L’utopie ou la barbarie
par
Publication : avril 1982
Mise en ligne : 13 janvier 2009
« La barbarie encor tient nos pieds dans sa gaîne,
Le marbre des vieux temps jusqu’aux reins nous enchaîne
Et tout homme énergique au dieu Terme est pareil. »
Quelques fois, tout comme le poète, le chemin à parcourir
nous semble long, empêtrés que nous sommes dans ce «
marbre des vieux temps » de moins en moins noble et de plus en
plus cruellement absurde.
Le découragement atteint parfois son comble lorsque votre interlocuteur,
confronté, alarmé même par les proportions dramatiques
que prend la crise économique actuelle et ce, quel que soit le
gouvernement au pouvoir, cet interlocuteur donc vous lâche du
bout des lèvres cette « utopie » avec laquelle il
espère clore le débat.
Mais enfin d’où vient cette peur ? Pourquoi ne pas la saisir
cette utopie ? Prouvons-le au moins que c’en est une. Nous, nous risquons
le pari, il en vaut la chandelle. Le remède que propose A. Hunebelle
semble imparable. Les mesures concrètes qu’il propose ne sont-elles
pas infiniment moins utopiques que les promesses de créations
d’emplois ? Certains gouvernements, comme c’est le cas ici au Québec,
entretiennent soigneusement cette illusion alors même que s’effectuent
de sévères compressions budgétaires qui en suppriment
radicalement. Autre absurdité, on exerce des pressions morales
sur les syndiqués du secteur public pour qu’ils renoncent spontanément
» à toute augmentation de salaire et à certains
acquis au niveau de la retraite, mais on permet à messieurs les
banquiers de hausser impudemment les taux d’intérêt. On
est résigné à ce qu’on voudrait nous faire prendre
pour une fatalité. Réussirons-nous, avant qu’il ne soit
trop tard, à secouer ce fatalisme suicidaire de nos contemporains
? On ne peut plus ne pas être saisis de l’urgence de réfléchir
mais surtout d’agir sur les mécanismes économiques.
Si je parle d’urgence c’est que je suis frappée par le changement
de mentalités chez les jeunes quand bien même ils appartiennent
à des milieux favorisés. Les questions fondamentales ne
sont plus pour eux d’ordre « existentiel » mais reflètent
la brutale actualité de la crise, du chômage et de la guerre
totale. Ce pessimisme fait froid dans le dos et on ne peut plus, sans
impudence, les envoyer « cueillir les roses de la vie »...
Dans le face à face quotidien avec les jeunes on se sent honteux
de toute apathie. Pourquoi avoir troqué le Petit Chaperon Rouge
pour le Petit Prince ? On ne veut plus faire peur aux enfants ? Est-ce
pour leur réserver un vrai suspense, une vraie peur, pas celle
si dérisoire. du loup ou de l’an 1000, celle bien concrète
de l’an 2000, avec sa panoplie d’armes nucléaires ? Au moins
là avouons-le nous tenons une certitude : notre barbarie et le
pessimisme qu’elle engendre ne sont pas des utopies.