Au fil des jours
par
Publication : mars 1982
Mise en ligne : 12 janvier 2009
Toujours les « méfaits » de l’abondance :
- les producteurs du Finistère ont déversé 30 000
têtes de choux sur la chaussée à Cléder,
le mardi 9 février, afin de protester contre la baisse des cours
provoquée par un apport massif de choux-fleurs ;
- le secrétaire américain à l’agriculture a annoncé
le 29 janvier dernier que les agriculteurs des Etats-Unis devront en
1982 réduire de 10 % leurs superficies cultivées de maïs
et de 15 celles cultivées en blé, en coton et en riz,
s’ils veulent bénéficier des programmes de soutien des
prix de ces produits. On explique cette décision par l’importance
des récoltes de 1981 qui a pesé « défavorablement
» sur les cours.
- 41 superpétroliers de plus de 150 000 tonneaux, d’un âge
moyen de onze ans seulement, ont été jetés à
la ferraille en 1981 à cause de la dépression du marché
pétrolier.
*
C’est le moment de payer le premier tiers et de penser aux déclarations
de revenus. Vous serez donc contents d’apprendre que la fraude fiscale
en France est estimée à 90 ou 100 milliards de francs
1982, soit à peu près l’équivalent du déficit
budgétaire de 1982. Et pour vous consoler, vous serez ravis de
savoir, aussi étonnant que cela puisse paraître, que c’est
en France que l’impôt sur le revenu est le plus faible de tous
les pays de l’O.C.D.E. Cet impôt direct ne représente que
18 % de nos recettes fiscales et 7,72 % de notre produit intérieur
brut. Respectivement ces rapports sont de 35 % et 13 % en Allemagne
Fédérale, de 47 % et 30,7 % aux EtatsUnis, de 43 % et
50 % en Suède et de 40 % et 26 % au Japon.
Comme seuls l’Espagne et le Portugal nous ressemblent à cet égard,
les experts anglo-saxons de l’O.C.D.E. disent : « En matière
fiscale, au moins, la France est encore un pays méditerranéen.
»
Le berceau de la civilisation occidentale c’est bien la Méditerranée,
non ? Alors, pourquoi devrions- nous prendre les nordiques comme modèles
?
*
L’évocation de la civilisation méditerranéenne m’incite au farniente. Savez-vous que le temps libre sur toute une vie est passé de 25 000 heures en 1800 à 45 000 heures en 1920, à 135000 heures en 1975. Avec les réductions du temps de travail prévues par le gouvernement, et avec la création d’un ministère du temps libre sa durée pourrait rapidement atteindre 170 000 heures. Vous voyez bien qu’on avance tout doucement vers la civilisation des loisirs !
*
Et pour en arriver là, pour tout le monde, il faudra nécessairement
passer par l’économie distributive. Tout doucement, les esprits
évoluent. L’attitude envers le travail est en train de changer.
Voyez plutôt ce que constate Alain de Vulpian qui étudie
l’évolution des courants socio-culturels en France < : Même
pour ceux qui ont la chance de s’épanouir dans leur travail,
celui-ci est de moins en moins la seule chose qui compte dans la vie.
Pour eux, le travail vraiment épanouissant est celui qui non
seulement permet de s’investir, mais laisse du « temps pour vivre
». Il devient de moins en moins valorisé de se laisser
envahir par son travail, de ne pas savoir arbitrer entre le travail
et le reste. Les bourreaux de travail étaient des modèles.
Ils sont de plus en plus souvent considérés comme des
malades. »
Ajoutez à cela que l’une des autorités morales les plus
élevées, le veux dire le Pape, écrit dans sa Troisième
Encyclique « Laborem Exercens » :
« L’obligation de prestations en faveur des chômeurs, c’est-à-dire
le devoir d’assurer les subventions indispensables à la subsistance
de chômeurs et de leurs familles, est un devoir qui découle
du principe fondamental de l’ordre moral en ce domaine, c’est-à-dire
du principe de l’usage commun des biens ou, pour s’exprimer de manière
encore plus simple, du droit à la vie et à la subsistance.
»
*
Il reste encore à désacraliser !’« Argent ».
Mais écoutez ce que répondait récemment un ancien
diplomate malien, devenu philosophe et écrivain, à la
question de savoir quel était le changement économique
le plus important survenu en Afrique :
« L’intrusion de l’argent. Axant l’arrivée des Européens,
jamais la fortune, ou la possession des biens matériels, n’avait
« classé » personne. La richesse était considérée
comme un saignement de nez, sans plus, c’est-à-dire comme un
événement pouvant advenir à n’importe qui, n’importe
où et n’importe quand, et s’arrêter sans raison, tout aussi
inopinément.
« « Ce qui classait l’homme, c’étaient sa valeur intrinsèque
et sa naissance. Malheureusement, avec l’invasion de l’argent, c’est
la richesse qui est devenue, pour beaucoup, signe de force et de noblesse.
Actuellement, la recherche effrénée de l’argent a presque
tout remplacé. Le désir de posséder efface peu
à peu le sens traditionnel du partage.
« Ce qui a vraiment bouleversé la société
africaine, c’est la recherche des « quatre V » : le Virement
(un compte en banque), la Villa, le Verger (une plantation où
d’autres travaillent pour soi) et la Voiture. Les vieux disent : réunissez
ces quatre « V » vous risquez d’en voir apparaître
un cinquième : la Vilénie. »