LE numéro de mars 1980 du mensuel écologique «
Vert » comporte entre autres, une remarquable enquête de
Frédéric Lewino sur la récupération des
déchets.
Sujet d’importance, car le gâchis actuel ne peut durer sans conséquences
graves pour l’avenir de l’humanité, compte tenu du caractère
évidemment limité des ressources réelles de notre
planète. Sans compter que les décharges sont à
la fois inesthétiques et malsaines.
Il nous paraît intéressant de résumer pour nos lecteurs
les principaux chapitres de cette enquête et surtout de mettre
en évidence la nocivité de notre système économique
actuel, principal obstacle à toutes les tentatives de recyclages
que permettraient, dans une économie des Besoins, les techniques
modernes.
*
Ordures ménagères
Production annuelle : 14 millions de tonnes en 1979, avec un taux de
collecte de 90 %.
Taux de valorisation actuels 32%, dont :
- 21 % produisant de l’énergie par incinération,
- 11 % transformés en compost.
Par contre, 4 000 communes pratiquent la collecte sélective
qui a permis en 1978 de récupérer :
130 000 t de verre
260 000 t de papiers cartons
3 600 t de plastiques
6 500 t de vieux chiffons.
Cette collecte sélective pourrait déboucher sur la mise en application de divers procédés de récupération du contenu énergétique des matériaux actuellement non récupérés dans les ordures ménagères, évalué à 5 % de la consommation de l’industrie française.
Exemples :
Procédés REVALORD, TRISOC et COMBUSOC, pour récupérer
papiers, verres, ferrailles et plastiques par tri mécanique,
Procédé HYDROMER pour obtenir par compression des blocs
solides combustibles et des boues compostables,
Procédé COMBOR pour produiredes granulés combustibles.
MAIS ...
« Si la collecte sélective est toujours rentable dans un
bilan énergétique, elle ne l’est pas toujours financièrement
pour la commune...
« Certaines communes s’opposent purement et simplement à
toute collecte sélective car elles ont besoin du pouvoir calorifique
des papiers, cartons et plastiques pour obtenir le meilleur rendement
de leurs usines d’incinération dont elles récupèrent
dans un but commercial la chaleur produite...
« De nombreuses municipalités ne peuvent s’engager financièrement
dans la récupération des matériaux : il leur en
coûterait plus cher que la mise en déchar
ge. »
*
Déchets industriels
Stocks actuels : 150 millions de tonnes.
Taux de recyclage des métaux :
37,7 % pour le fer
27 pour l’aluminium
37 pour le cuivré
50 % pour le plomb 29 % pour le zinc
« chiffres encore bien faibles quand on sait que le recyclage
représente une économie énergétique conséquente.
Le raffinage de déchets d’aluminium, par exemple, nécessite
de 5 à 10 fois moins d’énergie que celui du minerai correspondant. »
Pour le mercure, dont la revalorisation permet de limiter une pollution catastrophique, 450 tonnes de déchets contenant 60 tonnes de mercure pur attendent chaque année d’être traitées.
MAIS...
« Si le recyclage n’a fait l’objet d’aucune recherche poussée
jusqu’à la fin des années 60, c’est tout simplement que
les pays occidentaux pillaient sans vergogne les réserves en
matières premières et en pétrole des pays du tiers-monde.
L’augmentation vertigineuse des cours de ces produits à partir
de 1973 remet les pendules à l’heure écologique...
« Les industriels ne tiennent pas à baser tout un circuit
de production (aux investissements énormes) sur les bases mouvantes
des cours des déchets passant souvent du simple au triple en
quelques jours...
« Le bilan des bourses de déchets, destinées à
mettre en contact les industriels producteurs de déchets et ceux
susceptibles de les utiliser, n’est pas brillant, car elles manquent
de crédits.
« L’Agence Nationale pour la récupération et l’élimination
des déchets (ANRED), établissement public, devient de
plus en plus un organisme industriel qui possède des intérêts
dans des établissements privés par le biais des prêts
financiers, ce qui est une façon de lier son sort avec celui
des industriels et donc d’être amené à les défendre...
»
*
Le papier
Consommation annuelle 1979 : 6 millions de tonnes.
Déchets mis en décharge en 1979 : 4,2 millions de tonnes,
soit l’équivalent de :
71,4 millions d’arbres
ou 2,94 millions d’ha de forêts
ou 1,68 millions de t de fuel.
Taux de récupération : 6,5 % alors qu’il pourrait atteindre
60 %.
MAIS .. .
« Certains producteurs étrangers n’hésitent pas
à pratiquer le dumping (baisse artificielle des cours) pour mettre
en difficulté les industriels qui misent sur le matériau
de récupération. »
*
Les plastiques
Déchets produits en 1979 : près d’un million de tonnes.
Recyclage actuel : 45 000 tonnes, plus les 210 000 tonnes incinérées
avec les ordures ménagères.
La revalorisation sous cette forme est d’ailleurs, une absurdité,
car l’incinération d’une tonne de plastique ne fournit que 0,65
"tonne d’équivalent-pétrole alors que sa fabrication
a nécessité 1,8 tonne de pétrole.
