Les bolcheviks commencent les opérations militaires le 7 mars à 18h45  : 50 000 soldats de l’Armée rouge partent à l’assaut des 15 000 soldats et marins insurgés [6].

Le général Mikhaïl Toukhatchevski teste à Kronstadt ses méthodes expéditives en donnant l’ordre d’«  attaquer les navires de guerre Petropavslovsk et Sébastopol avec des gaz asphyxiants et des obus chimiques  » [7]. Au terme de dix jours de combats acharnés, du 8 au 18 mars 1921, la commune de Kronstadt est écrasée. Les pertes bolcheviques sont estimées à plus de 10 000 morts. Aucun chiffre fiable sur les rebelles tués, exécutés par la Tchéka ou déportés dans des camps de prisonniers n’est disponible. Les familles des rebelles sont déportées en Sibérie. Huit mille marins, soldats et civils s’échappent vers la Finlande en marchant sur la glace. Un an après les faits, Moscou annonce une amnistie pour les "coupables". Certains des réfugiés en Finlande y croient. À peine rentrés, ils sont expédiés en camp.

 La Makhnovtchina

Ce mouvement libertaire communaliste se développa dans le sud-est de l’Ukraine dès février 1917 sous l’impulsion de Nestor Makhno qui réussit à lever une armée importante et s’avéra un fin stratège militaire. Ce mouvement connut un tel engouement passionnel et une telle renommée qu’il s’attira les foudres des opposants bourgeois et bolcheviks. Il résista et repoussa brillamment les tentatives d’invasions de l’armée de l’hetman Skoropadsky, allié des allemands, venant prendre possession de l’Ukraine cédée par la Russie soviétique en 1918, puis de l’armée du nationaliste Pélioura après la capitulation de l’Allemagne, de celle du monarchiste Dénikine, ainsi que de l’armée blanche de Wrangrel. L’armée rouge bolchevique de Trotski espérant une défaite de Makhno restait en retrait et conclut même une alliance avec lui contre la menace de Wrangrel. Une fois la victoire acquise, les bolcheviks s’empressèrent de déclarer la Makhnovtchina contre révolutionnaire et Makhno comme dangereux terroriste. En parallèle des combats, Nestor Makhno et ses camarades créent une société rurale autogérée basée sur les principes libertaires, en organisant notamment des communes libres sur une terre faisant près de trois cents kilomètres de diamètre. En août 1921, après plusieurs mois de combats acharnés contre les bolchéviks, les derniers partisans de Makhno quittent l’Ukraine et franchissent la frontière roumaine. Les détails de ce mouvement libertaire sont réunis dans un article de la GR n°1204.

 Collectivisation pendant la guerre
civile espagnole de 1936 à 1939

Les bases idéologiques de cette révolution se rattachent très clairement à l’anarcho-syndicalisme et au communisme libertaire, extrêmement puissant en Espagne dans les années 1930. Ce communalisme connaît un fort développement dès 1936 dans plusieurs provinces espagnoles. Un article figurant dans la GR n°1203 développe les principes et les réalisations progressistes de ce communalisme mis en place. Une forte opposition s’installa sur plusieurs fronts contre lesquels ce mouvement ne put résister. Tout d’abord, un premier front formé par l’armée des nationalistes franquistes, auteurs du coup d’État de juillet 1936 aidée par le fascisme italien et l’Allemagne nazie, un second correspondant à une tentative de reprise en main du pouvoir par le gouvernement républicain et l’État, un troisième fictif de par la non intervention de l’Angleterre et de la France progressivement favorable à Franco, et un quatrième, le plus sournois mais le plus redoutable, formé par le parti communiste espagnol (PCE) qui, dans un premier temps fut allié des anarchistes, mais prit une telle importance en s’attribuant l’aide militaire de l’URSS qu’il se retourna contre les libertaires pour entraîner leur perte. La répression menée par l’ensemble des fronts fut impitoyable et notamment les conditions horribles des quelques 500 000 réfugiés dans les camps de concentration lors de la Retirada en France au début de 1939.

