Au moment où le revenu minimum s’impose jusque dans les milieux gouvernementaux, il n’est pas inutile de préciser notre avis sur les controverses en cours.
Dignité du travail
Tout d’abord sur la nécessité du travail
salarié qui serait seul en mesure d’assurer la dignité
de la personne humaine. Il s’agit là, à n’en pas douter,
d’un préjugé tenace dont l’être humain a le plus
grand mal à se débarrasser. Ce qui donne au travail son
lustre, c’est surtout le revenu que la personne en tire. Si le père
de famille procure aux siens les moyens de vivre, peu importe à
ceux-ci d’où vient l’argent. La sagesse populaire n’avait-elle
point coutume de prétendre qu’il n’y a pas de sots métiers
mais seulement de sottes gens. C’est peut-être ce qui a fait dire
récemment à M. Séguin (1), ex-ministre des Affaires
Sociales, qu’il regrette la suppression des poinçonneurs de métro"...
dont personne au gouvernement (2) ne comprend la disparition...".
C’est dire le niveau intellectuel de nos anciens ministres... Proposons
donc à ces Messieurs de recréer, spécialement pour
eux, quelques postes de poinçonneurs et de les y affecter. Nous
ne sommes pas méchants. Seulement pour un an ou deux. Simplement
pour qu’ils se fassent une idée de l’intérêt intellectuel
et moral de ce métier.
M. Séguin nous avait habitués à mieux lorsqu’il
avait admis qu’une grande partie du chômage est structurelle et
inhérente au mode de production...
Revenu d’insertion
On se demande d’ailleurs si nos nouveaux ministres
sont plus intelligents que les précédents lorsqu’ils envisagent
d’adopter la formule d’un Revenu minimum "d’insertion". Ce
qui, d’après eux, signifierait que les bénéficiaires
recherchent de nouvelles sources d’emplois avec la persévérance
qui s’impose et que leur chômage est très provisoire. Sans
parler de ceux qui chargent les municipalités de leur trouver
de l’occupation. Si des "gisements d’emplois" existaient,
cela se saurait. Nous souhaitons à nos édiles "bien
du courage"...
Que l’on ne nous soupçonne toutefois pas d’ignorer, à
cause de notre naïveté bien connue, qu’un certain nombre
de tricheurs se glissent parmi les vrais demandeurs d’emplois. Ils sont
peut-être même plus nombreux qu’on ne le croit. Comment
reprocher aux déshérités de profiter des tares
de la société ? Que l’on ne nous accuse pas, non plus,
d’accepter avec délectation le chômage des autres. Personne
plus que nous ne comprend les affres des vrais chômeurs et ne
réprouve la conduite de ceux qui leur promettent des emplois
illusoires. C’est même principalement pour cela que nous soutenons
la thèse de l’économie distributive.
Les travaux difficiles
La dignité du travail de poinçonneur
de métro n’est pas évidente. L’est-elle plus que celle
de l’éboueur, du mineur de fond, du peintre à la chaîne
et du manieur de marteaupiqueur ? Il faut bien que tous ces travaux soient
faits. Oui en attendant leur entière automatisation. De là
à les idéaliser...
En fait, le travailleur a surtout besoin de se sentir utile à
la société. Comment serait-il rassuré si celle-ci
le rejette ? Il y a bien contradiction entre cette aspiration et la règle
d’or de la concurrence capitaliste qui veut que toute main-d’oeuvre
excédentaire soit éliminée. Nos contempteurs de
la liberté libérale n’ont toujours pas trouvé la
solution...
Bien que de bonne volonté, les hommes politiques prêts
à instaurer le revenu minimum n’ont pas compris qu’il ne s’agit
pas d’une aumône mais d’un nouveau droit de l’homme, contrepartie
individuelle du patrimoine scientifique appartenant à tous.
Le fédéralisme Intégral
Cet article n’ayant pas pour objet d’informer le lecteur sur le foisonnement d’études relatives au revenu garanti parues dans les derniers mois, revenons-en à l’opuscule d’Alexandre Marc qui fait notre titre. Comme on le sait, l’auteur est, depuis avant la guerre, le meilleur expert du fédéralisme en France et le pionnier du fédéralisme intégral. Cette doctrine couvre l’ensemble de l’organisation de la société en ce sens qu’elle ajoute des thèses économiques au fédéralisme classique. Ce dernier suppose une structure sociale où la décision se manifeste : depuis la cellule familiale jusqu’au monde entier en passant par tous les échelons intermédiaires. Alexandre Marc et les siens prévoient aussi un système économique à double entrée où, à l’économie de marché, se superpose une économie sociale. Le tout est sous la dépendance d’une planification bizonale. La zone A et la zone B coexistent ainsi dans l’agriculture, le commerce et l’industrie. Deux monnaies, correspondant aux deux zones, règlent les échanges. La description complète du fédéralisme intégral sortirait du cadre de cette chronique. Après avoir donné cette idée sommaire du système, il nous suffira d’ajouter que, selon celui-ci, un revenu minimum attribué à tous permettrait de briser la dépendance du salarié envers son patron.
