Stop aux casseurs !

Éditorial
par  M.-L. DUBOIN
Publication : décembre 2018
Mise en ligne : 3 mars 2019

Le pire des casseurs n’a jamais essayé d’abîmer la façade d’une banque avec une boule de pétanque. Bien plus violent, l’actuel chef de l’État a déjà beaucoup plus cassé, en 18 mois, tant dans les services publics que dans les institutions sociales ! Il a ainsi poursuivi la politique menée par ses pré­décesseurs depuis le tournant libéral de 1982. Mais il l‘a fait plus brutalement et avec arrogance, balayant les problèmes sociaux sans l’ombre d’un scrupule. Il a même trahi son mépris pour ceux qui, à ses yeux, « ne sont rien » en laissant (bêtement) échapper de petites phrases odieuses qui ont achevé de le discréditer.

Rien d’étonnant donc si 80% de la popu­lation ont approuvé le mouvement des “gilets jaunes” dont les revendications, innombrables et fort diverses, se sont élevées d’abord très pacifiquement. Et bien qu’il y ait parmi eux des racistes et des violents, le gouvernement n’a pas réussi à les faire confondre avec les casseurs qui s’acharnent contre un monde de luxe dont ils se voient exclus [1].

Le gouvernement a déployé d’énormes et violentes forces de police, qui ont même procédé à des arrestations “préventives”. Par une telle méthode, indigne d’une démocratie, il parviendra peut-être à venir à bout d’un peuple qui se sent méprisé et qui dénonce la croissance intolérable des inégalités.

Les rustines qu’E. Macron a fini par lancer vont faire illusion à ceux qui n’y voient qu’un supplément de pouvoir d’achat dans l’immédiat… avant de découvrir qu’en fin de compte, pour trouver les quelque 10 milliards promis, c’est encore une fois le budget de la sécurité sociale et celui des services publics qui seront mis à mal.

Une des grosses difficultés pour ce mouvement est qu’il n’a pas l’unité qui fait la force autour d’un objectif clair. S’étant formé par opposition à un impôt, il aurait pu le trouver en débattant : quel impôt pouvons-nous accepter de payer et pour financer quoi ? De leurs réflexions serait ressortie la nécessité de se battre pour réformer l’impôt sur le revenu,.parce que c’est cet impôt qui est le plus juste, bien plus que la TVA qui taxe au même taux les riches et les pauvres (et rapporte ainsi le double au budget natio­nal), mais à condition qu’il devien­ne vraiment proportionnel aux revenus, pour en finir avec ces revenus nets qui atteignent des sommes absolument éhontées de plusieurs millions d’euros par an.

Son discours n’étant plus crédible, même pour la plupart de ceux qui l’ont élu, son obstination à « ne pas changer de cap » a eu un effet que le président ne souhaitait pas : réunir les contestataires pour exiger sa démission… Mais la solution n’est pas de changer de président si c’est pour suivre la même politique, même plus habilement, même avec d’autres rustines pour faire perdurer le système. C’est ce système qu’il faut changer !

Croissance exponentielle des inégalités, emplois introuvables, emplois qui ne permettent pas de vivre décemment, impuissance à prendre les mesures urgentes pour mettre fin aux multiples abus qui épuisent les ressources de la terre et de ses habitants, développement souvent monstrueux [2] du “chacun pour soi” et même, chez certains, haine de l’étranger, ne sont que des effets.

C’est à leur cause qu’il faut mettre fin.

Cette cause commune réside dans le fait que toutes les motivations, dans la sphère économique, sont orientées par la course à un profit financier. Tout passe par cet intermé­diaire qui s’est substitué à tout autre intention : si tel geste peut rapporter, il faut le faire ; s’il n’y a pas de client pour le payer, il ne faut pas le faire.

C’est absurde et c’est totalement amoral, cela déshumanise toute activité et par conséquent détruit tout ce qui forme société, à savoir la conscience qu’on fait tous partie d’une communauté d’êtres semblables, dont nous avons besoin et qui, de même, ont besoin de nous.

Pour sortir de la crise existentielle où s’est engagée l’humanité, il faut prendre conscience de cette réalité profonde et remplacer l’économie capitaliste par une économie de partage. Une économie dans laquelle la monnaie serait distributive pour n’être que le moyen de partager les tâches et les biens produits sans détruire les ressources épuisables. Car pour que la démocratie devienne enfin possible, il faut absolu­ment débarrasser l’économie de l’obsession du profit financier .

Mais c’est remettre en cause l’idée que le revenu ne peut être qu’individuel et proportionnel à un “mérite”… qu’il est pourtant impossible de mesurer  !

Le seul obstacle à surmonter provient d’idées fausses qui se révèlent fatales, mais malheureusement, on constate qu’elles sont solidement ancrées dans les esprits.

Alors on n’en sort pas : chacun pour soi, chacun selon son mérite, et après moi le déluge !


[1Au fait, comment et pourquoi devient-on casseur au XXIe siècle dans un des pays les plus riches du monde ?

[2Voir l’enquête que L’Obs vient de publier sur les poisons que l’industrie alimentaire nous fait avaler sans contrôle, en toute impunité.