Raisonnons calmement


par  J. MARCHAND
Publication : août 1988
Mise en ligne : 15 juillet 2009

Que demande un homme normal ?
Tout d’abord de pouvoir se nourrir suffisamment en quantité et en qualité.
Ensuite de pouvoir se vêtir et pouvoir se loger décemment, avec une petite préférence pour une maison individuelle, avec un équipement intérieur correspondant aux derniers progrès de la technique : cuisine moderne, télévision, téléphone, chauffage central, etc...
Puis il demande un moyen de transport, car la vie moderne nécessite des déplacements.
Il demande également de pouvoir se distraire par des loisirs variés.
Il demande enfin de pouvoir se cultiver, s’améliorer intellectuellement et moralement, et d’être utile à son prochain.
De toute façon l’homme normal ne demande pas la lune.

1 - Peut-on produire les biens et les services nécessaires à la satisfaction de tous ces besoins, pour tous les hommes ?
Pour produire, il faut de la matière première, de l’énergie extrahumaine, des machines, de l’outillage et des technologies conçues par le cerveau humain.
La matière première et l’énergie extra-humaine nous sont données par la nature en quantités considérables.
Le progrès technique est tel qu’il n’y a pratiquement plus d’impossibilité de produire en grandes quantités ce dont l’homme a besoin, grâce à la machine automatique commandée par ordinateur.

2 - Cette production abondante estelle possible dans le système économique et financier actuel, basé sur l’argent-valeur et sur la circulation monétaire ?
NON, car seule la rareté peut conduire à un profit.
L’abondance tue le profit, et conduit à la faillite des producteurs, donc au chômage.
Celà est vrai à l’heure actuelle pour certains produits alimentaires tels que le lait et la viande de porc et pour certains produits industriels tels que les calculateurs électroniques.
C’est pourquoi l’Etat fait tout son possible pour raréfier les produits abondants.
MAIS CONTINUONS A RAISONNER CALMEMENT :

3 - Que se passerait-il si une guerre était déclarée à un ennemi héréditaire ? L’expérience d’un passé récent nous le montre :
Il devient impossible de fabriquer en quantités considérables tous les biens nécessaires pour essayer de gagner la guerre : fusils, obus, canons, chars, avions, et j’en passe, et sans que celà conduise à la faillite des producteurs.
Remarquons en passant que tous les obus envoyés à l’ennemi héréditaire le sont gratuitement et sans facture !!!.
Mieux, après une mobilisation générale, il n’y a plus de chômeurs ; tous les individus en bonne santé sont, soit mobilisés comme soldats, soit pour produire dans les usines.

4 - Ainsi donc, qu’on le veuille ou non il y a deux systèmes économiques et financiers possibles.
Essayons de le comprendre en étudiant la monnaie utilisée dans les deux cas.
Nous appellerons "Économie de profit" le système économique et financier actuel pour bien montrer que le but essentiel des producteurs est de faire un profit.
Dans ce système la monnaie fiduciaire (les billets) est une monnaievaleur, circulante et anonyme, dont l’émission est indépendante de la production. En effet cette monnaie est une monnaie-valeur car elle peut être prêtée avec intérêt comme toute chose ayant de la valeur. De plus elle peut circuler de mains en mains et celà indéfiniment.
Cette monnaie, en circulant, suit un "cycle monétaire".
La durée de ce cycle est, à l’heure actuelle, de l’ordre de 4 mois, c’est-àdire que dans l’année le billet de 100 F peut servir 3 fois pour acheter. Il permet donc de faire passer à la consommation des produits pour une valeur globale de 300 F. Si la vitesse de circulation de la monnaie change, le pouvoir d’achat de cette monnaie change également par unité de temps bien sûr. On voit donc que ce pouvoir d’achat est variable.
Nous appellerons "Économie de besoin" le système économique et financier utilisé en temps de guerre, pour bien montrer que le but essentiel des producteurs est de satisfaire le besoin des hommes (malheureuse ment en temps de guerre, ce sont des besoins de guerre, mais on peut remarquer qu’il est aussi facile de fabriquer un obus de 150 grammes qu’une pompe à bicyclette de même masse. C’est une question d’orientation de la production).
Dans ce système la monnaie est comptable, non circulante, nominale et dépend de la production.
En effet le Général en chef des armées demande la fabrication de ce qui lui est nécessaire pour gagner la guerre. L’intendance se charge d’obtenir ces biens en quantités aussi grandes que possible et tout est contrôlé par une monnaie comptable bons de toutes sortes émis par les demandeurs et les producteurs.
Cette monnaie comptable ne circule pas, elle s’annule à la livraison de la marchandise ; c’est une monnaie fongible et souvent nominale. De plus cette monnaie n’est émise que lorsque la production est assurée.

