Feu le plein emploi
par
Publication : mars 1982
Mise en ligne : 12 janvier 2009
Nous reproduisons ci-dessous des extraits d’un article publié
dans « La Revue des Deux Mondes » de janvier 1982.
L’auteur en est Jacques ROZNER, qui nous a déjà fait l’heureuse
surprise de publier dans « Le Monde » du 3 juin dernier
un article intitulé « La Grande Relève ».
Nos lecteurs, mais peut-être eux seulement, auront fait le rapprochement.
En vérité, il faut dépasser en esprit la notion
de chômage, car elle est en voie de dépassement dans les
faits.
Ce qu’on appelle aujourd’hui chômage est certes dé à
des causes conjoncturelles : les chocs pétroliers (1), l’industrialisation
des pays à faibles coûts de production, l’ouverture des
économies occidentales sur l’extérieur, une politique
de forte immigration et l’arrivée massive de jeunes et de femmes
sur le marché du travail, en sont les principales.
Mais la cause dominante est de nature structurelle : elle s’exprime
par la mutation technologique d’une société marquée
du sceau de la science.
Elle annonce l’avènement d’une ère révolutionnaire
fondée sur le travail d’esclaves d’acier électronifiés,
mus par des énergies extra- humaines et se caractérisant
par la réduction croissante de leurs coûts alors que s’élève
sans cesse celui du travail humain.
Le chômage devrait cesser d’être une plaie pour apparaître
comme la plus grande victoire de l’homme sur la matière. Notre
monde occidental e et aura de plus en plus la capacité de capter,
au moindre effort, des énergies prodigieuses en dominant et exploitant
la matière inanimée aussi bien que les richesses des fonds
océaniques où gît notamment la nourriture du monde.
C’est ce qui fait que nous ne vivons déjà_ plus un simple
incident social de parcours économique, mais les premières
manifestations d’un événement historique de première
grandeur. Un de ses effets sensibles résidera de plus en plus
dans ce rejet d’une main-d’oeuvre devenue inutile, alors que les nouveaux
emplois dégagés par le développement des sciences
et des techniques ne s’expriment aujourd’hui qu’au travers de l’inadéquation
d’une offre d’emploi à forte technicité et d’une demande
sans qualification valable...
Tout est à imaginer en ce domaine. Les hommes de science ont
ouvert une voie inédite aux hommes de notre temps. A ces derniers
d’en dégager les impacts sur l’économie et la vie en société.
Les conséquences à imaginer ne sauraient être plus
difficiles à saisir que ne le furent pour des astronautes les
effets de la propulsion dans l’espace d’une navette spatiale.
Utopie tout cela ! diront certains. C’est ce qu’eût dit Napoléon
si on lui avait annoncé la désintégration de l’atome.
Pour réussir la transformation progressive de la société
actuelle en une nouvelle société qui ne peut se concevoir
que fondée sur la domestication de la matière et la maîtrise
des techniques dans la perspective d’une innovation continue, nos dirigeants
devront , se positionner face’ à ces vrais problèmes de
aspire - temps. Ceux-là sont plus exaltants dans leurs perspectives
économiques et sociales que la recherche de transferts d’inspiration
administrative au sein d’une société en phase de mutation
sous l’irrésistible poussée des sciences et des techniques.
(1) Ils ont fait l’objet d’une étude approfondie de M. Maurice Lauré.