Nouvel Ordre Mondial


par  A. PRIME
Publication : novembre 1990
Mise en ligne : 19 décembre 2008

Depuis quelque temps, et singulièrement depuis la crise du Golfe, nombre de dirigeants occidentaux font référence à un Nouvel Ordre Mondial. Peu de chose à voir avec le nouvel ordre économique mondial dont on nous rebat périodiquement les oreilles depuis une quinzaine d’années, et qui concerne plus particulièrement la réforme du système monétaire international (source de nombreux maux et disfonctionnements de l’économie), le problème de la dette des pays du Tiers-Monde, les échanges internationaux, l’activité et les méthodes du FMI, etc...

Le Nouvel Ordre Mondial en question a plutôt un relent, au niveau planétaire, de l’Ordre Nouveau que feu Hitler voulait imposer à l’Europe.

Trois événements sont à la base de cette "philosophie" nouvelle

- les événements survenus en 1989/1990 dans les pays de l’Est,

- la crise du Golfe,

- les problèmes relatifs à la survie de la planète qui sont posés avec force depuis quelques années : trou dans la couche d’ozone, réchauffement de l’atmosphère, vitrification et nuit nucléaires.

Les événements survenus à l’Est, à une rapidité incroyable et imprévue, ont mis fin à la guerre froide. Résultats les plus marquants

- sur le plan économique, retour à l’économie de marché dans les pays concernés,

- sur le plan militaire, éloignement de conflits potentiels Est-Ouest et tendance au désarmement. Mais la crise du Golfe suscite aussi des réflexions et des réactions qui renforcent l’idée d’un nouvel ordre mondial. Une haute personnalité américaine déclare : "La véritable signification de cette crise est qu’elle va définir le monde de l’après-guerre froide". Et Claude Imbert, dans le Point, écrit : "La confrontation du Nord et du Sud se lève tandis que l’agonie communiste éteint le conflit de l’Est et de l’Ouest".

Concrètement, comment se répartissent les grands acteurs du monde, au moment où se développe la crise du Golfe ?

Deux super-puissances politicomilitaires  : les Etats-Unis et l’URSS, toutes deux, à des degrés divers, économiquement malades, alors que, depuis un demi-siècle, elles étaient, l’une leader du monde capitaliste, l’autre leader du monde communiste.

Deux grandes puissances, essentiellement économiques (mais il apparaît clairement que la puissance politique leur sera donnée sous peu par surcroît) : l’Allemagne réunifiée et le Japon.

Un Tiers-Monde en pleine explosion démographique, pillé par les pays riches : financièrement (prêts) et matériellement (cours des matières premières).

La Chine, dont le devenir reste assez imprévisible, surtout après les événements de la place Tien An Men : un pays qui compte près du quart des habitants de la planète.

Etats-Unis

Nous l’avons maintes fois analysée dans ces colonnes : la politique de Reagan, le "grand communicateur", en huit ans, a conduit au déclin industriel et financier des Etats-Unis. L’inflation est repartie, les taux d’intérêts sont élevés car l’Etat, pour combler ses déficits, doit attirer les prêteurs ; mais ces taux élevés gênent les industriels, et effectivement, la croissance était en stagnation avant la crise du Golfe (croissance zéro avant l’été) ; la moitié des 2.500 caisses d’épargne sont en faillite (1) et "35 grandes banques pourraient faire faillite prochainement".

Cependant les Etats-Unis restent la première puissance militaire du monde ; la célérité et l’ampleur du déploiement de leur force dans le Golfe sont là pour le confirmer. Ils entendent bien garder et renforcer leur rôle de "gendarmes du monde", comme nombre de journalistes et personnalités le constatent couramment. Bush, dont la cote était au plus bas comme gestionnaire de la "maison Amérique", a brusquement crevé les plafonds dès lors qu’il a brandi la force.

Mais surtout, les Etats-Unis, qui consomment 25 % du pétrole mondial, ont désormais "pour satisfaire leurs besoins vitaux" (sic) besoin du pétrole du Golfe. André Giraud est catégorique : "L’économie américaine ne pourra plus fonctionner sans accès au MoyenOrient. II suffit, pour s’en persuader, de regarder la courbe des importations américaines de pétrole". (2)

Par leur intervention rapide et musclée dans le Golfe, les Etats-Unis font d’une pierre deux coups : ils apparaissent comme les meilleurs défenseurs du droit et s’installent durablement dans les pays qui produisent 60 % du pétrole mondial. Chevènement, pour une fois, voit clair ; il confesse en privé : "Les Américains veulent détenir la pompe à essence du monde". Et A. Giraud, homme de droite, fait écho "II me parait inacceptable de remplacer la domination de l’OPEP par celle des Etat-Unis".

