« Toutes choses se tiennent »
par
Publication : mars 1981
Mise en ligne : 21 octobre 2008
EN 1854, le Grand Chef Blanc à Washington offrit d’acheter
une large zone du territoire indien et promit une « Réserve
» pour le peuple indien.
La réponse du chef Seattle a été décrite
comme la plus belle et la plus profonde déclaration jamais
faite sur l’environnement.
« Comment pouvez-vous acheter ou vendre le ciel, la chaleur de
la terre ? L’idée nous paraît étrange. Si nous ne
possédons pas la fraîcheur de l’air et le miroitement de
l’eau, comment pouvez-vous les acheter ?
Chaque parcelle de cette terre est sacrée pour mon peuple. Chaque
aiguille de pin luisante, chaque rive sableuse, chaque lambeau de brume
dans les bois, chaque clairière et chaque bourdonnement d’insecte
est sacré dans le souvenir et l’expérience de mon peuple.
La sève qui coule dans les arbres transporte les souvenirs de
l’homme rouge. Les morts des hommes blancs oublient le pays des hommes
et de leur naissance lorsqu’ils s’en vont se promener parmi les étoiles.
Nos morts n’oublient jamais cette terre magnifique, car elle est la
mère de l’homme rouge. Nous sommes une partie de la terre et
elle fait partie de nous. Les fleurs parfumées sont nos soeurs
; le cerf, le cheval, le grand aigle, ce sont nos frères. Les
crêtes rocheuses, les sucs dans les prés, la chaleur du
poney, et l’homme. tous appartiennent à la même famille.
Aussi lorsque le grand chef à Washington envoie dire qu’il veut
acheter notre terre, demande-t-il beaucoup de nous.
Le Grand Chef envoie dire qu’il nous réservera un endroit de
façon à ce que nous puissions vivre confortablement entre
nous. Il sera notre père et nous serons ses enfants. Nous considérons
donc votre offre d’acheter notre terre. Mais ce ne sera pas facile.
Car cette terre nous est sacrée.
Cette eau scintillante qui coule dans les ruisseaux et les rivières
n’est pas seulement de l’eau mais le sang de nos ancêtres. Si
nous vous vendons de la terre, vous devez vous rappeler qu’elle est
sacrée, et vous devez apprendre à vos enfants qu’elle
est sacrée et que chaque reflet dans l’eau claire des lacs pare
d’événements et de souvenirs dans la vie de mon peuple.
Le murmure de l’eau est la voix du père de mon père.
Les rivières sont nos frères, elles étanchent notre
soif. Les rivières portent nos canoës et nourrissent nos
enfants. Si nous vous vendons notre terre, vous devez vous rappeler
et l’enseigner à vos enfants, que les rivières sont nos
frères et les vôtres, et vous devez désormais montrer
pour les rivières la tendresse que vous montreriez pour un frère.
Nous savons que l’homme blanc ne comprend pas nos moeurs. Pour lui,
une parcelle de terre ressemble à la suivante, car c’est un étranger
qui arrive dans la nuit et prend à la terre ce dont il a besoin.
La terre n’est pas son frère, mais son ennemi, et lorsqu’il l’a
conquise, il va plus loin. Il abandonne la tombe de ses aïeux et
cela ne le tracasse pas. Il enlève la terre à ses enfants
et cela ne le tracasse pas. La tombe de ses aïeux et le patrimoine
de ses enfants sont laissés dans l’oubli. Il traite sa mère,
la terre, et son frère, le ciel, comme des choses à acheter,
piler, vendre comme les moutons ou les perles brillantes. Son appétit
dévorera la terre et ne laissera derrière lui qu’un désert.
Je ne sais pas. Nos moeurs sont différentes des vôtres.
La vue de vos viles fait mal aux yeux de l’homme rouge. Mais peut-être
est- ce parce que l’homme rouge est un sauvage et ne comprend pas.