5 - Production et pouvoir d’achat sont dissociés. La production est libérée de la vente ; on produit au maximum suivant les besoins des hommes, de l’énergie extra-humaine et des matières premières dont on peut disposer.
Les prix des produits fabriqués sont alors chiffrés, non plus d’après le temps passé à les produire, mais d’après la loi de l’offre et de la demande ; demande correspondant aux besoins réels des consommateurs.
On distribue alors, équitablement, à l’ensemble des consommateurs un pouvoir d’achat égal à l’ensemble des prix de vente précédemment définis.
C’est le principe même de l’Économie de besoin.

6 - Cette constatation précédente nous permet de faire une synthèse simple de la société.
La société est composée d’un certain nombre d’ensembles au sens des mathématiques :
-Tout d’abord les entreprises dont le rôle est de produire les biens et les services nécessaires aux membres de la société.
- Ensuite les groupes de consommateurs de cette production ; ce sont les personnes physiques (familles) et les personnes morales (communes, département, éducation nationale, armée, etc...).
On remarque facilement que ces ensembles sont régis intérieurement par l’économie de besoin, et que les échanges entre ces ensembles sont régis par l’économie de profit.

7 - L’économie de profit est une économie complexe, tellement complexe d’ailleurs que personne ne peut en déterminer les lois exactes ; ce qui fait que personne n’est capable de supprimer le chomage, l’inflation, la misère, l’injustice sociale.
Un système simple et rationnel comme l’économie de besoin devrait permettre de résoudre tous ces problèmes très rapidement exactement comme un mécanicien automobile répare une voiture dans un minimum de temps.
Que dirait un client s’il lui fallait attendre plusieurs années pour voir sa voiture réparée !!!.

8 - Il vient alors à l’esprit une idée simple : pourquoi ne pas adopter entre les groupes de la société l’économie de besoin adoptée dans la famille ?
Par leur travail, un ou plusieurs membres de la famille, ceux qui sont en état de travailler, assurent un certain pouvoir d’achat par unité de temps (un mois par exemple).
Ce pouvoir d’achat permet d’obtenir des produits et des services.
Le chef de famille réserve tout d’abord une partie de ce pouvoir d’achat pour payer les services rendus à l’ensemble : eau, gaz, électricité, impôts, etc... L’autre partie permet d’acheter tout ce dont les membres ont besoin : nourriture, habillement, livres, etc... et la répartition entre tous se fait suivant une règle simple : "A chacun selon ses besoins".

9 - Essayons donc de généraliser ces notions simples en les appliquant à l’ensemble de la société.
Tout d’abord, comme dans la famille, il faut qu’il y ait une communication parfaire entre tous les membres de la société. Ce qui permet de connaître tous les avis et désirs de chacun, et ainsi de dialoguer constamment. Ceci est fort possible avec le téléphone, le minitel, la radio, la télévision et les journaux.
Tout individu en état de travailler manuellement ou intellectuellement, peu ou prou, doit assurer un travail social pendant un certain nombre d’années.
Ce travail social permet de produire au maximum les biens et les services nécessaires à l’ensemble des membres de la société. Comme il y a dissociation entre travail et revenu la production est libérée de la vente, donc de la rentabilité financière. On peut lui imposer un certain nombre de conditions :
Elle doit utiliser, pour chaque produit fabriqué, le minimum de matière première et d’énergie extra-humaine, surtout si elles ne sont pas renouvelables ; elle doit chercher la meilleure qualité possible du produit, et elle droit créer dans des conditions écologiques optimales, les nuisances devant disparaître.
Les biens et les services créés pendant une unité de temps seront affectés d’un prix dépendant de l’offre et de la demande, c’est-à-dire du rapport entre la production et les besoins réels des consommateurs, besoins faciles à connaître avec les moyens actuels. L’ensemble de ces prix détermine donc le pouvoir d’achat global des consommateurs pendant cette unité de temps.
Ce pouvoir d’achat global est alors réparti équitablement entre tous les consommateurs, personnes physiques et personnes morales, selon les besoins de chaque groupe et ce sous forme d’un revenu social.
En ce qui concerne les personnes physiques, le revenu social est versé de la naissance à la mort.

