Ne souriez pas. C’est un fait. Evidemment, les auteurs
des décrets-lois n’ont pas poursuivi un but révolutionnaire.
Ils ont eu, au contraire, le dessein de sauvegarder le régime
économique du capitalisme le plus orthodoxe. Les avocats de l’action
gouvernementale ont même sérieusement pensé que
les décrets-lois devaient écarter définitivement
les tracas et les soubresauts provenant de l’instabilité économique.
Pourtant, je le répète, M. Laval et ses collaborateurs
ont fait acte révolutionnaire. Parce qu’ils ont entendu réduire
les dépenses de l’Etat et équilibrer symboliquement un
budget en matière plastique ? Que nenni. Mais bien parce qu’ils
ont porté la première atteinte officielle à certains
principes et certaines données qui représentent en quelque
manière la structure idéale du régime capitaliste
qu’ils ont eu pour prétention de défendre.
M. Jourdain faisait de la prose, comme M. Laval, jadis révolutionnaire,
l’est redevenu malgré lui. Je ne veux pas faire allusion aux
dispositions souriantes qui devaient assurer le triomphe de la déflation
(chez MM. les bouchers, par exemple) ni aux modifications apportées
au régime des faillites, des sociétés, du démarchage
ou même de l’expropriation pour cause d’utilité publique.
Il y eut là un effort utile qui, tout compte fait, exprime la
tendance à reviser certaines erreurs ou à adapter certaines
réalités à une époque précisée
dans le temps. Mais il y a d’autres décisions qui après
un examen à base pécuniaire sollicite l’attention des
sociologues et des économistes.
Ce qui anime l’esprit capitaliste dans la tradition, c’est le respect
des conventions privées, injustes ou non. Or, il a été
porté atteinte, par exemple aux conventions passées entre
propriétaires et locataires, prêteurs et emprunteurs hypothécaires.
Il fallait sauver le franc et déterminer un équilibre
des dépenses et recettes publiques. Bien sûr ! Mais quel
coup de boutoir aux idoles ! Sans doute, ce n’est qu’un commencement.
Mais quelle répercussion ! On ne pouvait faire autrement... Que
diable ! c’est bien cela, on ne pouvait faire autrement. Mais on ne pourra
plus faire autrement. Arrêtez-vous le progrès, la science,
les facilités de la production ? Endiguerez-vous le flot de l’abondance
qui désespère les philanthropes de l’époque qui
ne conçoivent qu’un monde composé de riches et de pauvres,
de ventres plains et ventres creux.
On a exercé des prélèvements « de salut public »
sur les intérêts et même sur le capital. L’uniforme
réduction de 10% des loyers d’habitation a, en effet, atteint
la matière même du capital. La chambre syndicale des propriétaires
l’a écrit et son patriotique empressement n’exclut pas sa conscience
des choses.
Révolutionnaires... les mesures destinées à assainir
divers marchés, ceux du blé et du vin notamment, ne le
sont-elles pas ? Pour revaloriser le blé, on a décrété
qu’on le dénaturerait, que les porcs s’empiffreraient, que l’Etat
consentirait des avances sur les stocks même s’ils entraient en
putréfaction. On a, pour maintenir le prix du vin, ordonné
des achats massifs destinés a être transformé en
alcool. Pour le blé et le vin, on a limité les champs
de production, voire même prévu que les vignerons gagneraient
plus à arracher leur vignes qu’à fournir au pays des produits
à bas prix. La révolution contre la nature a été
décrétée. Mais la nature et le progrès ne
sont pas régis par la Banque de France ni par le Comité
des Forges. Ils dominent les calculs mesquins des mandataires d’intérêts
privés qui tentent d’étayer un monde désuet et
presque évanoui par des moyens de fortune auxquels on a conféré
une forme définitive... qui ne dure qu’une semaine.
Propriétaires d’immeubles ou de fonds de commerce, sur quelles
bases envisagez-vous l’avenir ? Paysans et industriels, comment déterminez-vous
les règles de vos efforts ? Ce ne sont pas les détracteurs
du régime économique qui se meurt qui portent la responsabilité
de votre désarroi. Ses défenseurs ont été
contraints de prendre des mesures révolutionnaires. Ils ont tenté
d’enrayer la gangrène en coupant et rognant ? Peine perdue. On
ne limite pas l’abondance, l’élan du progrès ni une plus
équitable distribution des richesses. On ne peut ni les abolir
ni les méconnaître. On les organise.
M. BLOCH
Avocat à la Cour