Les Américains ont besoin de rester les gendarmes du monde, pourchassant tout ce qui s’opposera à leurs "intérêts vitaux"... et en plus tout ce qui aura une teinte de révolution communiste ou socialiste. Mais ils n’ont plus la richesse d’antan. Aussi font-ils payer la note de leur intervention par les autres dans la crise du Golfe, essentiellement l’Arabie Saoudite, l’Allemagne, le Japon, celui-ci marquant peu d’empressement à payer sa quote-part.

Le gendarme du monde américain, militairement puissant, continuera à avoir des "gendarmes satellites" dans les pays sous-développés auxquels il vendra des armes pour équiper en réalité des forces de police militaires, afin de mâter les révoltes potentielles des masses exploitées.

Pour conclure sur l’Amérique, rappelons pour mémoire qu’il est un autre domaine où elle règne et régnera de plus en plus sur le monde : celui de sa "culture" (American way of life, désastreuse pour la multiplicité et la variété des cultures du globe), séries américaines violentes et souvent infantiles, coca-cola et fast food du corps et l’esprit, etc...

URSS

Nous avons depuis un an régulièrement suivi la fuite en avant de Gorbatchev - qu’il n’avait sûrement pas prévue au départ -, fuite qui l’a conduit à la perte de son empire, à l’abandon total du socialisme et à l’économie de marché.

II a suffisamment de problèmes avec son économie et ses républiques pour être hors jeu pour longtemps. Mais il garde intacte sa puissance militaire. Dans sa rencontre avec Bush, il a sûrement fait admettre sans difficulté que ses problèmes intérieurs lui interdisaient de participer à l’équipée militaire du Golfe ; en contrepartie, il a confirmé son approbation des mesures prises par l’ONU.

Le marché de l’URSS va sûrement échapper à l’Amérique pour l’essentiel, car elle n’a plus les moyens financiers pour profiter de l’ouverture (3). Par contre les Allemands vont se régaler.

Allemagne et Europe

II n’y a plus ni RFA, ni RDA, mais seulement une grande Allemagne de près de 80 millions d’habitants, avec bientôt pour capitale Berlin. Berlin, capitale réelle d’une grande Europe, s’étendant un jour de l’Atlantique à l’Oural, comme de Gaulle l’avait évoqué.

Si nous "couplons" Allemagne et Europe, c’est - comme nous l’avons dit et répété depuis des mois - que l’Allemagne dominera l’Europe. Nos bons apôtres s’énervent et nous donnent raison. Le 25 septembre, s’est tenu à Paris un Forum Européen sur l’Allemagne. Delors et Fauroux se sont fâchés. Fauroux a demandé à l’Allemagne : "de cesser de pratiquer cette espèce d’autocontemplation dans laquelle elle se complaît et de penser un peu plus en termes mondiaux, c’està-dire de prendre un peu plus du fardeau des affaires du monde".

A propos de l’UEM (Union économique et monétaire), Delors s’impatiente : "Les Allemands en veulentils vraiment  ? Bien franchement, je m’interroge souvent... Nous avons besoin d’engagements clairs et sans ambiguités pour réaliser l’accélération prévue".

Et le Président de la Commission de Bruxelles fait part de ses craintes : l’émergence "d’une Europe qui rate son ambition politique... d’une Europe molle avec une Allemagne forte au milieu".

Depuis le début de la crise du Golfe, l’Allemagne est bien discrète. II est vrai qu’elle était fort occupée par la réunification. Alibi. L’Europe politique chère à Mitterrand et Delors n’intéresse guère la grande Allemagne. Mais il faut bien qu’il reste un hochet à cette France dont un ministre allemand disait qu’elle s’obstinait à vouloir voyager en première avec un billet de seconde.

L’Allemagne, avec ses réserves accumulées grâce aux excédents de sa balance commerciale, peut à la fois payer la reconstruction de la RDA, s’implanter profondément à l’Est où elle a déjà une bonne longueur d’avance, et être aux premières loges quand l’URSS s’ouvrira. Cela, c’est du concret, de la real-politik. C’est ça qui l’intéresse, bien plus que l’Europe politique.