Il n’y a pas d’endroit paisible dans les viles de l’homme blanc. Pas
d’endroit pour entendre les feuilles se dérouler au printemps,
ou le froissement des aies d’un insecte. Mais peut-être est-ce
parce que je suis un sauvage et ne comprends pas. Le vacarme semble
seulement insulter les oreilles. Et quel intérêt y a-t-il
à vivre si l’homme ne peut entendre le cri solitaire de la sterne
ou les palabres des grenouilles autour d’un étang la nuit ? Je
suis un homme rouge et ne comprend pas. L’indien préfère
le son doux du vent s’élançant comme une flèche
au-dessus d’un étang ; et l’odeur du vent lui- même, lavé
par la pluie de midi ou parfumé par le pin.
L’air est précieux à l’homme rouge, car toutes choses
partagent le même souffle : la bête, l’arbre, l’homme partagent
le même souffle. Mais l’homme blanc ne semble pas remarquer l’air
qu’il respire. Comme un homme qui met plusieurs jours à expirer,
il est insensible à la puanteur. Mais si nous vendons notre terre,
vous devez vous rappeler que l’air nous est précieux, car l’air
partage son esprit avec tout ce qu’il fait vivre. Le vent qui a donné
à notre grand- père son premier souffle a aussi reçu
son dernier soupir. Et si nous vendons notre terre, vous devez la garder
à part et la tenir pour sacrée. Nous considérons
donc votre offre d’acheter notre terre. Mais si nous décidons
de l’accepter, j’y mettrai une condition : l’homme blanc devra traiter
les bêtes de cette terre comme des frères.
Je suis un sauvage et ne connais pas d’autres façons de vivre.
J’ai vu un millier de bisons pourrissant sur la prairie, abandonnés
par l’homme blanc qui les avait abattus d’un train qui passait. Je suis
un sauvage et ne comprends pas comment le cheval de fer peut être
plus important que le bison tué par nous seulement pour subsister.
Qu’est-ce que l’homme sans les bêtes ? Si toutes les bêtes
disparaissaient. l’homme mourrait d’une grande solitude de l’esprit.
Car ce qui arrive aux bêtes arrive bientôt à l’homme.
Toutes ohoses se tiennent.
Vous devez apprendre à vos enfants que le sol qu’ils foulent
est fait de la cendre de nos aïeux. Pour qu’ils respectent la terre,
dites à vos enfants qu’elle est enrichie par les vies de notre
race. Enseignez à vos enfants ce que nous avons enseigné
aux nôtres que la terre est notre mère. Tout ce qui arrive
à la terre arrive aux fils de la terre. Si les hommes crachent
sur le sol, ils crachent sur eux-mêmes.
Nous savons au moins ceci : la terre n’appartient pas à l’homme
; l’homme appartient à la terre. Cela, nous le savons. Toutes
choses se tiennent comme le sang qui unit une même famille. Ce
n’est pas l’homme qui a tissé la trame de la vie : il en est
seulement un fil. Tout ce qu’il fait à la trame, il le fait à
lui-même. Même l’homme blanc, dont le dieu se promène
et parle avec lui comme deux amis ensemble, ne peut être dispensé
de la destinée commune. Après tout, nous sommes peut-être
frères. Nous verrons bien. Il y a une chose que nous savons et
que l’homme blanc découvrira peut-être un jour - c’est
que notre Dieu est le même Dieu. Il se peut que vous pensiez maintenant
le posséder comme vous voulez posséder notre terre ; mais
vous ne pouvez pas. Il est le Dieu de l’homme, et sa pitié est
égale pour l’homme rouge et le blanc. Cette terre Lui est précieuse,
et nuire à la terre, c’est accabler de mépris son créateur.
Les blancs aussi disparaîtront ; peutêtre plus tôt
que toutes les autres tribus. Mais en mourant vous brillerez avec éclat,
ardent de la force du Dieu qui vous a amenés jusqu’à cette
terre et qui, pour quelque dessein particulier, vous a fait dominer
cette terre et l’homme rouge. Cette destinée est un mystère
pour nous, car nous ne comprenons pas lorsque les bisons sont tous massacrés,
les chevaux sauvages tous domptés, les coins secrets de la forêt
chargés du fumet de beaucoup d’hommes et la vue des collines
en pleines fleurs ternie par des fils qui transportent la voix. Où
sont les buissons ? Disparus. Où est l’aigle ? Disparu. La fin
de la vie est le début de la survivance. Car toutes choses se
tiennent. »