Le troubadour du capitalisme
par
Publication : avril 1982
Mise en ligne : 13 janvier 2009
ECHARDE plantée au flanc de la richesse, la pauvreté
donne aux riches mauvaise conscience. Elle dérange leur confort
d’esprit, semant le doute chez les théoriciens du capitalisme
libéral inquiets de la voir persister et s’étendre, en
dépit d’une croissance continue de la production, propre à
la résorber. Il s’agit donc de disculper les riches et le système
dont ils profitent, des accusations dont ils font l’objet. Troubadour
d’un néo-capitalisme d’extrêmedroite, GILDER dans son livre
« Richesse et pauvreté » (1), prend le taureau par
les cornes et mène son attaque sur deux fronts
Les pauvres sont responsables de leur condition. L’assistance sociale
les rend paresseux. Cette assistance supprimée, les chômeurs
devront nécessairement se remettre au travail, participer à
la créativité, à la productivité, à
l’innovation. Qui ne travaille pas ne mangera pas, disait déjà
St Paul au premier siècle de notre ère. « L’aiguillon
de la pauvreté, écrit GILDER, est la chose la plus nécessaire
à la réussite des pauvres ».
En outre, observe GILDER, les programmes d’aide sociale ont un effet
corrosif sur la richesse, taxée, imposée, découragée,
alors que le but suprême du libéralisme économique
est l’accumulation du capital en vue d’investir. Aussi Gilder tire-t-il
à boulets rouges sur l’impôt progressif qui frappe les
hauts revenus.
Dans la foulée, il déclare la guerre aux contrôles
car ils découragent l’esprit d’entreprise. Guerre également
aux appareils régulateurs de l’Etat, à l’Etat-providence,
aux Assurances, à l’impôt sur les plus-values ; guerre
surtout à l’économie stagnante. Les paysans encombrés
de leurs stocks ? Qu’ils se débrouillent. Les veuves, âgées
ou laides, se trouveront un nouvel époux. Les vieux, les impotents
? Qu’ils crèvent ; ce sont des parasites, des inutiles qui vivent
aux crochets des riches. Plus d’aide aux « canards boîteux
» : tant pis pour les outillages inutilisés, les actifs
gaspillés. N’est-ce pas excellent pour la mobilité ? Il
nie en bloc l’efficacité des transferts, n’en retenant que les
effets pervers sur la croissance, spoliateurs à l’égard
des riches, mais se gardant d’évoquer leur rôle en matière
de débouchés étatisés, générateurs
de hauts profits au niveau des grandes compagnies et de leurs sous-traitants.
Pourquoi parler de lutte des classes puisque les classes n’existent
que dans l’imagination des marxistes ? On n’appartient pas à une
classe. On y entre et on en sort à tout instant au gré
du hasard, de la chance ou de la malchance. La mobilité sociale
est un fait caractéristique de la société américaine.
Les riches d’aujourd’hui ont été les pauvres d’hier et
seront souvent les pauvres de demain. Traqués par le fisc, victimes
des droits de succession, leurs avoirs consumés par les dévaluations,
leurs propriétés morcelées, partagées par
leur descendance, c’est à se demander où ils puisent le
courage, la foi d’entreprendre.
Pauvres riches ! Que ne ferait-on pour les aider dans l’accomplissement
de leur noble tâche, eux qui soutiennent à bout de bras
les colonnes du temple, eux qui par leur épargne, leur travail,
leurs mérites, la foi, la créativité et autres
vertus cardinales non moins indiscutées, alimentent la machine
économique en capital, créent la seule, la vraie richesse
: l’argent, clé du pouvoir, gage de considération ?...
GILDER n’a pas vu, ou feint de ne pas voir, l’irrésistible évolution
de notre monde industriel aux prises avec des usages monétaires
inadéquats. « Même Adam SMITH, écrit-il pourtant,
dont le nom symbolise l’ordre capitaliste, prévoyait sa décrépitude
finale : l’avènement ardemment souhaité d’une société
d’abondance dissoudrait les objectifs et les fondements mêmes
du. système » (p. 19).
C’était mal connaître l’esprit capitaliste. Périssent
les hommes plutôt que le système ! Pour en préserver
les mécanismes, pour sauvegarder le profit, une pléïade
de chercheurs besogneux n’a cessé, depuis un demi-siècle,
d’imaginer des séries de moyens propres à maîtriser
l’abondance ou à l’empêcher de naître, à éviter
la submersion des marchés par des crues de production temporaires
ou durables dans un certain nombre de secteurs. Armements, guerres,
spatial, nucléaire, aide extérieure, stockages, «
banque du sol », gaspillages, grands travaux non prioritaires
comptent ainsi parmi les principaux de ces moyens auxquels GALBRAITH
a cru devoir adjoindre l’extension des services publics, le tout financé
par le budget et l’inflation...
Le livre de GILDER donnera lieu à bien des exégèses.
Déroutant à plus d’un égard pour la pensée
classique, il sera pour beaucoup d’économistes, une mine d’informations
et une source de réflexions, en dépit de ses incohérences,
de ses contradictions, de ses ommissions, de ses paradoxes, écrit
dans un style émaillé d’envolées lyriques et de
métaphores. Mis entre les mains de néophytes, il peut
se révéler dangereux, néfaste pour leur formation,
en raison des pièges qu’il contient.
(1) Publié par Albin Michel.