Le réveil de notre journal semble entraîner celui de ses lecteurs. Parmi ceux-ci, nombreux sont ceux qui m’ont fait part, avec leurs encouragements, de leurs efforts personnels, se remémorant avec nostalgie les activités militantes des sections avant et après la guerre, les brillantes conférences hebdomadaires suivies de débats animés, etc... Beaucoup reconnaissent que leur propre ardeur s’est considérablement atténuée, certains se contentant de prolonger leur adhésion, d’autres essayant en plus, à titre individuel, de nouer des contacts avec des personnalités françaises ou étrangères susceptibles de posséder une certaine ouverture d’esprit. Tous cependant restent convaincus d’être sur le bon chemin et, prêts à continuer notre combat de propagande, éprouvent le besoin de dresser un bilan : quels sont, à l’heure actuelle, nos moyens d’action ?
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Nous sommes peu nombreux. Surtout si nous ne comptons
que ceux qui se font connaître pour venir militer ouvertement
à nos côtés. Mais les plus grands mouvement d’idée
débutent forcément ainsi, il n’y a pas lieu de s’en étonner
ni de chercher, comme le font certains camarades, à en rendre
des tiers responsables. C’est ainsi que quelques-uns seraient enclins
à se servir de l’expérience « Tous ensemble »
qu’ils considèrent comme un échec, pour en conclure qu’il
n’y a rien à faire comprendre aux jeunes. D’autres parlent de
la « conspiration du silence » pour en déduire qu’il
n’y a rien à faire du tout.
Analysons de plus près ces deux jugements décourageants.
Il ne m’appartient pas ici de faire le procès de « Tous
ensemble ». Mais il est certain que cette opération ne
peut pas être classée comme un échec complet, car
il est impensable que les écologistes raisonnables ne se rendent
pas compte à quel point la qualité de la vie sur terre
est faussée par la recherche du profit. Leur combat passe ainsi
logiquement par le nôtre, et cela ne peut qu’apparaître
enfin aux yeux de tous. Si certains parlent d’échec, il ne peut
s’agir que du point de vue des méthodes de propagande, de la
recherche et du choix des arguments. C’est au vu du peu d’approbation
au référendum posé sur cette question en mars 1975
(moins de 5% d’accord) que la discussion aurait dû être
ouverte au M.F.A.. Ne doutons pas qu’elle le sera enfin lors du prochain
congrès national.
Quant à la conspiration du silence, elle ne date pas d’hier puisque
le mot est de J. Duboin. Mais au lieu d’en conclure au renoncement,
il est plus constructif de chercher à comprendre les mobiles
qui animent les « conspirateurs », pour mieux les déjouer.
Ils appartiennent à deux catégories : ceux qui ont compris
et ceux qui n’ont pas compris.
Les premiers agissent parce qu’ils ont calculé que l’économie
distributive leur ferait perdre un pouvoir, ou un prestige, bref, un
privilège qui passe à leurs yeux avant la justice et même
la vie de leurs semblables. Ils sont peu nombreux, mais constituent
un obstacle primordial parce qu’ils tiennent les rênes de notre
société. Heureusement nous avons un allié tout
puissant contre eux : le mal incurable qui mine le système capitaliste
sur lequel ils s’appuient.
Reste la foule de tous ceux qui n’ont pas compris, ou mal compris, ou
qui n’ont jamais entendu nos arguments. A qui la faute ? Faut-il raisonner
comme cet instituteur qui déclare que tous ses élèves
sont des ânes quand ils ne comprennent pas ses explications ?
Il y a des ânes, c’est vrai. Mais il y a aussi des élèves
dont personne n’a cherché à ouvrir l’esprit. Et il y a
ceux qu’on a conditionnés pour raisonner comme des ânes,
au besoin à coups de bâton. Enfin, il y a de mauvais professeurs...
Quand il n’y aura plus que les vrais ânes à n’avoir pas
compris, alors seulement nous pourrons estimer être au bout de
nos efforts. Pas avant !
Il est, hélas, évident que la pauvreté de nos moyens
publicitaires est un handicap dans une société où
même les idées se mesurent en millions de francs ! Je n’en
veux pour preuve que l’aspect que prennent désormais les campagnes
électorales : à voir les deux brillants candidats qui
se disputent la Maison-Blanche, il apparaît bien que le choix
ne s’est pas fait sur le critère de l’intelligence.