Et après 45 ans, elle va pouvoir tirer un trait sur les complexes de culpabilité hérités du nazisme et réclamer, imposer une reconnaissance politique conforme à sa puissance économique.

Voilà comment l’Allemagne de 80 millions d’habitants se situera sur l’échiquier du Nouvel Ordre Mondial.

Japon

Quelques mots sur le Japon. La situation est assez comparable à celle de l’Allemagne : excédents commerciaux énormes, force de frappe industrielle et financière incomparable, puissance exportatrice, capacité d’implantation à l’étranger grâce à ses réserves.

Rappelons que 25 % des voitures

vendues aux Etats-Unis sont japonaises, que, sur les traces de Sony qui a racheté Columbia, Matsushita, numéro un mondial des téléviseurs et magnétoscopes, s’apprête à acheter MCA (studio Universal, entre autres), avec un chiffre d’affaires de 3,4 milliards de dollars.

Rappelons encore que 75 % de l’industrie automobile anglaise sont passés aux mains des Japonais (bravo Madame Thatcher, élève de Reagan il est vrai !)  ; que Mitsubishi et Daimler Benz, deux géants, sont en train de conclure toute une série d’accords ; qu’ils vont probablement s’associer pour construire en URSS une usine de production de bus et voitures (250.000 au départ).

Le Japon s’active aussi dans les pays de l’Est. A l’instar de l’Allemagne, le Japon ne se mêle guère de la crise du Golfe. A l’Amérique, la France, l’Angleterre la "défense du droit". Au Japon, les bénéfices, les investissements civils et à long terme (4). Le Nouvel Ordre Mondial ? Pour la fourmi japonaise, c’est un travail d’implantation en profondeur, loin des grands éclats médiatiques. C’est l’efficacité, l’Empire Economique.

En résumé, pour ce qui concerne l’Allemagne et le Japon, 45 ans après leur écrasement en 1945, les vaincus d’hier sont les vainqueurs d’aujourd’hui dans la "guerre économique", la compétition à outrance qu’a instaurée le Capitalisme.

Quelques mots sur les problèmes relatifs à la survie de la planète : la nécessité a permis que des dangers depuis longtemps dénoncés par divers mouvements ou associations soient enfin pris en compte par les gouvernements. Nos amis les Citoyens du Monde ont proposé depuis longtemps des solutions, notamment la remise entre les mains d’une Assemblée des Peuples et d’un gouvernement mondial d’un pouvoir, même limité et sélectif, seul capable de régir les très graves problèmes posés au niveau de la planète.

Mais notre ami, René Marlin, a parfaitement défini dans ces colonnes et ailleurs le risque de récupération par une sorte de gouvernement mondial des puissances dominantes (le G7, groupement des sept pays les plus riches en est la préfiguration). C’est probablement une des composantes du Nouvel Ordre Mondial. A surveiller.

Nous terminerons en soulignant l’importance d’un facteur que N.O.M. sous-estime ou veut ignorer facteur qui pèsera lourd, très lourd, dans les trente années à venir : la démographie galopante du Tiers-Monde et son appauvrissement concomittant.

A noter qu’en partie, cette démographie se développera dans des pays musulmans et que l’Islamisme sur fond de misère accrue (voir déjà les réactions des peuples arabes dans la crise du Golfe) posera problème au N.O.M. des riches et des puissants, car il représente une force fanatique.

Le tableau joint, dans lequel nous avons rapproché les pays par grands groupes, montre à quel point les objectifs du N.O.M. qui se dessine sont aléatoires. Les chiffres- absolus et pourcentages donnent le frisson. La courbe 19801990 et divers facteurs (influence religieuse, niveau de vie, etc ...) ont permis d’extrapoler les peuplements en l’an 2020 : les résultats sont angoissants. Les Grands de ce monde feraient bien d’intégrer ce paramètre dans leurs méditations pour un Nouvel Ordre Mondial. Cà leur éviterait des surprises ou des faux pas.

(1) Total : 2.500 milliards de francs, soit deux fois le budget de la France (Antenne 2, le 1er octobre).

(2) André Giraud, ancien ministre de l’Industrie de Giscard, et ministre de la Défense de 1986 à 1988, dans une interview au Monde, le 27 septembre.

(3) "Le fait est que les Etats-Unis sont structurellement incapables de contribuer d’une façon substantielle au financement


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