 Les tentatives de communalisme des kurdes dans le Rojava

La Turquie moderne, lors de sa création en 1923, s’est bâtie sur le déni de l’existence du peuple kurde au sein de ses frontières. Les gouvernements turcs ont mis en œuvre dans tout le pays une politique d’assimilation forcée, combinant une interdiction de l’usage de la langue kurde en public, des déplacements de populations et des mesures de répression. Depuis, d’incessants mouvements nationalistes kurdes se sont organisés en Irak, en Syrie et en Turquie, tous brutalement réprimés, la plupart des instigateurs étant emprisonnés ou assassinés.

En 2005, est proclamé l’avènement du Confédéralisme démocratique connu sous le nom de communalisme kurde, qui ne sera mis réellement en pratique qu’en 2012 avec l’autonomie kurde acquise dans la région du Rojava. Depuis sa prison, Abdullah Öcalan, leader et tête pensante du mouvement depuis sa création en 1978, a théorisé cette doctrine politique, agissant comme base sociale et idéologique pour une partie du mouvement kurde et des organismes qui s’y rattachent.

L’émergence du confédéralisme démocratique est issue d’une volonté de dépasser le marxisme-léninisme originel après la guerre froide, pour un socialisme organisé à la base et agissant dans tous les domaines de la société par démocratie directe. Le Confédéralisme démocratique rejette l’État-nation, car pour lui le pouvoir, politique et économique, doit s’incarner dans des assemblées populaires communales. Il est proche du municipalisme libertaire de Murray Bookchin, qui prône une économie de type collectiviste et un système de fédéralisme intégral entre les communes (plus de 4 000 aujourd’hui). Pour Öcalan, cofondateur du PKK, détenu sur l’île-prison d’Imrali au nord-ouest de la Turquie depuis 1999, les concepts-clés de ce mouvement sont la démocratie, le socialisme, l’écologie et le féminisme. Conseils locaux et démocratie directe paritaire, égalité des sexes, pluralisme ethnique et religieux, respect de l’environnement, développement d’une éducation autonome et d’une économie sociale, maisons du peuple, accès aux soins gratuits… Dans les rues, les quartiers, les villes et les villages, les habitants s’y réunissent chaque semaine, discutent des problèmes locaux, organisent des coopératives, élisent des porte-paroles paritaires chargés de les représenter dans les assemblées aux échelons supérieurs. Les femmes et les jeunes disposent de leurs propres structures autonomes qui ont en théorie un droit de regard et de veto systématique sur toutes décisions les concernant.

Dans ce territoire presque aussi grand que la Belgique, les deux millions d’habitants du Rojava tentent une «  troisième voie   » pour se libérer de la dictature nationaliste et de la démocratie représentative au service du capitalisme.

La mise en place de ce projet politique dans une situation de guerre est délicate et pourtant ces gens essaient de mettre concrètement en pratique un autre modèle de société, à l’échelle d’une région entière. Donc forcément, il y a des tentatives, des erreurs et des réussites.

Par peur d’une contagion, la Turquie, où il y a 15 à 20 millions de Kurdes, ce qui correspond à plus d’un quart de la population, a amplifié les offensives répressives contre un mouvement communaliste libertaire qualifié plus que jamais de "terroriste" par Ankara et une grande partie de la communauté internationale, dont l’Australie, le Canada, les États-Unis, la Nouvelle-Zélande, l’Union européenne et le Royaume-Uni. Depuis le 20 janvier 2018, la Turquie a envahi le Rojava, pour tenter d’écraser cette révolution sociale communale, multiethnique, féministe et autonome.

Cela fait un siècle que les Kurdes luttent pour leur libération, multipliant les révoltes et les soulèvements qui ont été systématiquement écrasés dans le sang. Estimés entre 35 et 40 millions de personnes, ils forment le plus grand peuple sans État au monde, dispersés entre la Turquie (15 à 20 millions), l’Iran (10 à 18 millions), l’Irak (5 à 6 millions) et la Syrie (3 millions), et une diaspora de 1,5 million répartie entre l’Europe et la Russie.