Les déchets peuvent être découpés en fines
lanières pour améliorer la qualité des revêtements
routiers, ou pour fabriquer des tubes, des canalisations, des poteaux
synthétiques. Les thermoplastiques peuvent être chauffés,
ramollis et dotés d’une nouvelle forme (polyéthylène,
PCV, polystyrène, polyamides, etc...).
MAIS .. .
« La rentabilité financière de la collecte des matières
plastiques est encore trop aléatoire pour tenter de nombreuses
communes.
« Lentement, mais sûrement, des structures de collecte,
de tri, de traitement, et, de revalorisation se mettent en place. Mais
il ne faut pas se leurrer, les écologistes ne sont pas pour grand-chose
dans ce changement de cap de notre Société. Agiter l’épouvantail
de la pollution, dénoncer un gaspillage suicidaire des ressources
naturelles de la terre a bien moins fait qu’une multiplication des prix
du pétrole... ».
*
Le caoutchouc
Déchets annuels : 30 millions de pneus, 350 000 tonnes d’objets
divers.
Recyclage : 5 % des pneus de tourisme, 30 % des pneus de véhicules
utilitaires (rechapés), 1/3 des autres déchets industriels.
Le caoutchouc recyclé peut pourtant être :
- transformé en poudrette pour les industries de la chaussure
et du garnissage,
- régénéré, après dévulcanisation,
pour les revêtements de sol et les chaussures,
- utilisé pour peupler les fonds marins sableux,
- transformé en granulés et incorporé au bitume
des revêtements routiers pour donner une chaussée plus
solide, plus adhésive, et offrant une moindre adhésion
à la glace,
- incinéré par pyrolyse, sans pollution.
MAIS .. .
« La vente d’un pneu rechapé offre une moins grande marge
bénéficiaire au garagiste que celle d’un pneu neuf...
« Aucune collecte sélective du caoutchouc domestique n’existe
».
*
Le verre
Déchets actuels : 1 million de tonnes par an.
Taux de recyclage : 8 %, faible taux qu’aucune raison technique ne peut
expliquer, alors qu’une tonne de verre refondu fait économiser
100 kg de fuel !
Le calcin de verre pourrait également être mélangé
à l’asphalte pour donner un excellent revêtement routier,
ou transformé en verre expansé à structure cellulaire
pour les panneaux de construction et la confection de bétons
légers ou de tuyaux d’égouts.
Si 90 % des emballages plastiques étaient remplacés par
des bouteilles en verre consignées (infiniment plus saines),
on pourrait économiser 370 000 tonnes d’équivalent-pétrole,
soit 37 % de l’énergie consommée par l’industrie d’emballage
des boissons alimentaires en 1978 !
MAIS ...
« l’achat d’une bouteille en verre revient moins cher à
l’industriel que la mise sur pied d’un système de consigne. C’est
de bonne guerre commerciale... Mais là où le bât
blesse, c’est quand le fabricant de boisson achète une verrerie
car à ce moment son intérêt consiste à vendre
contenu et contenant. Pensez que sur les 10,80 frs d’un pack de bière,
2,80 frs servent à payer le verre des bouteilles. Allez demander
à BSN, fabricant de verre et propriétaire de brasseries,
ce qu’il en pense !... ».
*
L’agriculture
Déchets annuels :
- 260 millions de tonnes en 1973, dont 214 millions de tonnes réutilisées
comme engrais,
- 25 millions de tonnes de paille pratiquement non valorisées,
- 1 900 000 tonnes de déchets animaux (équarisseurs, boucheries
et abattoirs) .
Sans compter les soi-disant surproductions agricoles scandaleusement
versées en décharges et brûlées, pendant
que se multiplient les quêtes dominicales pour lutter contre la
faim dans le monde.
Or nous pourrions produire annuellement, grâce au gaz de fumier,
4 millions de tonnes d’équivalent pétrole pour l’ensemble
du parc bovin français, soit 80 % de la consommation énergétique
des agriculteurs, tout en obtenant après traitement, un fumier
au pouvoir fertilisant accru !
De même brûler 5 à 6 millions de tonnes de paille
dans les champs revient à perdre 2 millions de tonnes de pétrole.
On pourrait également traiter la paille à la soude pour
servir d’alimentation au bétail, ou l’utiliser pour fabriquer
de la pâte à papier, des panneaux, ou des substrats pour
micro-organismes.
Autres exemples :
- 7 millions de tonnes de lactosérums rejetés par l’industrie
fromagère pourraient, après traitement, remplacer le soja
dans l’alimentation des porcs,
- les vinasses et mélasses rejetées par les industries
du vin et du sucre pourraient être incorporées dans l’alimentation
animale ou constituer des substrats pour cultiver des levures sources
de protéines,
MAIS ...
« La revalorisation des sous-produits agricoles se heurte à
l’obstacle économique : variabilité de production saisonnière
; pas de marché encore amorcé ; prix de l’énergie
encore trop bas pour que certaines techniques soient rentables...
« Les solutions sont multiples. Il s’agit simplement de lancer
des programmes de recherches et d’aider au financement d’unités
de traitement. »
CONCLUSION
Amis écologistes, une fois de plus, aidez-nous à répandre
cette vérité incontestable :
S’il existe un seul déchet, irrécupérable, qui
peut et doit être mis d’urgence à la poubelle, c’est bien
le régime économique actuel !