Un étrange Prix Nobel
DEPUIS plus de 20 ans j’essaye, dans la mesure de mes capacités
et des informations dont je dispose, de lutter contre toutes les formes
de pollution et surtout de démontrer que le succès de
cette lutte passe obligatoirement par l’instauration d’une Economie
des Besoins, seule capable de placer les intérêts vitaux
des individus avant la sacro-sainte rentabilité financière.
Au cours de toutes ces années, j’ai eu l’occasion de citer des
centaines d’articles et d’auteurs. En toute bonne foi, je ne croyais
guère possible de trouver d’éléments vraiment nouveaux
à verser dans cet énorme dossier.
C’est aujourd’hui chose faite. J’ai découvert récemment
un livre de poche édition 1973 et qui devait dormir dans un coin
de grenier.
Le nom de son auteur m’a alerté, car c’est un homme dont on a
beaucoup parlé ces derniers mois, et qui est en outre directeur
du Figaro Magazine : il s’appelle Louis Pauwels.
Le titre de l’ouvrage ? : « Lettre ouverte aux gens heureux et
qui ont bien raison de l’être ».
Son sujet ? Dénoncer le pessimisme systématique, le dénigrement
généralisé qui ont réussi à diminuer
les unes après les autres nos raisons de vivre. La sinistrose
de nos sociétés contemporaines est, selon Louis Pauwels,
le résultat d’une entreprise de démolition de longue haleine
sans aucune issue positive ou constructive possible. L’objectif de nos
contestations se limite à « casser la baraque » avec,
en toile de fond, un plus ou moins vague retour au rousseauisme, un
abandon de toutes les réalisations dues aux progrès techniques
des cinquante ou cent dernières années.
Pour étayer sa démonstration, Louis Pauwels a recours
à sa méthode habituelle : choquer le lecteur, en prenant
le contrepied d’idées largement admises.
Et c’est ainsi qu’arrivé à la page 43 du livre, j’ai failli
m’évanouir de surprise en apprenant que Louis Pauwels «
ne croit pas au péril pollution »... Et page 44 : «
La pollution, comme mythe négatif, est une arme de guerre psychologique
maniée, contre le monde développé, par des agents.
C’est enfin un racket pour divers organismes et groupes de pression.
Je donne aux inventeurs de cette psychose le Nobel de l’escroquerie.
»
Ne pas nier l’évidence
Une affirmation aussi péremptoire mérite tout de même
d’être étayée, et Louis Pauwels ne se dérobe
pas puisqu’il consacre, en annexe à son ouvrage, plus d’une dizaine
de pages à ce sujet. Qu’y trouvons-nous ?
« Depuis 1960, nous dit-il, la plupart des problèmes de
pollution industrielle avaient été maîtrisés,
sur le plan technique (c’est nous qui soulignons). Restait à
établir ou à raffermir une législation. »
Restait surtout, hélas, à éliminer l’action des
puissants intérêts financiers qui dans tous les domaines
s’ingéniaient à tourner les lois pour sauvegarder leurs
projets. Nous connaissons les résultats...
Autre citation : « C’est à cette époque que parut
le livre de Rachel CARSON. Cette malheureuse, se mourant d’un cancer,
était persuadée que sa maladie venait du DDT. L’influence
de son ouvrage, « Le Printemps silencieux » fut désastreuse.
Au lieu de combattre les insectes, on combattit les insecticides. On
sait aujourd’hui que les références et informations tendant
à présenter ce produit comme ayant une persistance infinie
s’accumulant sans limite dans les tissus humains, étant responsable
de la disparition de milliards d’oiseaux et de poissons, et produisant
chez l’homme des effets pathogènes et cancérigènes,
ne repose sur aucune base scientifique. »
Tiens donc ! Et sur quelle base scientifique s’appuie Louis Pauwels
? Sur un communiqué de la Chambre syndicale de Phytopharmacie
reproduit par le journal Le Monde.
Il est bien évident qu’entre ce communiqué, hautement
désintéressé, et les affirmations de dizaines de
savants tels M. Jean DORST, par exemple, aucune hésitation n’est
possible.
Pourtant M. Louis Pauwels continue :
« Le DDT enfin reconnu inoffensif après 10 ans de panique
stupide, on a nourri la psychose avec le mercure. Le DDT contient notamment
du chlore. Un des procédés de fabrication du chlore consiste
en l’électrolyse d’une solution de sels marins avec une cathode
de mercure. Quand on découvrit du mercure dans le lac Sinclair,
au Canada, l’affolement fut grand. Les analyses se poursuivant un peu
partout, on devait s’apercevoir que certains poissons (comme le thon)
contiennent naturellement une petite quantité de mercure et que
cela est sans rapport avec la fabrication du DDT. ».
Evidemment, en 1973, M. Louis Pauwels ne pouvait avoir connaissance
du livre de Fernand GIGON « Le 400e chat, ou les pollués
de Minamata ». Dix mille victimes, dont presque une centaine de
morts, c’est tout de même beaucoup pour une inoffensive psychose.
M. Louis Pauwels ne croit pas non plus « à la raréfaction
de l’oxygène dans l’air et à notre, prochaine asphyxie
générale ». Sans doute n’a-t-il jamais vu les distributeurs
d’oxygène installés dans les grandes villes japonaises,
et notamment à Tokyo.
Il admet pourtant que « le problème de la pollution par
gaz d’échappement des voitures n’est évidemment pas négligeable.