Aujourd’hui, des livres sont publiés, des journées de discussion organisées, des documentaires réalisés, des collectifs de soutien se réactivent ou se créent. Des voyages et des délégations s’organisent pour rencontrer les militants et transmettre leur expérience. Le Rojava a déjà commencé à essaimer bien au-delà du Moyen-Orient. Le PKK est actif principalement en Turquie, en Syrie, en Iran et en Irak. Il a inspiré la création de plusieurs autres organisations dans les autres parties du Kurdistan, comme le Parti de l’Union Démocratique (PYD) en Syrie, le Parti de la Solution Démocratique du Kurdistan (PÇDK) en Irak et le Parti pour une vie libre au Kurdistan (PJAK) en Iran, qui lui sont liés.

 Les tentatives de communalisme des
zapatistes dans le sud du Mexique

En ce qui concerne l’EZLN des zapatistes, il subit une agression constante à l’encontre des leaders du mouvement de la part de milices, qui en plus profitent de l’appui gouvernemental pour s’approprier des terres cultivées et des parcelles de forêts en les volant aux zapatistes. En réaction, ceux-ci font venir des témoins sympathisants du monde entier afin d’entamer des pressions diplomatiques et médiatiques envers le gouvernement mexicain. Ils se sont, de même, déplacés pendant l’été 2021 en Europe afin d’échanger avec les mouvements anticapitalistes et dénoncer les agressions territoriales qu’ils subissent par de grosses multinationales comme EDF (installation de 150 éoliennes) et Danone (captation des sources) qui répondent aux appels d’offres lancés par l’État mexicain pour ses grands travaux. À propos des zapatistes du Chiapas au Mexique, voir les articles les concernant dans les GR n°1206 et 1207.

Les modifications révolutionnaires qu’expérimente et propose le communalisme libertaire au Rojava avec le PKK des Kurdes, et au Mexique avec les zapatistes, déclenchent encore une répression sanglante, comme elle s’est toujours appliquée. Elle s’avère aujourd’hui plus compliquée car l’information circule mondialement et les sympathisants se montrent nombreux. Cependant l’utilisation de la propagande et de la désinformation tente de discréditer ces mouvements en les faisant entrer dans la catégorie des terroristes, ce qui légitimerait les interventions armées. La Turquie ne s’en est pas privée en attaquant les Kurdes dans le nord de la Syrie profitant de la situation de guerre, et fomentant une autre intervention guerrière directement contre le PKK et le PYD au nord de l’Irak.

 DEUX VOIES ÉTRANGÈRES

En cette période où les dégradations du climat, de la biodiversité, de l’air, de l’eau, des sols, des forêts, se font de plus en plus marquantes et augmentent les nuisances sur les systèmes vivants en général, personne ne peut plus fermer les yeux et demeurer dans le déni. Pourtant les réactions, les orientations soutenues par la population mondiale prennent des chemins différents, voire opposés.

Certains pays actuellement en développement comme le Brésil, l’Inde, l’ouest africain, etc., ne veulent pas rater l’objectif de ce qu’ils considèrent comme l’eldorado, c’est-à-dire l’abondance matérielle pour tous et les privilèges de la richesse pour certains. En ce qui concerne les pays dits riches, les possédants tiennent à maintenir leurs prérogatives et leur pouvoir, d’où leur ralliement aveugle au capitalisme et ses directives sur l’économie et la vie sociale. Ils misent sur leur confiance envers le progrès jusqu’alors considéré comme linéaire, et sur les nouvelles technologies prometteuses qui devraient solutionner l’ensemble des problèmes. Or cette vision omet la nécessité d’alimenter en énergie et en métaux divers ces nouvelles technologies très gourmandes alors que les réserves de ces différents éléments se réduisent fortement et leurs extractions deviennent de plus en plus polluantes et pourvoyeuses de gaz à effet de serre. Ce qui constitue les forces favorables au maintien de la situation économico-politique actuelle et à l’application des stratégies de la transition énergétique et du développement durable, qui sont qualifiées par de nombreux experts scientifiques comme des absurdités ou des arguments frelatés d’une propagande honteuse et dangereuse. Leur objectif  : le bien-être par la consommation afin de garantir la soumission des peuples et les profits des oligarques.

