Service (public)... non compris !
Publication : janvier 1999
Mise en ligne : 2 avril 2006
En décidant de consacrer ce numéro aux transformations radicales que la pression libérale (dérèglementations, directives européennes, organisations de commerce) exerce sur le service public en France, nous voulions, en quelque sorte, faire l’état des lieux. Mais nous ne pensions pas être à ce point débordés par... l’abondance des exemples et l’unanimité des témoignages ! Il nous a fallu résumer, condenser, couper, regrouper, pour aboutir finalement à une énumération très incomplète ... mais combien révélatrice d’une véritable mise sous tutelle de l’avenir ! Le concept et la pratique du service public ont fortement contribué à façonner notre pays et notre style de vie. De quoi s’agit-il ?
Le concept de service public est très ancien : il découle directement de la notion d’État, dont l’Égypte et la Mésopotamie sont parmi les premiers exemples significatifs. Citant l’Encyclopedia Universalis, nous pouvons dire que la structure de l’État présente deux faces complémentaires :
• les institutions politiques ayant pour objet de décider du sens et de l’orientation générale de l’État ;
• les institutions administratives répondant aux nécessités quotidiennes liées à la vie sociale, parmi lesquelles on trouve les services publics (satisfaction des besoins publics).
C’est à partir du 16ème siècle (de notre ère) que se précise la conception de service public administratif, avec notamment l’armée, la police, la justice et les impôts. à cette époque, l’enseignement et l’assistance étaient laissés aux autorités religieuses, et les postes et les transports étaient “affermés ”.
à partir du 19ème siècle, à côté de ces actes d’autorité (imprégnés de l’idée de pouvoir), se sont développés les services aux administrés, dont le rôle est la recherche de l’utilité publique et de la satisfaction des besoins de la collectivité. à partir du 20ème siècle, chaque citoyen s’est ainsi retrouvé “pris en charge” par un certain nombre “d’entreprises” nouvelles dénommées administrations, émanations de ministères de plus en plus nombreux et spécialisés dans les domaines social, industriel, commercial et professionnel. Progressivement, à partir de la Première guerre mondiale, ces entreprises ont adopté comme modèles de gestions ceux des sociétés de droit privé et le principe d’autonomie à l’égard des collectivités publiques dont dépendent les services publics s’est développé, tout en maintenant leur mise en oeuvre par les agents de l’état (fonctionnaires ou autres).
La panoplie des services proposés s’est largement ouverte en quelques décennies : après la voirie, l’éclairage public, l’assistance, la santé, l’enseignement, les transports et la poste, les progrès technologiques ont préparé l’arrivée ou le développement rapide du télégraphe, du téléphone, de la radiodiffusion, de la télévision ; des nationalisations et des regroupements ont conduit à la création d’EDF, de Gaz de France, de la SNCF, d’Air France, impressionnantes entreprises devenues des références majeures du service public à la française depuis 50 ans.
Le service public est caractérisé par trois paramètres majeurs qui l’engagent vis-à-vis des administrés : son obligation légale, la continuité du service et sa régularité ; dans le cas des services que l’on peut qualifier de marchands, (ceux qu’il faut payer chaque fois qu’on les utilise), il convient d’ajouter un prix identique pour chacun, considéré alors comme un usager. Pour des raisons historiques évidentes, la plupart des organismes producteurs des services marchands se sont constitués en monopoles, le plus souvent “mono-produit” (l’électricité pour EDF, les transports en train pour la SNCF...). Confrontés par ailleurs à des contraintes d’origine politique (l’Europe et les déréglementations venant de pays proches en sont des exemples majeurs) ou à des concurrences diverses, ils s’orientent actuellement de plus en plus vers des statuts de type privé, entrant dans le moule capitaliste, naturellement caractérisé par les notions de rentabilité et de profit (même si l’état possède une part majoritaire du capital). à titre d’exemple, la course effrénée aux nouvelles technologies est une source de concurrence : comment interdire la réception de chaînes de télévision par satellite, sauf à faire comme certains pays étrangers dont la police passe son temps à débusquer les paraboles ?
Dans ce contexte, que devient le service public devenu progressivement service au public ? Peut-on imaginer, par exemple, qu’un État puisse obtenir d’une entreprise ayant un statut de société privée, ou fonctionnant selon ses principes, les mêmes engagements que ceux qu’il assumait lui-même auparavant ? Les tornades libérales qui assaillent le monde ne vont-elles pas sacrifier sur les autels de la rentabilité et du profit une partie importante de l’âme de notre pays, nous entraînant dans un chaos bien plus grave que la fracture sociale actuelle ?
Les mesures que l’on nous annonce aujourd’hui comprennent des règles nouvelles qui sont de nature à rassurer : l’État devient régulateur, c’est-à-dire prend en charge le contrôle de la situation qu’il a créée, le plus souvent sous la pression de l’Union Européenne et des Etats-Unis, mais de manière très consentante. Devenant usagers-consommateurs-citoyens, nous avons désormais un rôle majeur à jouer : celui de ne pas laisser la situation se dégrader en veillant au strict respect de règles qui se veulent garantes de l’esprit de service public que l’on nous présente sous un nouvel habillage, mais à la mode libérale...