Appel pour un projet social et culturel européen


par  J. ROBIN
Publication : août 1988
Mise en ligne : 15 juillet 2009

L’association "Des idées pour l’Europe" (1) a lancé un "appel pour un projet social et culturel européen" dont J. Robin a rédigé l’avant-propos que nous reproduisons ci-dessous. Répondant à cet appel, nous étions plus de trente personnes à la réunion organisée le 15 juin dernier, à Futuribles International, représentant une vingtaine d’associations. Les thèmes principaux du projet y ont été définis. I l reste à les développer dans les trois mois qui viennent. Doivent participer à cette rédaction : J. Chevalier, J.P. Faye, A. Jacquart, E. Morin (culture) ; J.P. Faye, M-A. Macciocchi, J. Vidal-Beneyto (enseignement, universités, langues) ; G. Aznar, B. Delhoménie, M.L. Duboin, H. de Jouvenel, R. Passet, F. Flassard (économie, production, répartition des richesses, partage du travail) ; G. Beney et A. Bertrand (écologie) ; Mme Delmas-Marty et E. Pisani (développement - démocratie) ; B. Barthalay (monnaie) ; B. Barthalay et Noël (défense) ; M. Fargeon (logement) ; A. Wittenberg (transports), etc... Après synthèse par les initiateurs de ce projet (J. Robin, G. Aznar, B. Barthalay), J. Delaunay, H. de Jouvenel, P. Laurette et R. Passet), il devrait être remis au milieu de l’an prochain à J. Delors, pour dépôt au Parlement Européen.

