S’il est un domaine dans lequel il est permis de constater
que la « Science dévore la Science », c’est bien celui
de l’Aéronautique.
Dans l’industrie automobile, le progrès va si vite qu’il est
impossible aujourd’hui d’amortir un matériel normalement : on
fait jouer la capital que l’on augment ou que l’on diminue, à
moins que l’on ne lui fasse subir alternativement les deux opérations.
En aéronautique, le problème est différent du fait
que la clientèle particulière est à peu près
inexistante et que l’Etat est le seul gros acheteur. Les constructeurs
lui font supporter tous leurs frais et bénéfices sur les
commandes qu’il passe. D’ailleurs, la concurrence ne joue que sur le
terrain technique, jamais sur les prix. A ce sujet, tout le ponde est
d’accord : l’Etat soit payer cher.
Ne nous étonnons plus qu’un moteur soit payé 250 000 francs
et le moindre trimoteur plus d’un million et demi. On invoque l’importance
des frais d’études et de prototype, et l’on dépense des
milliards sans parvenir à donner au pays l’aviation qu’il devrait
avoir.
Pourquoi donc telle usine spécialisée dans la fabrication
des moteurs en ligne dépense-t-elle des millions pour étudier
des moteurs en étoile à peu près semblables à
ceux fabriqués par une usine concurrente ?
Pourquoi donc telle société aéronautique, qui s’était
consacrée à l’aviation lourde, se met-elle à construire
des avions de chasse ?
L’actuel ministre de l’Air a décidé l’an dernier la concentration
des usines d’aviation afin d’éviter la dispersion des efforts :
pourquoi n’a-t-il pas usé de son autorité pour imposer
à chacun de ses groupements ainsi constitués une spécialisation
qui aurait eu pour résultat de perfectionner la technique et
de réduire les prix ?
Il est fort à craindre qu’un tel problème soit difficile
à résoudre, car l’anarchie actuelle facilite les profits
qui sont la base du système actuel et qu’il est indispensable,
pour ceux qui y puisent, que le budget de l’aéronautique demeure
pléthorique.
L’aviation commerciale, malgré l’activité des dirigeants
d’Air France, reste la parente pauvre, parce qu’elle n’intéresse
que médiocrement des constructeurs en faveur de qui l’on a créé
un nouveau privilège.
D’autre part, personne ne s’intéresse vraiment à l’aviation
privée : l’heure de vol coûte beaucoup trop cher et il n’est
permis qu’à quelques privilégiés d’utiliser le
plus moderne des moyens de transports.
Qu’en conclure, sinon que l’aéronautique française souffre
du plus déplorable des étatismes : celui qui, pour subsister,
a été contraint de créer des privilèges
sous la poussée d’influences ne reculant devant aucun moyen.
Les ministres qui se sont succédés à la tête
du ministère de l’Air l’ont tous appris à leurs dépens
et le Service technique, dont les méthodes peuvent être
parfois critiquées, mais dont l’utilité est incontestable,
a dû, maintes fois subir les assauts acharnés des vampires
de l’Aéronautique.
Les grands inventeurs sacrifient tout à leurs idées, le
courage des pilotes et des mécaniciens est toujours désintéressé.
Hélas ! là comme partout, la finance poursuit inlassablement
son oeuvre de corruption et de profits.
Dans l’aviation
par
Publication : 16 octobre 1935
Mise en ligne : 15 avril 2006