Rien n’est plus inconfortable que le scepticisme

RÉFLEXION
par  C. BUGUET-MELANÇON
Publication : mars 2002
Mise en ligne : 27 janvier 2007

Oui, il faut prendre parti ! Plus que jamais. Et le débat salutaire soulevé par Jean- Claude Pichot le prouve : la raison d’être de la Grande Relève n’est-elle pas dans l’analyse des mécanismes économiques qui menacent la démocratie dans notre village planétaire ? La réponse de Marie-Louise Duboin, dans le numéro de janvier, tout comme son éditorial de novembre 2002 en attestent. Sans doute, dans les circonstances, aurions-nous le goût de mener le débat sur le terrain des valeurs sociales, morales et religieuses qui, elles aussi, sont en cause dans la notion de démocratie. Au risque d’élargir la mission du journal, rien ne nous empêche de le faire et de dénoncer tous les fanatismes barbares qui imposent la domination (machiste) au mépris des Droits de l’Homme et de la Femme, telles les pratiques de l’excision et de la charia. Mais, auparavant, je demande à J-C.Pichot jusqu’où peut s’exercer notre « esprit de tolérance et d’acceptation de l’autre ? »

Il est vrai que nous avons été tétanisés et pris de court devant la complexité de l’analyse des événements du 11 septembre à New-York. Montréal est à une petite heure d’avion, nous y avons des êtres chers et aimons faire de petites escapades dans ce paradis culturel. L’horreur en direct venait à bout de notre viscéral sentiment de sécurité nord-américain. Avant le 11 septembre, nous étions loin des guerres du monde et loin des massacres perpétrés par les fous de Dieu, notamment contre les femmes musulmanes en Algérie. Comme Jean-Claude Pichot et tant d’autres, nous avons été pétrifiés par l’émotion : douloureuse compassion pour les milliers de victimes, colère contre les terroristes fanatiques. Marie-Louise Duboin n’a pas eu le droit au silence, il lui fallait parler. Je peux témoigner de sa réticence angoissée devant l’éditorial à venir puisque nous étions à ses côtés au lendemain des attentats.

J’ai relu l’éditorial en cause « Sainte alliance contre ...Droits de l’Homme », il n’est pas manichéen, il met sans concessions l’éclairage sur les mécanismes économiques qui engendrent des guerres iniques non pas contre le terrorisme et le fanatisme religieux mais contre des peuples déjà victimes de ceux-ci. Ainsi, il ne dénonce pas les Américains comme peuple, mais il démontre le cynisme et les complicités des pays, dont le nôtre, et des instances soi-disant respectables, comme l’ONU, dans la défense des intérêts économiques. Du reste, vous souvenez-vous de la mise en garde de M-L Duboin en novembre 1999 dans son éditorial titré « Ne nous trompons pas de cible » ? On y lisait d’entrée de jeu : « La mobilisation contre ce qui est proposé aux négociations de Seattle a parfois des allures de déclaration de guerre aux Étatsuniens. Mais en criant “US boeuf-aux-hormones-go home !” il ne s’agit pas de jeter l’anathème sur “les Américains” mais bien sur les méthodes qui sont celles du marché libéral, et qui dominent le monde entier. »

Sa recension objective des faits dans « Faut-il suivre ? » en janvier 2002 va dans le même sens, sans justifier pour autant la folie meurtrière des intégristes musulmans, elle nous invite à réagir à la politique militariste de Bush : à ses limites dans la lutte au terrorisme et à ses conséquences dramatiques pour les peuples qui ont la malchance d’être sur le chemin des intérêts économiques américains, et des nôtres par voie de conséquence.

Non, il ne faut pas suivre ! Même si le scepticisme est inconfortable et la prise de distance qui évite de tomber dans le manichéïsme ou l’angélisme, difficile. L’Association américaine pour l’avancement de la science [1] (AAAS) en a fait l’expérience. À l’occasion de la réunion spéciale qu’elle a convoquée (14 février 2002) sur la guerre au terrorisme, l’AAAS, soulignant le fait que le président Bush abhorre les traités internationaux limitant la liberté d’action des États-Unis, elle s’est inquiétée : « Comment la coalition antiterroriste peutelle être transformée en des formes permanentes de coopération sur les armes de destruction massive ? » Elle craint par ailleurs « qu’une fièvre monte dans la communauté scientifique : la notion que la science soit utilisée comme elle l’a été lors de la Seconde Guerre mondiale, que le rythme des découvertes soit freiné, que la qualité de la vie intellectuelle soit affectée [2] ».

Aidons nos amis américains à garder l’esprit critique pour ne pas sombrer dans un nationalisme primaire, à rester vigilants devant les dérives de leur gouvernement, à s’ouvrir les yeux devant l’expansion de la guerre à d’autres fins que la lutte au terrorisme, devant les manifestations du Ku Klux Klan, devant les magouilles (Enron [3]) qui jettent dans la misère des milliers de petits actionnaires tandis que s’enrichissent les grands patrons initiés. Aidons-les à ne pas jouer les apprentis sorciers et à garder le cap sur la démocratie et l’universalisme chers aux fondateurs de la Constitution de 1787.

Comment le faire sans dénoncer les mécanismes économiques qui créent des situations mises à profit par les terroristes ?


[1Cette association regroupe 138.000 membres et publie Science, une revue trés sérieuse et lue dans le monde entier. Son congrès annuel réunit de l’ordre de 4.000 scientifiques.

[2Mathieu Perreault, La Presse, Montréal 14 février 2002.

[3Sur les agissements de cette société américaine voir Un cas d’école GR N°1018, p. 4.


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