Au fil des jours


par  J.-P. MON
Publication : août 1988
Mise en ligne : 15 juillet 2009

Bon an, mal an, la production des richesses continue sa progression à un rythme ralenti par rapport à ce qu’il pourrait être si l’on mettait en oeuvre les moyens technologiques et scientifiques dont nous disposons.
Il faut croire que l’augmentation généralisée de la richesse n’arrange pas tout le monde et que certains, peu nombreux mais puissants ont intérêt à ce que la rareté continue à régner pour le plus grand nombre.
Dans son article intitulé "Ces inégalités qui sapent la démocratie" (Le Monde Diplomatique de Juillet 1988), C. de Brie nous explique que "loin de se réduire, les formidables inégalités qui structurent les sociétés et façonnent les rapports entre les États et les peuples s’accroissent inexorablement. L’écart se creuse entre riches et pauvres dans les pays développés, entre ceux-ci et le reste de l’humanité. Région privilégiée du monde, l’Europe prospère de la Communauté compte aujourd’hui 44 millions de pauvres, chacun disposant de moins de la moitié du revenu individuel moyen de son pays ; on en recensait 30 millions en 1976. Y figurent en grand nombre : personnes âgées, vivant souvent dans la solitude et la misère, mère de famille célibataires (elles sont près de 4 millions), population immigrée. La moitié des 16 millions de chômeurs sont sans travail depuis plus de deux ans et la majeure partie d’entre eux ne touchent plus d’allocations. Un jeune européen de moins de vingt cinq ans sur quatre est privé d’emploi, donc de revenu. La plupart n’en ont jamais eu".
A l’autre extrémité, 20 % de la population disposent d’environ la moitié des revenus et des patrimoines et 10% s’en attribuent plus du tiers. Au cours des dix dernières années,dans de nombreux pays d’Europe comme aux États-Unis, les riches sont devenus plus riches et les pauvres plus pauvres".
Il n’est donc pas étonnant que devant de telles inégalités certains pays aient mis en place des systèmes de revenu minimum garanti pour les plus défavorisés de leurs citoyens. A la suite du Colloque qui s’est tenu en Septembre 1986 à Louvain-la-Neuve, la Grande-Relève a, dans sa rubrique "BIEN", présenté les divers systèmes existants dans la plupart des pays de la Communauté Européenne. De telles allocations existent aussi au Canada, aux États-Unis (mais bien réduites depuis l’arrivée de Reagan à la Présidence), en Australie, en Nouvelle-Zélande,... Mais, nulle part n’existe encore de véritable système universel inconditionnel de revenu minimum. Nulle part non plus, cela ne marche très bien en ce sens que les résultats obtenus ne sont jamais à la hauteur de ceux qui étaient recherchés, et cela n’est guère étonnant puisque les causes qui ont entraîné la mise au point de ces programmes existent toujours et ne sont pas près de disparaître, la principale d’entre elles étant le chômage.
Partout se pose le problème du financement de ces allocations.
En France, il n’y avait jusqu’ici rien d’équivalent. Depuis le retour au pouvoir des socialistes, le projet d’institution d’un revenu minimum d’insertion est devenu une priorité du gouvernement. Mais beaucoup de questions restent encore sans réponse : comment et par qui sera attribué le revenu minimum d’insertion sociale ? Qu’entend-on par "insertion" ? Selon les rares connaisseurs du problème "ce serait une erreur que de croire tous les "nouveaux pauvres" capables de se rendre utiles, même à des postes modestes. Il faut d’abord s’occuper de leurs handicaps les plus flagrants. Certains sont sans domicile fixe, n’ont plus de papiers d’identité, ont besoin d’un bilan de santé, doivent se soigner ou subir une cure de désintoxication. Le premier acte d’insertion, cela peut être d’apprendre à se laver, mais aussi à se lever ou à être à l’heure. Quelquefois, il s’agira de les suivre pour éviter que l’attribution d’un revenu ne provoque des perturbations, y compris psychologiques". A côté de ça, il faut aussi se méfier des réflexes d’intolérance de certains à l’égard de "gens payés à ne rien faire", car, vestige d’une époque de pénurie où tout était rare, le mythe du travail nécessaire pour vivre existe toujours.

Heureusement, quelques voix commencent à s’élever pour proclamer qu’il existe d’autres valeurs que le travail tel que certains veulent continuer à nous le faire concevoir. C’est ainsi que dans "La frontière invisible. Du mythe français à la renaissance de l’Europe", Roland Clément qui est libraire mais aussi conseiller municipal, donc "homme de terrain", nous explique comment peut s’esquisser "un épanouissement non utilitaire des peuples" : "La culture, c’est le travail substitué. La culture, c’est le temps sauvé. En méconnaître la priorité absolue, c’est ouvrir largement tous les abîmes."... "Le laisser-faire ne permettra pas de tendre vers ce but. L’homme doit prendre en main son destin, le planifier ; il doit discréditer l’argent en tant que substitut du religieux et valeur mythique, base de la productivité, de la compétitivité, mots magiques à l’abri desquels se perpétuent les crimes contre la vie".
Après tout, c’est sans doute dans les activités culturelles qu’il faut créer, provisoirement, ces fameux "nouveaux" emplois que l’on cherche, en vain, dans le secteur tertiaire. Mais évidemment ce ne sont pas des emplois rentables, au sens capitaliste du terme...
Quoi qu’il en soit, et bien que, pour notre part, nous ne puissions considérer le revenu minimum que comme un pis-aller, nous devons nous réjouir de son instauration en France. C’est encore une étape supplémentaire franchie vers l’économie distributive. Songez qu’il y a dix ans, quand nous parlions de distribuer des revenus sans échange de travail, on nous riait au nez en nous traitant d’utopistes.
En ce qui concerne les difficultés que semble soulever la mise en oeuvre du revenu minimum d’insertion, nous avons des propositions simplificatrices à faire : c’est de l’attribuer tout bonnement à tout le monde sans conditions restrictives (cela évitera la paperasse, les enquêtes pour connaître les bénéficiaires, les contrôles, etc...).
Dans un premier temps on rattraperait par l’impôt ce que les possesseurs de gros revenus auraient ainsi acquis en plus.


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