En opposition radicale, afin d’apporter des solutions raisonnables aux problèmes contemporains, se trouvent les partisans de la sobriété et de la décroissance, en recherche d’un bien-être spirituel et social. Pour y parvenir, ils rallient les principes du municipalisme libertaire ou du communalisme chers à Murray Bookchin, c’est-à-dire qu’ils adhèrent aux façons de vivre, adaptées à leurs propres besoins et leur culture, des zapatistes. La solution pour inverser la tendance désastreuse qui sévit depuis trois siècles et nous dirige vers un avenir proche très compliqué, revient à révolutionner nos habitudes de vie, habitudes qui nous ont été inculquées, et la plupart imposées par la propagande, les principes de vie et les lois capitalistes.

Puisque les représentants politiques obéissent aux oligarques afin de protéger et assurer leurs privilèges par une obligatoire croissance en système capitaliste, ce qui se solde par les désastres écologiques que nous subissons, il devient impératif de reprendre en mains la destinée de l’humanité si il en est encore temps. Le municipalisme ou communalisme libertaire adapté aux conditions culturelles et géographiques pourrait apporter une orientation favorable à nos modes de vie afin d’espérer solutionner les complications actuelles et surtout futures.

 L’ESPOIR D’UNE ALTERNATIVE
SOUHAITABLE AU CAPITALISME

Il n’est plus temps d’attendre qu’un miracle se produise ou qu’une solution vienne de nos gouvernements corrompus et qui, de toute façon, méprisent les peuples. L’épisode de la pandémie de 2020 nous a montré de quoi ils sont capables et ce n’a été qu’une répétition pour tester la soumission des peuples. Ils ne feront rien en leur faveur mais, plutôt, vont se charger de leur imposer des régimes de plus en plus totalitaires, les cantonnant à la consommation et au travail productiviste selon les besoins économiques. Pour les dirigeants et possédants, qu’importe la pollution et le changement climatique, ils font partie des moyens utilisés pour appliquer la stratégie du choc et imposer ainsi les technologies appropriées permettant de garantir les profits juteux. Les extractions de métaux, de pétrole, de gaz et de charbon, polluantes, sont toujours en progression, tout comme la déforestation. Une planète bouleversée et inhabitable nous attend et l’adaptation ne se fera qu’au prix d’un lieu de vie clos, aseptisé, au confort et à la sécurité conditionnés hiérarchiquement. Un monde déjà décrit dans certaines œuvres littéraires et productions cinématographiques d’anticipation.

La réaction ne peut venir que de la collaboration des peuples pour imposer un mode de vie adapté aux besoins de la nature et de l’humanité. Il n’est plus temps de la seule discussion, l’action est désormais appropriée afin de mettre en place des systèmes politico-économiques composant avec le communalisme libertaire et l’économie distributive.


[1Wikipédia, David Graeber, «  Fragments of an Anarchist Anthropology   », Prickly Paradigm Press, 2004.

[2Sylvie Arend et Christiane Rabier, «  Le Processus Politique  : Environnements, Prise de Décision et Pouvoir   », Ottawa, University of Ottawa Press, 2000.

[3François Chatel, «  Murray Bookchin   », La Grande Relève n°1213, décembre 2019

[4Pierre Kropotkine, «  L’Entraide, un facteur de l’évolution   », Ed. Ecosociété.

[5Paul Avrich, Izvestia de Kronstadt, «  Pourquoi nous combattons   », 8 mars 1921. Dans La Tragédie de Cronstadt 1971, Éditions du Seuil.

[6Bulletin périodique de la presse russe, n° 92, Paris, 29 avril 1921. gallica.bnf.fr

[7Thierry Wolton, «  Histoire mondiale du communisme  », tome 2, Les victimes, Ed. Grasset, 2015.


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