Une époque à hauts risques
par
Publication : juillet 1987
Mise en ligne : 17 juillet 2009
A la base des thèses que nous défendons
se situe la véritable "mutation" pour l’espèce
humaine dont notre époque est le témoin. Or, parmi les
bouleversements qu’entraîne cette mutation, la nécessité
d’une rupture entre temps de travail et montant des revenus est plus
souvent perçue (-enfin !-) que celle de la remise en cause des
mécanismes financiers du système capitaliste. Pourtant,
les risques que nous encourons en laissant s’exacerber la loi du profit
quand tant d’énormes moyens sont devenus disponibles sont au
moins aussi redoutables que les ,méfaits du chômage.
Il est des risques intrinsèquement liés à cette
mutation qui nous fournit le moyen "de traiter l’univers comme
une machine à traiter l’information". Ce sont ceux que
décrit P. Lévy dans son livre récent "La
machine univers (1)" commenté dans la lettre Science-Culture
d’avril dernier. L’auteur les décrit en trois classes : risques
de "déculturation", car lorsque l’information passe
les frontières à la vitesse de la lumière, les
particularités ancestrales risquent fort d’être estompées
; risques de "désincorporation", qu’on pourrait schématiser
en. disant que l’homme, lorsqu’il n’a plus besoin pour survivre de
travailler de ses mains, tend à perdre l’usage de ses muscles ;
risques de "déréalisation du monde", c’est-à-dire
de perdre le contact avec le réel quand tout est susceptible
d’être schématisé par l’esprit et interprété
par des simulations mathématiques.
La réaction de l’auteur est de faire confiance "aux hommes
de science les plus avancés" pour "subordonner le
développement du savoir à l’éthique de la survie
de l’espèce".
C’est faire preuve d’une belle foi dans l’intégrité
de ces hommes. Mais cette intégrité, en supposant qu’elle
existe, n’est pas suffisante. Le témoignage d’Einstein, le
comportement de Nobel ou celui d’Oppenheimer sont éloquents.
Et pour ne pas reparler ici de tous les "Amoco Cadiz" que
la compétitivité et l’appât du profit ont armés,
sans vouloir nous étendre sur l’abêtissement des foules
que nous préparent les dollars investis dans tous les Disneylands,
ni sur la passivité du public qu’entretiennent les médias
afin que la publicité rapporte gros, songeons seulement, parmi
toutes les merveilles dont la médecine d’aujourd’hui est capable,
à ces bébés-éprouvettes - pourquoi pas
sur mesure ? - et aux millions à gagner qu’y voient les "mères
porteuses"...
Alors quand Pierre Lévy (ou Armand Petitjean qui le commente) dit que "la liberté qu’il nous reste à conquérir est celle de choisir nos possibilités", nous avons quelques arguments pour répondre que cette liberté est inaccessible dans une société qui subordonne l’être à l’avoir.