» Mais « la solution a été découverte
dans la post-combustion, c’est-à-dire dans la réalisation
d’un brûleur supplémentaire détruisant le gaz d’échappement
de la voiture. Il est prévu que les automobiles américaines
seront ainsi équipées dans les 5 années à
venir, en attendant la voiture électrique. »
Nous sommes en 1982, cher Monsieur, où sont les voitures électriques
? Où sont les brûleurs supplémentaires ? Ils sont
nuisibles financièrement et n’ont par conséquent pas vu
le jour.
Et les engrais chimiques ? « Il a fallu trente ans de lutte pour
anéantir l’idée que les engrais artificiels détruisaient
le sol et produisaient des aliments malsains. » Qu’en pensent
les agriculteurs, chaque jour plus nombreux, qui se sont ralliés
aux méthodes de culture agrobiologiques ?
Et la pollution des océans ? Au diable Cousteau, Bombard et autres
prophètes de malheur qui se prétendent bien placés
pour tirer les sonnettes d’alarme, sous prétexte qu’ils ont vu
et étudié sur place. M. Louis Pauwels, lui, n’est pas
inquiet ; il ne redoute ni une crise de l’eau pure, ni l’immersion de
déchets radioactifs, mais admet tout de même « qu’il
faut surveiller les pétroliers », surveillance particulièrement
efficace si l’on s’en réfère aux nombres de marées
noires survenues depuis la sortie de son livre.
Avec le recul des années, le démenti des faits devient
plus cinglant. Il est toujours dangereux, et parfaitement inutile, de
nier l’évidence.
Le progrès au service de l’homme
D’autant plus que, parmi les défenseurs de la Nature, broyer
du noir ne constitue pas toujours le dernier chic, et que nul ne songe
sérieusement à nier les acquits positifs de la science
et de la technique dans des domaines comme celui de la médecine
par exemple, ou de la lutte contre la famine. Nul, même parmi
les partisans de la croissance zéro, n’envisage un impossible
retour en arrière à la vie du bon sauvage.
Mais nier la pollution est un enfantillage encore plus dangereux. Et
le principal avantage d’une économie des Besoins c’est précisément,
dans ces problèmes comme dans beaucoup d’autres, de concilier
les inconciliables de notre système économique actuel.
Réclamer que les progrès techniques soient mis au service
de l’homme est un lieu commun. Préciser comment y parvenir est
beaucoup plus difficile.
Prenons un exemple : celui de l’énergie. Parlant des moyens de
captage des diverses énergies douces, non polluantes, M. Marcel
BOITEUX, Président d’E.D.F., écrit dans Le Figaro du 21
mars : « ce qui importe pour qu’une énergie vaille ou non
d’être mobilisée, c’est son coût. »
Oui, mais quel coût ? Dans notre système économique
actuel, aucune ambiguité : c’est le coût financier, la
rentabilité financière des capitaux investis, avec tous
les non sens qui en résultent au niveau des décisions.
Sans aller jusqu’à préconiser l’Economie des Besoins,
M. Marcel BOITEUX est tout de même conscient du problème
puisqu’il écrit un peu plus loin : « Il reste que le calcul
économique n’intègre pas toujours, ou pas assez, certaines
raretés essentielles, mais encore non marchandes, telles que
l’air pur, l’eau propre, ou la terre vierge. Une économique rationnelle
de ce type de biens collectifs est encore à faire pour rendre
opérationnel un mode de calcul économique qui ferait sa
juste place à ces raretés essentielles. »
On croirait lire Philippe de SAINT-MARC. Oui, cette économie
reste à faire, et c’est pour cela que nous ne devons pas désespérer
de l’avenir. Nous voulons bien, comme M. Pauwels, être optimistes,
mais pas en nous bandant les yeux. Et nous ne sommes pas seuls, si j’en
crois la conclusion d’un article de M. Henri GUITTON, Président
de l’Institut, dans le même Figaro du 21 mars dernier.
« Derrière le visible de type kafkaien, je vois aussi se
profiler un invisible ouvrant une voie nouvelle. La fin d’un monde peut
être le début d’un monde nouveau. Le chômage, qui
croît, annonce en effet une mutation profonde dans le monde salarial.
Lorsqu’il aura atteint ce chiffre de deux millions qui nous fait peur,
l’heure aura sonné de reclasser autrement que dans des grandes
usines, ces jeunes, ces femmes qui ont grossi le volume des demandeurs
d’emploi mal trouvable. Il ne faut pas s’attrister indéfiniment
de la substitution des machines, soit aux muscles, soit à l’intelligence
de l’homme. Cette substitution fera surgir des emplois hors du monde
salarial de la dépendance, dans un ensemble artisanal rénové.
L’ère des micro-ordinateurs n’est pas encore commencée.
Oserai-je dire encore que derrière un renouveau technique, dans
un invisible encore plus souterrain, une résurgence des valeurs
morales est en train de s’opérer ? Après une décadence
évidente de ces valeurs qui nous afflige tant, puisqu’elle a
conduit au désarroi, à la violence, aux destructions stupides,
ne sentezvous pas venir pour demain une remontée chez les tout
jeunes ? Après la contestation, un certain dégoût
se fait jour. Ne serait-il pas comme pré. curseur de ce supplément
d’âme que nous attendons depuis si longtemps ? Les générations
montantes sont encore silencieuses. Par-delà les agressions des
minorités extrémistes, ce silence me paraît prometteur.
Les invisibles de longue durée entretiennent pour moi l’espérance.
»
Qu’ajouter à ce texte sinon que, depuis plusieurs décades,
les invisibles porteurs d’espérance ont pour nous le visage de
l’Economie des Besoins.