La fin d’une société
par
Publication : décembre 1976
Mise en ligne : 13 mars 2008
En 1937, Jacques Duboin publiait, sous le titre «
Libération », un livre dense d’informations et de réflexion.
Les pays capitalistes, tant américains qu’européens, venaient
d’être fortement éprouvés par la crise, dite de
« surproduction », des « années 30 »,
commencée en 1929.
« Les magasins sont pleins et les porte-monnaie sont vides »,
disait alors Jacques Duboin Cette constatation ne lui cachait pas le
caractère fondamentalement malthusien du régime capitaliste.
Celui-ci s’était laissé surprendre par le progrès
rapide des sciences et des techniques de production. Son malthusianisme
avait été submergé par l’abondance. La leçon
ne fut pas perdue.
A aucun moment, Jacques Duboin qui depuis des années disait et
écrivait que l’économie capitaliste repose sur la rareté
des biens, ne fut troublé. Il voyait dans les « crises
cycliques » et dans la plus violente de toutes, celle de 1929
et des années suivantes, la confirmation de sa position sociologique
: la vieille économie de la Rareté était bousculée
par la nouvelle et naissante économie, celle de l’Abondance.
Cette crise sonnait le premier glas de la société du Profit.
Il faut relire « Libération ». Détachons-en
les pages 42 et 43 dont la lecture sera particulièrement utile
à ceux qui s’imaginent que les dirigeants du régime de
l’Argent n’ont pas appris à combattre l’Abondance et qu’il y
a encore « surproduction »
« La rareté est inséparable de l’intérêt
particulier dans le régime des échanges. Pourquoi tel
producteur a-t-il intérêt à ce que ses produits
soient rares ? Tout simplement parce que, plus ils sont rares, plus
ceux qu’il fabrique ou qu’il vend ont de la valeur. Et comme lui-même
est soumis à la loi de l’échange, il est clair que plus
ce qu’il possède aura de la valeur, plus il pourra, en échange,
se procurer de richesses. C’est le souci de la rareté qui est
à la base des trusts, des ententes industrielles, des comptoirs
de vente, des contingents d’exportation ou d’importation. C’est ce même
souci qui, sous le nom d’assainissement des marchés, fait disparaître
des produits, afin de les raréfier et d’en augmenter la valeur
pour leurs producteurs ; c’est ce même souci qui pousse à
des limitations de production, comme pour les céréales,
la vigne, les betteraves, etc... ; c’est ce souci qui inspire tous les
efforts de valorisations, qui ne sont qu’une lutte contre une abondance
qui viendrait paralyser les échanges...
« Il est facile de découvrir que tout régime basé
sur l’échange ne peut être définitif, car il porte
en lui-même le germe qui le condamne un jour à disparaître
».
Jacques Duboin écrivait ces lignes en 1935 alors que la France
sortait à peine de sa propre crise de « surproduction ».
Devenus, enfin ! attentifs aux recommandations de l’économiste
britannique John Maynard Keynes, les responsables de la politique française
doublèrent les destructions des « excédents »
alimentaires et les mesures malthusiennes par le développement
des travaux publics et des fabrications d’armements qui permettent de
distribuer des revenus sans surcharger le marché de produits
à vendre.
Cette politique permit au capitalisme de gagner un répit d’une
quarantaine d’années mais, vers 1969, une nouvelle crise prit
le relais ; ce n’était plus une crise de « surproduction
» mais une crise monétaire, inflationniste.
Jacques Duboin avait eu raison de considérer la crise de 1929
non pas comme une crise prenant place dans la série des crises
« cycliques » de surproduction, mais comme la dernière
de ces crises et comme étant essentiellement une crise de régime.
Il avait même prévu dès 1961, dans sa brochure intitulée
« Pourquoi manquons-nous de crédits ? », la crise
inflationniste qui secoue aujourd’hui l’ensemble des pays capitalistes
développés.
Cette fois nous sommes bien en face d’une crise de régime et,
parmi tous les économistes et financiers de ce régime,
il n’y en a aucun qui soit en mesure de la surmonter. C’est qu’elle
n’est plus surmontable en économie marchande et qu’aucun d’eux
ne peut envisager de sortir de l’économie du Profit.
En ce qui nous concerne, nous n’avons plus devant nous des années
et des années pour convaincre nos concitoyens de la nécessité
de sortir du régime capitaliste. Ce n’est plus l’heure de nous
soucier de susceptibilités bourgeoises. Ce n’est plus l’heure
de proposer une lente évolution vers l’économie distributive
car c’est tout de suite qu’elle est applicable et nécessaire.
Nous devons faire comprendre à tous que si nos solutions économiques
et sociales ne sont pas rapidement appliquées, l’inflation et
le chômage demeureront les plaies constantes du régime
et que celui-ci, incapable de poursuivre l’expansion économique,
ne pourra se survivre qu’en nous imposant l’austérité
par des mesures dictatoriales.