La montée du chômage
par
Publication : mars 1982
Mise en ligne : 13 janvier 2009
DANS son numéro du 8 février 1982, la revue américaine Time consacre un long article à la montée du chômage aux Etats-Unis. Ce pays, qui se considère comme le plus puissant du monde et le champion de l’économie de marché et de libre entreprise, est en proie à de graves difficultés qui illustrent bien la crise que le système capitaliste traverse en ce moment.
QUELQUES CHIFFRES
Chaque mois, les services officiels publient diverses statistiques.
Parmi tous ces chiffres il en est un qui a une résonance particulière
sur le plan politique et sur le plan humain, c’est celui qui indique
le pourcentage de la population active actuellement sans travail. De
mois en mois il ne cesse de monter, passant de 8 % en octobre 81 à
8,4 % en novembre et 8,9 % en décembre. Le chiffre de janvier
n’était pas encore connu au moment où l’article a été
rédigé. Ainsi donc, en décembre, 9 millions et
demi d’Américains étaient sans emploi.
A qui profite cet état de fait ? Pas aux chômeurs bien
sûr. Pas plus au gouvernement pour qui 1% de plus de chômeurs
représente un déficit supplémentaire de 25 milliards
de dollars (environ 150 milliards de francs lourds) en impôts
non perçus et en allocations versées.
A propos d’allocations, la nouvelle politique mise en oeuvre par le
président Reagan consiste à les réduire afin de
diminuer les dépenses du gouvernement. Au plus fort de la récession
qui dura de 1973 à 1975, plus de 75 % des Américains au
chômage (ils étaient près de 8 millions et demi)
percevaient une aide. En décembre 1981, ce chiffre était
tombé à 37 %.
Hélas, le chômage n’affecte pas que les Etats-Unis. Au
Canada, les sans emploi représentent 8,6 % de la population active
; en France, 8,7 % en Italie 9,1 %, en République Fédérale
7,3 % et en Grande Bretagne, où le gouvernement suit une politique
économique et monétaire assez voisine de celle des Etats-Unis,
le triste record est battu avec 12,7 %.
QUI EST ATTEINT ?
Tous les Américains ne sont pas affectés de la même
façon par le chômage. Bien sûr, ce sont les travailleurs
les moins qualifiés ou ceux qui appartiennent aux minorités
qui souffrent le plus. Le taux de chômage chez les Noirs est de
17,4 % et chez les jeunes de 21,7 %. Si ces jeunes ont le malheur d’être
aussi des Noirs, le pourcentage atteint 39,6 %.
Il existe également une catégorie de « travailleurs
» particulièrenient remarquable. C’est celle des «
travailleurs qui ont perdu espoir », en d’autres termes, ceux
qui, au cours des quatre dernières semaines, n’ont pas cherché
d’emploi. Ils ne sont plus considérés comme chômeurs
bien qu’on en compte 1 200 000. Il y a aussi ceux qui ont dû se
contenter d’un travail à mi-temps ou à temps partiel et
qui ne sont pas plus de 5400000.
Les industries le plus durement touchées sont l’automobile et
le bâtiment, avec, pour la première, un taux de chômage
de 21,7 %, et de 18% pour la seconde. Les fonctionnaires ne sont guère
mieux lotis puisque le président veut dégraisser les effectifs,
comme on dit, et licencie même une partie des fonctionnaires qui
ont pour tâche de distribuer les allocations chômage.
A titre d’exemple, Time cite le cas d’un vendeur d’automobiles de Californie
célibataire qui, en des temps plus heureux, gagnait environ 2
000 dollors par mois, soit environ 12 000 francs lourds. Lorsque les
ventes de voitures ont baissé il s’est retrouvé avec un
revenu mensuel ramené à 250 dollars, soit 1 500 francs.
A 54 ans, avec une formation professionnel. le qui n’est plus adaptée
aux techniques nouvelles, il n’a pas pu trouver d’autre emploi et vit
depuis un an dans les locaux d’une Mission qui lui fournit les repas,
un lit dans une chambre de 8 personnes et une allocation hebdomadaire
de 8 dollars, soit 48 francs.
QUEL AVENIR ?
Toutes ces statistiques sinistres rie peuvent qu’éclairer davantage une situation depuis longtemps connue de nos lecteurs. La crise actuelle a essentiellement pour cause une redistribution des cartes. De nombreux pays ont, depuis peu, atteint l’ère industrielle et sont de dangereux concurrents pour les pays industrialisés depuis longtemps, habitués à un niveau de vie élevé dont les entreprises ne peuvent plus faire les frais. Pour survivre, les producteurs réduisent au maximum leurs dépenses et licencient, se privant ainsi de clients qu’elles doivent rechercher à l’étranger où la concurrence est vive. Les robots n’ont encore fait qu’une apparition timide mais cela ne va pas durer. Alors le chômage va continuer à croître globalement même si on enregistre une légère reprise dans les mois qui viennent. Une seule solution : le partage du travail que les machines ne peuvent accomplir mais sur des bases complètement nouvelles, celles de l’Economie Distributive.