A l’instar du renard de La Fontaine devant les raisins qu’il ne peut
atteindre (« ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats
»), plaçons plus haut nos moyens de propagande.
Nous sommes obligés de remplacer la quantité des moyens,
qui nous manque, par la qualité de nos productions. C’est un
effort immense à faire, mais qu’il appartient à tous de
partager.
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A l’actif de notre bilan, et c’est énorme, il y a la démonstration quotidienne de la vérité de nos arguments. Notons d’abord que l’économie distributive s’instaure sans crier gare par une multitude d’allocations et de subventions diverses qui étaient impensables il y a seulement 50 ans (et qu’est-ce que ces 50 ans dans l’histoire de l’homme !). Il y a ce fait, évident aujourd’hui, que les problèmes économiques priment tous les autres. Et pourtant, ,que de sarcasmes ont accueilli Jacques Duboin quand il a été le premier à le montrer ! Il y a cette course contre la montre que veulent gagner certains écologistes conscients, face à une industrialisation poussée sans discernement pour le seul profit de quelques-uns. Il y a cette vérité indéniable de la croissance simultanée du chômage et de la production. Il y a enfin ce mur sur lequel butent depuis si longtemps nos économistes les plus distingués : l’inflation, que leurs mesures draconiennes n’épongent pas mieux que le seau d’un enfant n’assèche la mer. En un mot, c’est l’actualité économique et sociale qui est notre meilleure source d’encouragements. Il nous appartient de savoir en tirer parti.
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Le moyen le plus sûr dont nous disposons à
l’heure actuelle, c’est notre journal. Il s’agit donc non seulement
de le garder, mais de faire tout ce que nous pouvons pour qu’il soit
le meilleur possible. C’est par sa qualité, et par elle seulement,
qu’il peut augmenter son audience. Face à un tel but, il paraît
bien futile d’opposer des querelles de personnes. Seule la qualité
rédactionnelle, la valeur des arguments, la richesse de la documentation,
l’actualité et la portée des informations doivent être
prises en considération. Nous ne sommes pas parfaits et nous
ne le deviendrons pas, surtout dans ce monde qui rend fou. Mais essayons
au moins de garder suffisamment de raison pour ne pas perdre l’un de
nos meilleurs et plus solides outils.
Malheureusement, on ne s’improvise pas journaliste du jour au lendemain.
Il ne suffit pas d’avoir du talent et de bonnes choses à dire.
Il faut en plus se donner beaucoup de mal pour les écrire, de
la façon la plus claire, la plus concise, la plus attrayante
possible. Il existe quelques règles simples, comme se choisir
un sujet et s’y tenir, suivre un plan (introduction, développements,
conclusion), éliminer le superflu et les répétitions,
se relire et se faire lire en sollicitant des critiques. Accepter, au
besoin, de tout recommencer... Rien n’est déshonorant dans un
tel travail. Combien de fois ai-je vu mon Père mécontent
d’une première, d’une seconde, d’une nième rédaction,
remettre à nouveau l’ouvrage sur le métier !
C’est à son talent, à ses efforts personnels, et à
ceux qui avaient su l’aider avec le même courage, que «
La Grande Relève » doit d’avoir survécu à
tant de difficultés. Nous ne la redresserons que si nous sommes
capables de trouver encore plus de gens courageux acceptant une telle
tâche.
Cette tâche n’est d’ailleurs pas ingrate. Il n’y a rien de tel
pour comprendre les choses à fond que de s’atteler à les
bien expliquer.
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Dans le domaine de la presse écrite, le stade suivant serait évidemment de publier de bons ouvrages en librairie. Mais devant le nombre croissant des publications, il faut reconnaître que pour être lu, un livre doit, soit bénéficier d’une énorme publicité, telle celle gratuitement accordée au Président de la République, soit posséder de très brillantes qualités d’originalité, d’actualité, de clarté. En attendant qu’un nouveau talent se révèle, nous avons avec l’oeuvre de Jacques Duboin un atout remarquable que nous aurions bien tort de ne pas exploiter à fond. Je ne crois pas qu’il soit opportun d’essayer de rééditer et faire lire toute son oeuvre. Elle est évidemment trop volumineuse, et certains passages ont forcément perdu de leur actualité. Par contre, certains éditoriaux de « La Grande Relève » et des bulletins « Réflexions d’un Français Moyen », toujours très actuels, pourraient être relus avec intérêt. On peut donc envisager une réédition sélective des passages les plus représentatifs et les plus actuels, en un seul volume, dont le lancement pourrait peut-être coïncider, ce qui serait un atout publicitaire, avec le centenaire de la naissance de l’auteur. Le travail de sélection à faire sur l’oeuvre de Jacques Duboin est énorme, demande beaucoup de temps et de soin. Je suis prête à l’entreprendre. Mais j’ai besoin d’aide.