Une étape décisive de la construction européenne est prévue pour le 1er janvier 1993, autrement dit pour demain : par l"Acte Unique", douze Etats membres de la Communauté Economique Européenne ont créé les bases d’un grand marché économique, industriel et financier, ouvert à cette date à la libre circulation des hommes, des ressources et des marchandises. Dans le système industriel et marchand, cette réalisation peut certes offrir aux Européens une plate-forme efficace pour mieux mener la guerre technologique, économique et financière aux autres Grands de ce monde. Car ce dont il est question dans les discours des décideurs, c’est toujours de l’Europe des géants de l’industrie, de l’agriculture, de la banque, et de la piraterie des OPA.
On entend une commission d’experts de la Communauté déclarer avec sérieux qu’après 1995, ce Grand Marché enrichirait la Communauté de quelque 1400 milliards de francs et permettrait la création de deux à cinq millions d’emploi (2).
Comment peut-on s’aveugler à ce point ? Ne chicanons pas. Admettons que soient surmontés les obstacles qui s’opposent à l’harmonisation fiscale, à la progression de l’Ecu à la fois comme monnaie d’échange et de réserve, à la création d’un réseau concerté des Banques Centrales. Supposons que cette Communauté parle d’une même voix en matière de défense et de diplomatie. Concédons aussi que la Communauté ait pu repousser - au besoin par des mesures protectionnistes plus ou moins sélectives et transitoires - l’inféodation d’un trop grand nombre d’entreprises européennes aux géants des Etats-Unis et du Japon, alléchés par 320 millions de consommateurs de bon niveau. Supposons donc que la Communauté Européenne soit devenue en 1993 un ensemble technologiquement fort, financièrement indépendant, capable de faciliter une croissance modérée en PNB traditionnel. Eh bien, rien n’aura changé dans la progression de la Crise économique et sociale du système. L’utilisation à meilleure concentration des technologies informationnelles aura multiplié le nombre des exclus du travail : c’est cinq à dix millions de sans emplois de plus qu’il faudra sans doute comptabiliser après 1995. La société européenne sera encore plus qu’à présent, une société à deux ou trois vitesses, même si un revenu de "minimum vital" permet la survie des plus démunis.
Les responsables politiques se gargarisent du "Grand Marché Européen" - en particulier en France, pourtant la plus mal placée avec son outil industriel sous performant et ses mentalités conservatrices - car ils espèrent gagner quelques années pour masquer leur incapacité à s’engager dans la transformation qui s’impose, en France comme ailleurs (3). lis n’auront fait que reporter leur impuissance face au chômage et à la société duale à plus loin et plus tard : jusqu’à ce que le désastre éclate dans toute son ampleur.
Comme tous les grands problèmes de société, celui-ci est complexe : il va sans dire en effet que la construction de l’Europe est indispensable pour la survie d’un continent aujourd’hui balkanisé mais elle ne sera réussie qu’en l’engageant en même temps dans les transformations qu’appelle une ère nouvelle de l’humanité.
Le grand marché demande à s’équilibrer d’un espace social, d’une volonté politique et culturelle affirmée. Alors, loin de servir d’alibi, il sera le terrain le plus propice pour bâtir une économie, nourrie à la fois par le développement contrôlé des technologies nouvelles et par une distribution progressive des richesses ainsi créées.
Un espace social élargi : "Les politiques n’ont pas encore compris que, si elle reste sans dimension sociale, l’Europe de 1993 ne correspondra pas à l’espoir des populations" (4).
Nous sommes amenés à nous interroger sur "un modèle européen de développement social" (5), et à réfléchir à des propositions centrales : les conditions nouvelles du travail et de son partage, les modalités d’une distribution des richesses, le développement local, le couplage des travaux productifs et d’utilité sociale, l’équilibre d’une protection sociale efficace pour tous. Voilà les problèmes à prendre à bras-le-corps au niveau de la Communauté, non pas pour exposer des gadgets sociaux dans la vitrine du "Grand Marché", mais pour en faire la pierre angulaire de la construction européenne.
Volonté politique et culturelle affirmée :
"L’Europe a deux vocations fondatrices : politique et culturelle" (6). A ce niveau, ce ne sont pas non plus quelques célébrations culturelles qui suffisent à affirmer la volonté politique de construire l’Europe. Le mécénat culturel, un soutien collectif à la créativité individuelle et des médias, une harmonisation des conditions de vie des citoyens sont certes indispensables mais insuffisants. Ce n’est pas d’une politique de la culture qu’il s’agit, mais de mettre en culture la politique. Les grandes lignes en sont claires : une démocratie remise à neuf, des instances éthiques à la mesure de notre temps.
Tous les trésors de l’imaginaire social ne seront pas de trop pour que l’éducation, la recherche, le droit, soient orientés en ce sens. D’autant plus que dans le même temps, nous aurons à trouver de nouveaux rapports avec la nature : le continent le plus pollué du globe devra créer son écoculture. C’est, croyons-nous, au niveau des régions de l’Europe que les problèmes de la construction européenne pourraient être le plus efficacement saisis. C’est là que le développement local peut le mieux fructifier, la lutte s’engager sur le champ contre la pauvreté, la formation professionnelle s’adapter à l’emploi qu’il soit productif ou d’utilité sociale, la coopération se nouer entre les pouvoirs publics, l’université et l’industrie. C’est là aussi que des banques spécialisées peuvent favoriser les projets écologiques, que de nouvelles perspectives peuvent être tracées pour le logement et le transport. Enfin, c’est au niveau des régions que les droits de l’homme peuvent être développés dans un monde en pleine évolution, que les formes modernes d’aliénation et d’exclusion peuvent être combattues, que des universités axées sur la recherche et l’innovation peuvent dégager de nouvelles ressources culturelles pour la civilisation planétaire à venir.
Alors, oui, une "communauté de destin" mûrirait pour les peuples et les régions de l’Europe, par-dessus les Etats-Nations dont le rôle historique est à présent terminé. Tel est l’enjeu des années 1990 pour les citoyens européens quels que soient leur rang social et leur appartenance nationale. Quel objectif pour les mouvements associatifs : créer le réseau des réseaux pour "cultiver l’Europe"

(1) Président : G. Aznar, Vice-Président : H. de Jouvenel.
(2) En 1977, leurs collègues de l’OCDE qualifiaient . la crise de "conjoncturelle"...
(3) D’une façon générale, l’opinion française est à la fois celle qui, d’après les sondages, paraît la mieux disposée à la création de l’Europe et qui en fait y est la plus mal préparée. Il faudra bien qu’elle choisisse entre les exigences de celle-ci et le mythe de "l’hexagone", du "sanctuaire" et de la "force de frappe". Mais c’est déjà un progrès que le problème soit posé.
(4) Interview d’Edmond Maire dans Libération, mars 1988.
(5) François Mitterrand, intervention à la Fédération Nationale de la Mutualité Française, 10 juin 1988.
(6) Edgar Morin - Penser l’Europe - Paris : Fayard, 1987.


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