Malgré le « triomphe » de Reagan
au sommet des nations les plus riches du monde, qui vient de se tenir
à Tokyo, la conjoncture aux Etats-Unis reste toujours incertaine
: le produit national brut n’a progressé en rythme annuel que
de 0,7 % au quatrième trimestre 1985, a annoncé le 19
mars le département du commerce... après trois estimations
qui étaient de 3,2 % fin 85, 2,4 % fin janvier et 1,2 % fin février.
Autrement dit, ça baisse chaque mois ! Finalement la croissance
l’année dernière n’aura pas dépassé 2,2
% alors que la prévision initiale était de 4 %. C’est
le taux de croissance le plus bas depuis le déclin de 2,5 enregistré
en 1982. Tout aussi inattendue est la brusque aggravation du chômage
observée en février (+ 0,6 % en un mois) qui fait remonter
le taux de chômage à 7,3 % C’est la plus forte hausse mensuelle
enregistrée sous la présidence de Reagan. Les deux tiers
des nouveaux chômeurs ont été recensés dans
trois états : le Texas où l’ensemble du secteur énergétique
est frappé par la baisse du prix de pétrole, la Californie
où de très graves inondations ont dévasté
en janvier de nombreuses exploitations agricoles et l’Illinois où
les emplois industriels continuent à fondre.
Sans parler du déséquilibre chronique des comptes extérieurs
(hausse de 9,6 % du déficit de la balance des paiements courants,
soit 117,7 milliards de dollars en 1985), on note un certain nombre
d’autres signes défavorables l’augmentation des stocks des entreprises,
la diminution de la production industrielle ( en mars, la capacité
de production de l’industrie n’était utilisée qu’à
79,4 % - chiffre le plus faible depuis décembre 83 -) et la baisse
des ventes au détail.
Les experts ne savent toujours pas dire quand la chute du dollar commencera
à faire sentir ses effets bénéfiques sur le commerce
extérieur, ni quand l’avantage de la baisse des prix du pétrole
viendra effacer les conséquences catastrophiques qu’elle a pour
l’instant pour les états dont l’économie est étroitement
liée à l’industrie pétrolière. « Le
Nouvel Observateur » de la semaine du 2 au 8 mai nous décrit
la crise qui frappe le Texas : « Gonflés par des flots
de pétrodollars, les Texans avaient étalé, en 1981,
à Houston, du côté de Milan street, 40 millions
de mètres carrés d’espaces commerciaux et de bureaux...
aujourd’hui, 90 % de Milan street restent inoccupés... Chaque
baisse de un dollar sur le prix du baril de pétrole provoque
un manque à gagner de 3 milliards de dollars et une perte de
100 millions de dollars en impôts et taxes... A Beaumont, le taux
de chômage qui était inférieur à 3 % il y
a quatre ans est passé à 16 %. Mais les industriels du
pétrole ne sont pas les seuls à souffrir et on estime
que chaque perte d’emploi dans le secteur pétrolier correspond
à la perte de 4 et 5 emplois dans les industries de sous-traitance
ou dans le secteur tertiaire. A Lone Star, l’acierie Lonestar Steel,
qui fabriquait du matériel de forage a annoncé le mois
dernier le licenciement de 2000 de ses 3000 employés et les autres
ont été prévenus qu’ils ne tarderaient pas à
suivre... Ceux qui souffrent le plus sont sans doute les entrepreneurs
indépendants, ceux qui possédaient une poignée
de ces derricks plantés dans le désert : 50 d’entre eux
ont d’ores et déja fait faillite... A Houston, les grands magasins
ferment en chaine. On a enregistré une augmentation des dépôts
de bilan de 33 % sur les commerces par rapport à l’an passé
; 200.000 maisons particulières sont vacantes dans la métropole.
Pour les autres, les huissiers se chargent, à raison de 1600
interventions par mois, de faire le ménage ». D’autres
états pétroliers, la Louisiane, l’Oklahoma, l’Alaska,...
souffrent aussi. Quant aux états céréaliers du
Middle West, ils sont, depuis longtemps, comme nous l’avons vu dans
la Grande Relève (Fil des Jours du numéro 832 de mars
85), en bien piètre état.
Ce marasme économique se répercute sur la santé
de banques américaines, à tel point que celles qui sont
affectées par les crises sévissant dans l’agriculture
et le secteur pétrolier vont bénéficier de règles
plus souples destinées à leur permettre de surmonter en
partie leurs difficultés. Selon « Le Monde » du 29
mars, la Fédéral Deposit Insurance Corp., l’une des agences
fédérales contrôlant lés activités
de plus de 8500 banques, vient d’adresser aux responsables de ces banques
les détails de son programme. Ce programme accorde un très
long délai pour redresser le ratio du capital des banques en
difficulté dans ces deux secteurs et dont la gestion est considérée
comme saine... Quelque 4000 banques dans le secteur agricole et 500
dans le secteur énergétique peuvent théoriquement,
précise le F.D.I.C., bénéficier de cette facilité.
Selon les nouvelles règles, les banques en difficulté
dans les deux secteurs auront jusqu’au 1e, janvier 1993 pour redresser
ce ratio, à condition cependant qu’il ne chute pas au-dessous
de 4 %. En 1985, sur les 118 faillites de banques commerciales aux Etats-Unis,
68 étaient des banques agricoles et le nombre de banques «
à problèmes » dans ce secteur dépassait 300,
contre 100 il y a trois ans. Selon une étude récente de
la F.D.I.C., les prêts bancaires au secteur pétrolier et
gazier s’élevaient en 1985 à 61 milliards de dollars dont
10 milliards classés comme « créances douteuses »
avant le début, en novembre, de l’effondrement des prix internationaux
du pétrole brut. »
Après ce rapide panorama de la situation économique américaine,
que reste-t-il donc pour soutenir l’optimisme de Reagan et de ses admirateurs
européens ? L’informatique, et plus généralement
les technologies nouvelles ? Nous avons vu dans « Les dossiers
de la Grande Relève » de décembre 1985 qu’il ne
fallait pas en espérer beaucoup de créations d’emplois
mais plutôt des suppressions d’emplois ! Alors où passent
donc les chômeurs américains ?
Ils occupent ce que certains appellent les métiers « vedette
» (H) créés dans le secteur des services : gardiens
d’immeubles, coursiers, employés dans les « fast food »...
à temps partiel (voir dans la Grande Relève de mai 85
« Encore un rêve qui s’envole »). Maintenant, il parait
même que « Burger King », une chaine de fast food
qui compte 160.000 salariés, doit recourir à des annonces
de télévision pour recruter le personnel qui lui manque.
C’est dire si la reprise est bien amorcée aux Etats-Unis. Et
comme c’est à nous, européens, de prendre la relève
des Etats-Unis, pour tirer l’économie mondiale, je suggère
aux gouvernements occidentaux de nous mobiliser tous sur un seul mot
d’ordre « Hors du hamburger, point de salut ». Ce doit être
notre « nouvelle frontière » pour le troisième
millénaire.
Quel programme exaltant !