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Les conférences d’autrefois nous ont été
très profitables. D’abord parce que nous avions de brillants
conférenciers. Et puis parce que la télévision
n’avait par envahi comme aujourd’hui, la majorité des foyers.
Elle fascine, à l’heure actuelle, la population. Elle se substitue
souvent aux conversations en famille, aux soirées entre amis,
aux veillées paysannes et, même, ce qui est encore plus
grave, à toute réflexion personnelle. Ainsi, ce qui devrait
être une agréable détente occasionnelle, et un remarquable
moyen de se cultiver, de découvrir le monde et de réfléchir
aux problèmes de notre époque, devient un instrument de
conditionnement des masses entre les mains de ceux qui en ont le monopole.
Il nous reste l’espoir que sa médiocrité entraîne
la lassitude qui succède souvent à l’euphorie de la nouveauté.
Ou bien que sa gestion revienne un jour à des esprits animés
de meilleurs principes.
Ceci entraîne pour nous deux conséquences : il n’y a plus
qu’en périodes électorales qu’on peut espérer organiser
avec succès des conférences- débats. Dans ce but,
il convient donc de préparer de bons orateurs, connaissant à
fond leur sujet et l’art de parler en public. Nous pouvons, d’autre
part, envisager une espèce de « recyclage » de certains
d’entre nous en prévoyant d’avoir l’occasion de faire un jour
une émission télévisée. Car en ce domaine
plus encore peut-être qu’en tout autre, la propagande ne s’improvise
pas. Elle demande un travail qui s’étudie, se prépare
longtemps à l’avance, se met au point avec des gens du métier
connaissant à fond les techniques, les trucs et les effets. Là
encore nous avons beaucoup à faire si nous ne voulons gâcher
aucune possibilité.
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La faiblesse de nos effectifs nous oblige à
nous sentir tous concernés par la propagande. Donc à participer
tous à cet effort vers la qualité. C’est dans notre petite
sphère qu’il faut la préparer, en perfectionnant chacun
nos moyens personnels. L’heure n’est plus de remettre à d’autres
le soin d’agir à notre place. Et nous avons tous des talents
variés à exploiter, même si cela demande un très
gros effort de rigueur de pensée, des lectures arides, de la
persévérance, etc... voire même de la modestie.
Nous avons tous, autour de nous, quotidiennement, l’occasion d’amener
des proches, parents, compagnons de travail, relations diverses, à
réfléchir. Mais il nous appartient de soigner la façon
d’aborder avec eux le dialogue pour le mener opportunément sur
notre sujet. Là encore l’improvisation est dangereuse. Une erreur
psychologique peut mener à un échec plus grave que l’ignorance.
Il faut savoir préparer le terrain, analyser les motivations
de l’interlocuteur, ses blocages et ses manies. Il faut prendre soin
de le préparer à comprendre, avant de lui présenter
une solution. Je crois, par exemple, que si l’enthousiasme nous emporte
au point de décrire un véritable pays de Cocagne, sans
chômage, sans impôts, sans crimes crapuleux, etc., à
quelqu’un à qui on a omis de faire comprendre, au préalable,
pourquoi et comment de nouvelles bases d’échanges entre les hommes
sont possibles et nécessaires, il ne faut pas s’étonner
d’entendre traiter les « abondancistes » d’utopistes, donc
de doux dingues...
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Nous avons conscience d’être arrivés à un tournant décisif dans notre action. Jamais les faits économiques n’ont mieux crié la justesse de nos analyses. Demain la gauche au pouvoir peut nous ménager une meilleure audience. Sommes-nous prêts à faire l’effort individuel nécessaire pour être à la hauteur de la tâche que nous nous sommes fixée ?