Le Revenu européen
A l’approche de 1992 qui fait l’objet de tant de conversations
et de théories, Alexandre Marc se devait de rappeler que le fédéralisme
intégral a une composante européenne essentielle. Il étend
donc sa proposition de minimum social garanti à l’Europe. C’est
effectivement une donnée dont nos gouvernants devront se soucier.
Puisque, pour eux, l’Europe ne sera qu’un cadre plus vaste où
les intérêts nationaux ou supposés tels, devront
rester en lutte ouverte, il conviendra de prévoir des règles
acceptables de concurrence. L’harmonisation du revenu minimum aura à
s’ajouter à l’harmonisation fiscale, boursière, banquière,
monétaire, universitaire, commerciale, etc...
Ce n’est pas la préoccupation principale d’Alexandre Marc qui
se réclame du personnalisme d’Emmanuel Mounier et aussi de Charles
Péguy.
Fédéralisme Intégral et économie distributive
Comme on l’a vu, le fédéralisme intégral
peut paraître séduisant quoique complexe. Les "distributistes"
ne le rejetteraient certainement pas a priori. Alors pourquoi l’auteur
se permet-il cette appréciation relative à Yoland Bresson
et Philippe Guihaume en même temps qu’à Jacques Duboin :
"... Il est essentiel d’éliminer, sans plus tarder, les
tentations diverses : condamnation du bénéfice, rejet de
l’argent", prise au tas chère aux abondancistes, bons de
consommation et autres chimères. Certes ces utopies fascinent
encore beaucoup d’esprits, même parmi les plus proches de nous.
Je n’en veux pour preuve que l’exemple fourni par Yoland Bresson et
Philippe Guihaume qui rendent un hommage enthousiaste à Jacques
Duboin "prophète" de l’Abondance -avec une majuscule
- même si le concept de l’abondance n’était intrinsèquement
contradictoire, comme s’il pouvait être détaché
de toute corrélation avec une partie nécessairement limitée
de l’économie pour être élevé au rang de
l’Absolu ! Ayant tenté moi-même, à l’origine, de
me rapprocher des abondancistes... et de collaborer personnellement
avec Jacques Duboin, j’ai eu vite fait de me rendre compte que ses tendances
utopiques le conduisaient vers des conclusions aberrantes, à
la limite stériles, inhumaines voire subrepticement totalitaires...
".
Nous avons tenu à citer ce passage in-extenso. Il serait trop
facile de montrer que l’auteur ne connait nos thèses que très
superficiellement : nous ne condamnons pas le bénéfice
nous constatons le rétrécissement du profit lorsque la
rareté disparait. L’abondance n’est pas pour nous un absolu,
mais l’inverse de la pénurie. Nous ne rejetons pas l’argent,
nous sommes pour une monnaie de consommation. Nous ne préconisons
nullement la prise au tas. Quant aux tendances de Jacques Duboin, elles
ne sont pas plus utopiques que celles d’Alexandre Marc, lesquelles sont
par contre inutilement compliquées et exagérément
ambitieuses pour être réalistes.
Ne nous laissons pas aller à une polémique qui serait
tout à fait inutile et dépassée. Convions plutôt
les proches d’Alexandre Marc à une étude comparative de
nos idées et à la recherche d’un accord possible sur certains
points. En particulier, la proposition d’une économie bizonale
pourrait peut-être constituer une étape vers le socialisme
distributif, de même d’ailleurs que le participat de MM. Bresson
et Guihaume. Remercions aussi ces derniers économistes d’avoir
salué les mérites de notre fondateur, la clarté,
la lucidité et la nouveauté de sa pensée.
Voilà pour la stérilité, l’inhumanité et
le totalitarisme des successeurs de Jacques Duboin !
(1) L’Express - 5 au 11 février 1988 "Osons
dire la vérité sur l’emploi".
(2) Celui de Jacques Chirac.