Encore le fric
par
Publication : avril 1987
Mise en ligne : 21 juillet 2009
Dans son éditorial du 19 janvier 87 du journal
Le Dauphiné Libéré, M. Charles Debbasch, universitaire
de haut rang, se félicite de la privatisation de Paribas après
celle de St-Gobain. Il appelle cela un développement du capitalisme
populaire (!). Il préconise l’extension de ce système
aux autres entreprises nationales afin d’en rendre la propriété
aux citoyens. En fait, la privatisation rend les entreprises à
une catégorie minoritaire de citoyens, ceux qui ont des "moyens".
J’appelle donc cela dépouiller la majorité des citoyens
car les futurs bénéfices profiteront uniquement aux actionnaires
; quant aux autres ils auront toujours les bouches de métro pour
dormir à la belle étoile par moins 15° (`).
C’est beau le libéralisme, mais au fait, en quoi consiste-t-il
? C’est le ratelier mis à la disposition de ceux qui savent ou
peuvent jouer des coudes, les autres ont toujours les restaurants du
coeur. Avez-vous remarqué que cet essor du libéralisme
coïncide avec un renouveau du christianisme ; qu’à cela
ne tienne, on ne parle plus de l’épisode des marchands du Temple
; maintenant, les marchands tiennent les rênes et ne voient aucun
mal à compulser les cours de la Bourse en sortant de la messe.
La Bourse ! Quel alibi de prétendre qu’il s’agit
d’intéresser le peuple à la santé des entreprises
; la réalité, c’est l’appât du gain qui fait acheter
des actions ; l’acheteur n’a en vue que l’attente d’une plus-value qui
lui fera empocher des bénéfices et après cela,
peut lui chaut le sort de la dite entreprise.
Aujourd’hui on découvre la Bourse, c’est moderne, ça s’enseigne
même dans les écoles. Bel effort pour rehausser la moralité
du peuple, on lui apprend à voler, non pas en cagoule, ça
fait vulgaire mais en col et cravate. Car enfin, que sont les jeux de
Bourse ? Vous tentez de faire des gains au détriment d’un autre
; ce qui entre dans votre poche sort de celle du voisin.
Quant au but exposé de cette ruée sur la Bourse : aider
les entreprises à investir pour devenir plus concurrentielles
afin de redresser la balance des paiements, ce qui regonfle les gouvernants,
et en même temps met un peu plus de gens au chômage ; car
dans notre merveilleux système, les augmentations de capital
permettent de mécaniser, robotiser, informatiser, ce qui est
fort heureux en soi, mais qui met toujours plus de gens à la
porte. Et comme nos grosses têtes (y compris M. Barre, vous savez ?
la tortue) affirment que la réduction du temps de travail n’est
pas le remède à la crise, je vois le bilan du Libéralisme
triomphant à l’horizon 2000 : 4 à 5 millions de chômeurs,
quelques centaines de milliers de délinquants et en prime, une
pincée de terroristes. Alors, que Dieu (si vous y croyez) nous
conserve M. Pasqua pour aiguillonner la police, Chalandon pour construire
des prisons... et Toubon pour chanter Alleluia !
Je ne m’étends pas sur les bienfaits de la compétition
internationale en matière de commerce, je dirai toutefois qu’on
commence par la guerre économique et quand c’est bien aigu, on
termine par la guerre tout court. Songez à l’aubaine pour les
businessmen américains, si l’Europe, à l’aide d’une "dépêche
d’Ems ou d’un assassinat politique, pouvait être détruite
à moitié, ne serait-ce que les champs de maïs et
quelques usines performantes. Le hic, c’est que l’ennemi potentiel a
l’air de rechigner, malgré les appels du pied et même les
coups de pieds, il s’obstine à ne pas vouloir comprendre.
(*) Les députés européens viennent
de mettre une partie des excédents alimentaires à
la disposition des affamés, ce n’est jamais qu’après 15
ans qu’ils ont trouvé ça
(comme quoi, il ne faut jamais désespérer).