Près de 3,3 millions d’Anglais sont aujourd’hui au chômage, dont la moitié depuis plus d’un an. Le nombre d’emplois dans la construction navale du Nord-Est est passé de 31 000 à 5 750 ; dans les mines, de 36 000 à 16 500 ; dans la métallurgie, de 22 000 à 9 900. La Grande-Bretagne qui était en 1951 au troisième rang des producteurs industriels est aujourd’hui au 19e rang.
Plus de 6 millions de personnes (hommes, femmes et
enfants) n’ont pour vivre que l’aide que leur verse le gouvernement
et celle-ci est de l’ordre de 250 F par personne, d’après un
article de News Week du 3 novembre 1986. Celui-ci estime que 93 % des
richesses du pays sont entre les mains de 50 de la population et n’en
bougent pas. 94 000 familles sont considérées comme sans
domicile dans une statistique qui ne compte ni les célibataires
de moins de 60 ans, ni les couples sans enfant, parce que ces cas sont
jugés "moins prioritaires" par le gouvernement. Ainsi
le pays est bel et bien séparé en deux, déchiré
par les frustrations subies par le peuple laissé à l’écart,
tandis que le nombre de millionnaires britanniques est passé
de 7 000 en 1983 à 20 000 en juillet 1986. Le Duc de Westminster
(35 ans) possèderait 28,5 milliards de francs. Le leader libéral
David Steel estime que "cette tendance a toujours existé,
mais que maintenant ceci est devenu un problème capital pour
le pays".
Les conséquences dramatiques de cette situation sont de tous
ordres. Par exemple, un rapport récent montre que les couples
sans emploi divorcent deux fois plus vite que les autres. Que les sévices
à enfants viennent d’augmenter de 60 %. Un autre rapport, publié
par l’Université de Bristol, met en évidence un lien direct
entre appauvrissement et mauvaise santé : 1 500 décès
par an, dans la région, seraient imputables à la dégradation
économique.
Le chômage est devenu, d’après l’enquête de News
Week, non plus un ennui temporaire, mais une manière de vivre
qu’on accepte et ce fatalisme, qui touche à la conscience de
classe "rend les solutions d’autant plus difficiles".
Cependant, Mrs Thatcher affirme qu’en continuant à diminuer les impôts et à freiner les dépenses publiques, son gouvernement va stimuler les affaires. Son grand exploit est d’avoir fait passer l’inflation des prix de 27 sous les travaillistes à 3 aujourd’hui... ce qui n’a pas réduit le chômage dans le Nord. Quant aux fonds libérés par la baisse des impôts, ils ont été en grande partie absorbés par les privatisations (British Telecom, Jaguar), les investisseurs ont placé leur argent dans ces entreprises, qui existaient, plutôt que d’en créer de nouvelles.
D’ailleurs, peu de jeunes britanniques blâment la politique actuelle. Un sondage du "Times" sur les 18-25 ans a montré que 21 % estiment que les conservateurs sont responsables du chômage, que 19 % disent qu’ils n’en comprennent pas la cause ; les autres ont des explications variées, allant de la paresse (6 %) aux nouvelles technologies (10%).
L’ancien ministre conservateur J. Prior est très optimiste sur l’avenir de l’industrie de son pays "J’ai placé un fils dans l’industrie de l’acier... c’est un exemple de quelqu’un de "notre monde" qui choisit actuellement l’industrie comme carrière", explique-t-il avec fierté. Et il affirme qu’un grand nombre de diplômés d’Oxford et de Cambridge suivent cette voie... Voilà qui va rassurer les chômeurs du Nord !
(d’après une étude de News Week par R.M.)