Chirac et l’embauche des jeunes
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Publication : avril 1987
Mise en ligne : 21 juillet 2009
CHIRAC et son gouvernement ne manquent pas de toupet
; ils claironnent "à fin décembre 1986, 838 697 jeunes
ont bénéficié du plan pour l’emploi depuis mai".
Il ne faut pas oublier qu’à ces embauches sont attachés
25, 50 et même 100% d’exonération des charges sociales
selon les catégories (stages d’initiation à la vie professionnelle,
contrats d’adaptation, de qualification, etc...)
Or, depuis mars, le nombre de chômeurs a augmenté de 120
000. Cela veut dire qu’à nombre d’emplois constants - ce qui
est vraisemblable -, et en admettant - ce qui est optimiste - que 200
à 300 000 travailleurs aient pris leur retraite normalement,
600 à 700 000 jeunes ont remplacé des travailleurs plus
âgés partis d’eux-mêmes ou le plus souvent licenciés.
C’est ce que traduisent les dernières statistiques qui montrent
que le chômage a régressé chez les jeunes et augmenté
chez les moins jeunes.
Bien entendu, nous serions les premiers à nous
réjouir de l’embauche des jeunes, quel que soit le gouvernement.
Mais il ne faut pas être dupe de la manoeuvre Chirac. Souvenons-nous
de la revendication des patrons avant mars 86 "Donnez-nous l’autorisation
de licencier (par prudence, on usait plutôt de l’euphémisme
"flexibilité de l’emploi") et nous embaucherons 363
000 jeunes, ce chiffre précis n’ayant d’autre but que de "faire
sérieux".
Ils ont plus que doublé leurs "espérances".
Quel succès, quel dévouement à la cause des jeunes
! En fait, ils ont remplacé la plupart du temps des travailleurs
sans grande qualification par des jeunes à des salaires beaucoup
plus faibles et exonérés, en partie ou totalement, de
charges sociales. (Je connais personnellement de nombreux cas). C’est
cette situation qu’un journaliste a caractérisée d’une
formule lapidaire : "On a chassé le père pour embaucher
le fils au rabais".
Il serait instructif de pouvoir recenser les emplois valorisants occupés par ces quelque 800 000 jeunes : le bilan serait plutôt édifiant. En attendant, pour les entreprises, "c’est tout bénéfice" comme on dit. Par contre, pour la Sécurité Sociale, c’est un autre problème : M. Seguin va encore nous annoncer des déficits "désastreux" sans en donner les vraies raisons : on en profitera pour continuer à rogner la couverture sociale. A la Sécu ellemême, vous avez pu le lire dans la presse en janvier, on annonce qu’il y a 23 à 28 000 emplois à supprimer sur 75 000 postes.
Ce qui est sûr, c’est que ces deux mesures conjuguées - liberté de licencier et embaucher des jeunes - ne feront pas reculer le chômage, au contraire ; elles ne feront que déplacer les précarités des jeunes sur leurs aînés. Et nous verrons de plus en plus de drames comme ceux qu’on a bien voulu nous montrer à la télé pendant les grands froids : par exemple, un ingénieur chimiste d’une cinquantaine d’années qui n’a pu retrouver de travail, ne peut plus payer de loyer et se retrouve nourri et logé dans un centre caritatif. La honte d’une société qui, dans le même temps, salue les exploits de chirurgiens capables d’assurer la survie d’un nouveau-né par la greffe d’un coeur. Quel décalage ! Quel procès ! Quelle condamnation !
Ça sent la décadence d’un régime. Encore heureux que Chirac, après ses scandaleuses déclarations sur "les privilégiés qui ont la chance d’avoir un emploi assuré" il oublie que le droit au travail est inscrit dans la Constitution), n’ait pas lancé à l’adresse des miséreux sans salaire, sans logis "s’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche". Mais pour ceux-là, il est vrai qu’il compte sur les restos du coeur, l’Abbé Pierre, bref, la charité publique. Et puis, on peut espérer qu’il priera pour eux. N’a-t-il pas tenu à préciser dans l’émission "autoportraits" : "je vais à la messe le dimanche, chaque fois que je le peux".