Enfin le pouvoir d’achat de chacun est utilisé sous forme d’une monnaie comptable, qui est une monnaie de consommation, nominale, fongible au premier achat donc non circulante.
La monnaie chèque actuelle est le type même de cette monnaie de consommation.

10 - Enfin une dernière question pourquoi ces idées toutes simples sont-elles méconnues du grand public ?
D’abord à l’école on ne parle que du système actuel, que l’on fait croire unique et même d’essence divine !!!, tout comme la loi sur la pesanteur. De sorte que les adultes n’ayant jamais entendu parler de l’économie de besoin en classe n’ont aucune idée de son existence, sauf par accident très rare.
De plus ceux qui dirigent l’économie de profit ont des privilèges parfois énormes, ce qui fait qu’ils préfèrent les garder plutôt que de se risquer dans une aventure moins avantageuse peut être pour eux.
De sorte que les médias qui sont à la disposition de ces privilégiés n’en parlent pas non plus ; ils ont d’ailleurs peur que celà leur enlève des lecteurs.
Ensuite il semblerait qu’il y ait une intoxication par l’argent, comme il y a une intoxication par l’alcool ou la drogue.
Depuis tout jeune on fait croire à l’enfant que pour avoir une sucette il faut une pièce de 1 franc et l’enfant confondant cause et effet croit que sans l’argent il ne peut y avoir de sucette, alors que c’est l’inverse : s’il n’y avait pas de sucette, même un billet de 100 francs ne pourrait l’obtenir.
Car il faut comprendre qu’un lingot d’or dans une île déserte où il n’y a rien à vendre ne peut servir que de... marteau  !!!

11 - Terminons par une note optimiste, et un espoir pour une société meilleure.
Toute porte à croire que l’Économie de besoin est inéluctable et que l’on s’y dirige irrémédiablement.
Tout d’abord les règles de l’Économie libérale s’appliquent de moins en moins globalement, malgré l’effort de nos dirigeants.
Depuis longtemps, il y a dissociation entre travail et revenu dans bien des domaines.
Toutes les allocations accordées par le gouvernement le sont sans compensation d’un travail ; les allocations familiales ne dépendent que des enfants à charge et non du travail fourni par le chef de famille. Les subventions et autres subsides donnés aux associations, aux entreprises, aux agriculteurs ne dépendent pas d’un travail fourni.
De plus on n’admet plus que l’on puisse mourir de faim, malgré des cas encore inhumains où des gens sont sans ressources. On cherche de plus en plus à assurer à chacun un minimum vital ; c’est un début de revenu social.
De même la monnaie fiduciaire fait place de plus en plus à la monnaie chèque, c’est la monnaie de consommation en germe.
II faut bien espérer qu’un de ces jours un gouvernement ayant un peu d’humanité et de bon sens comprendra que le système financier actuel a vécu et que, si l’on ne veut pas aller vers un chaos généralisé il faut instaurer l’Économie de besoin.
De toute façon le système actuel a forcément une limite puisque le robot va remplacer l’homme de plus en plus ; la limite est simple : c’est la société avec ses usines sans ouvriers, donc une société uniquement composée de chômeurs.

Il est certain que le système va éclater avant cette limite ; quand ?

A l’heure actuelle il y a environ 9 travailleurs actifs pour 1 chômeur ; bientôt il y en aura 8, puis 7, puis 6 puis... 1 ouvrier, toujours pour 1 chômeur.

On ne peut rien dire de précis, mais l’éclatement du système se fera lors d’une de ces étapes intermédiaires.

Enfin il faut quand même admettre que le système économique et financier actuel date pratiquement de Louis XIV  ; tout de cette époque a disparu de notre environnement : plus de chevaux, ni de carrosse, mais des automobiles et des avions ; plus de bouche à oreilles, mais le téléphone, la radio, la télévision ; plus de planche à laver mais des machines ; on ne s’éclaire plus avec des bougies, etc... en un mot on a uniquement conservé ce vieux système qui régissait toutes ces choses disparues. Il est logique qu’il disparaisse lui aussi pour faire place à un système nouveau, rationnel.


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