Le fédéralisme une garantie contre l’échec


par  P. HERDNER
Publication : juin 1988
Mise en ligne : 15 juillet 2009

La grande mutation, dont le plan s’esquisse dans notre esprit, satisfait à une double exigence : la rationalité économique et la justice sociale. La première implique la direction de l’économie par les consommateurs, qui entraîne une refonte totale de nos structures ; la seconde dépend en grande partie de la première, mais elle nécessite en outre une réorganisation interne des entreprises, favorisant le libre épanouissement des individus.
Sur la base de ces principes généraux, des réalisations assez variées peuvent se concevoir. C’est en réfléchissant aux causes possibles d’échec que l’on découvrira toute la valeur de cette diversité.
Parmi ces causes figure d’abord l’opposition, non seulement des forces conservatrices, mais aussi de tous ceux qu’effraie la perspective d’une transformation trop brutale et trop contraignante, dont ils mesurent mal les conséquences. Puis les erreurs que l’on peut commettre au cours d’une réorganisation d’une si grande envergure : le fonctionnement d’une économie où les consommateurs décident entièrement de la production, comporte le risque d’une concentration excessive, entraînant une bureaucratie paralysante et le manque de motivation d’une grande partie des cadres responsables ; une organisation démocratique des entreprises, capable en principe d’assurer la motivation des travailleurs, présente aussi des écueils, tels que l’incompétence et les relations conflictuelles entre les individus ; on notera que ces difficultés concernent pour une large part le mode de répartition des pouvoirs entre les agents économiques.
Or nous trouverons dans le fédéralisme une réponse adéquate à nos interrogations et à nos inquiétudes. Il réalise une répartition harmonieuse et équilibrée des pouvoirs de décision : au partage des revenus et des tâches, schéma classique de notre doctrine, il conviendra d’ajouter, comme le suggère Gaston Puel (1), le partage des pouvoirs. En même temps, il introduit dans les structures diversité et souplesse : il nous évitera donc d’instaurer un système uniforme et de faire d’emblée des choix définitifs ; quand une erreur sera commise, elle sera plus facile à réparer et les conséquences en seront moins graves si elle ne concerne qu’une zone d’étendue restreinte. Pour toutes ces raisons, les solutions fédéralistes donnent à l’économie distributive un aspect rassurant, propre à apaiser les appréhensions d’un public encore peu convaincu de sa nécessité et de ses bienfaits.
Les applications du fédéralisme au nouveau système économique se conçoivent sur deux plans différents. En premier lieu, sur le plan territorial, il répartit les pouvoirs entre des zones incluses les unes dans les autres, par exemple entre la nation, les régions et les communes. Le risque des lourdeurs bureaucratiques se trouve ainsi éliminé. Une question se pose, en particulier, dans tout système distributif : à quel niveau se situe la prise en mains, par un organisme représentant les consommateurs, des produits qui lui sont fournis ? On pourrait sans doute imaginer que ce contact entre production et consommation ait lieu au niveau national ; mais ce mécanisme trop rigide risque de mal fonctionner. Il me paraît préférable que cette prise en mains, qui précède la distribution, se situe d’abord au niveau inférieur, les excédents des productions locales, puis régionales, étant répartis successivement d’échelon en échelon ; cette organisation, de style fédéraliste, est plus complexe, mais la multiplication des centres de décision est plus stimulante pour les habitants des différentes zones (2).
En second lieu, le fédéralisme est susceptible d’applications d’ordre fonctionnel. Sur le plan politique, la fédération et ses membres se partagent différents domaines. En économie, selon le même schéma fédératif, la collectivité des consommateurs et les unités de production qui y sont incluses se répartiront des fonctions différentes : à la première la direction générale, aux secondes le pouvoir de gérer l’entreprise de façon autonome et de régler l’organisation du travail. Mais là encore une grande diversité est possible : aussi bien. le degré de cette autonomie que les modalités de cette organisation interne seront variables.
Cette diversité permet de comparer les différents systèmes, au point de vue économique et au point de vue social, et aussi l’efficacité des différentes mesures de transition. Une certaine émulation pourra naître, à tous les niveaux, entre groupements similaires, et l’économie y gagnera en dynamisme.
En outre, la souplesse inhérente au fédéralisme est si grande qu’elle permet d’adapter le processus évolutif au degré de maturité des diverses régions. Cette remarque prend toute sa valeur dans le cas où le gouvernement n’avancerait que timidement sur la voie du distributisme. On peut imaginer que des expériences locales, qui s’inscrivant à l’avance dans le schéma de l’organistion fédérative, soient tentées en premier lieu dans des régions où les circonstances sont favorables et la population d’esprit ouvert, ce qui suppose, assurément, que le gouvernement soit disposé, sinon à aider, du moins à tolérer de telles initiatives. Même si elles ne pouvaient guère dépasser, tout d’abord, le stade des mesures transitoires ou de réalisations incomplètes, ces expériences constitueraient une amorce de la mutation distributiste ; elles aideraient le public à comprendre ce qu’est une économie des besoins ; enfin, puisque le progrès des institutions se règle sur celui des mentalités, le recours à la contrainte pourrait être réduit au minimum.
Je n’ignore pas que certains de nos amis, pour qui la rapidité est la condition du succès (3), jugeront cette méthode à la fois trop lente et trop complexe. Je souhaite qu’on ne se hâte pas trop de la rejeter, car elle me parait présenter plus d’avantages que d’inconvénient.
Ma pensée s’écarte sur plusieurs points des idées que René Marlin a exprimées dans son article du n°  866.
Je n’ai pas à revenir sur le fédéralisme, si ce n’est pour noter qu’il n’a nullement- tel que je le conçois, car il y a fédéralisme et fédéralisme - la prétention de résoudre à la fois tous les problèmes. Plus modestement, il se borne à donner une forme déterminée à un contenu que son rôle n’est pas de définir.
Il importe de bien distinguer certaines réformes d’ordre social, destinées à améliorer les conditions de vie à l’intérieur d’une entreprise, des mesures transitoires préparant une mutation qui est avant tout d’ordre économique.
intéressantes au point de vue social, les coopératives de production ont effectivement subi de nombreux échecs, et, bien entendu, elles restent plongées dans le milieu capitaliste où règnent la concurrence et le profit. Mais les coopératives de consommation sont aptes à réaliser, quand elles sont assez développées pour créer ou intégrer les unités de production qui . les approvisionnent, une véritable économie des besoins. C’est pourquoi elles pourraient constituer une transition vers cette forme plus parfaite qu’est l’économie distributive. Elles ont obtenu des succès remarquables (4), et si elles connaissent quelques échecs en France, il conviendrait d’en déceler les causes exactes ; l’une d’elles est probablement l’indifférence du public, qui comprend mal le but ultime poursuivi par les coopérateurs.

(1) Gaston Puel, L’heure du partage (1978). Cet ouvrage a été analysé dans le n° 763 de la G.R.
(2) Ce système me paraît assez voisin des structures décrites par M.-L. Duboin dans Les affranchis de l’an 2000 (p. 119, 158, 202, 290).
(3) Cf. Maurice Laudrain, L’Incapacité au pouvoir (1984), p. 114.
(4) Notamment dans certains pays, dont la Suède, la Suisse, l’Islande. Consulter à ce sujet Ch. Gide, Les sociétés coopératives de consommation (4° ed., 1924), et Georges Lasserre, La coopération (1967) (Que sais-je ? n° 821). p. 35 - Quel mouvement, s’écrit Ch. Gide (p. XIV), offrirait "des statistiques plus impressionnantes"  ?


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