SALAIRES ET INFLATION
Petits machiavels, Chirac et Balladur, non contents
de tromper l’opinion sur le chômage, sur les résultats
du commerce extérieur (seulement 500 petits millions positifs
en 1986 malgré une masse de 90 milliards de gains dus à
la baisse conjuguée du pétrole et du dollar), mentent
effrontément en prétendant que l’augmentation des salaires
est automatiquement génératrice d’inflation. Même
en économie de marché, il suffit que l’augmentation des
biens disponibles corresponde à l’augmentation de la masse monétaire
pour que l’accroissement du pouvoir d’achat se fasse sans risque d’inflation.
A preuve, la RFA à laquelle nos gouvernants se réfèrent
quand cela sert leur démagogie. Par contre, sur ce qui suit,
motus. Le syndicat de la fonction publique et des transports (OCTV,
1,2 millions d’adhérents) a obtenu, en 1986, pour 4 200 000 employés,
une augmentation de salaire de 3,5%, alors que l’inflation est négative.
Pour 1987, le syndicat demande 6% pour une inflation prévisionnelle
de 1%.
Les Allemands, pragmatiques, efficaces, n’ont pas hésité
à relancer la consommation intérieure... sans relancer
l’inflation. C’est que les exportations n’ont augmenté que de
1% en volume et si la balance commerciale affiche des résultats
positifs si importants, c’est que d’une part, le mark s’est fortement
apprécié et que d’autre part, les Allemands ont su, eux
mettre à profit la baisse dollar-pétrole.
En France, par contre, avec le retour d’une droite dure et archaïque,
revancharde, on veut que la croissance, environ 2 %, ne profite qu’aux
plus riches : cadres supérieurs (augmentations. "promotionnelles",
intéressements aux bénéfices...), industriels,
gros commerçants, professions libérales*.
Le gouvernement Chirac consacre - et aggrave - le
caractère dual de la société. En effet, si l’augmentation
des richesses est de 2 %, si le pouvoir d’achat des travailleurs qui
représentent la plus grande masse est en baisse, et si, enfin,
le nombre des "exclus" à faibles ou très faibles
ressources augmente, il est clair que ce sont les plus riches, les vrais
"nantis" (pas ceux de MM. Barre et Chirac) qui se partagent
les 2 % de croissance globale : c’est-à-dire que certains auront
3, 5, 10 % en plus. Savez-vous que le traitement octroyé aux
membres de la CNCL est de 50 000 F par mois ?
En outre, en France, à progrès technique égal avec
les autres pays industrialisés, le nombre des chômeurs
risque de croître plus rapidement ; en effet, la plupart des industriels
français jamais satisfaits des cadeaux que leur ont fait aussi
bien la gauche que la droite *sont incapables de faire leur métier
de patrons dans le monde capitaliste, notamment à l’exportation.
Depuis mars 86, la balance commerciale industrielle s’effondre, passant
d’un excédent mensuel de 8 à 9 milliards sous la gauche,
à 2 milliards voire zéro, sous la droite. La dévaluation
que s’est empressé de faire Chirac en arrivant au pouvoir n’a
donc strictement servi à rien. Même Giscard - c’est peut-être
de bonne guerre, mais ça n’en est pas moins vrai - s’alarme :
"Le commerce extérieur de la France est en voie d’effondrement.
Ce très grave problème a pour cause le quasi désastre
de nos échanges industriels... Non seulement nos prix ne sont
plus compétitifs, mais nos produits eux-mêmes ne le sont
plus". Quelle condamnation sur toute la ligne !
Les industriels vont-ils enfin faire un effort ? On peut en douter,
car, comme le remarque F. de Closets dans une interview au Nouvel Obs
: "Ce qui m’inquiète, c’est que la rentabilité du
secteur financier soit supérieure à celle du secteur industriel".
La Bourse, oui, les investissements, plus tard !
En fait, la France avait tenu longtemps un rang non négligeable
à l’exportation, grâce à ses marchés privilégiés
avec ses ex-colonies. Mais ces marchés sont grignotés
par les Japonais et les Allemands. Comme nos producteurs, tous secteurs
confondus, manquent d’agressivité - même nos gouvernants
actuels déplorent leur "frilosité" (sic) - c’est
le déclin assuré. Alors, solution de facilité,
on rogne sur les salaires, on gagne du temps... et de l’argent. Demain ?
On verra bien.
* Voir GR n° 854, page 3, "des chiffres".