Une mesure de transition
par
Publication : décembre 1981
Mise en ligne : 25 novembre 2008
L ’ELECTION du 10 mai a été un immense espoir pour une
majorité de Français qui ont vu dans les intentions de
F. Mitterrand et les projets du Parti Socialiste l’annonce d’une société
plus humaine et plus juste.
Les premiers résultats économiques sont éloquents
: le cap des deux millions de chômeurs vient d’être franchi.
Pour un gouvernement qui a fait de sa lutte contre ce fléau »
son objectif prioritaire, ce n’est pas un succès, même
si, paraît-il, c’était prévu. Et pour nous qui savons
qu’on peut produire beaucoup plus avec la main-d’oeuvre actuelle, une
hypothétique « relance » ne nous paraît pas
la panacée. Quant à la hausse des prix, qui ne semble
pas tellement inquiéter les nouveaux économistes qui nous
ont pris en charge, elle galope de plus belle...
Les meilleures intentions du monde, servies par des pouvoirs politiques
exceptionnels, vont-elles échouer faute d’avoir su comprendre
la nature de la crise économique qui perturbe tous les pays industrialisés
? Un tel échec serait une véritable catastrophe. C’est
sans doute la raison pour laquelle une remarquable convergence entre
beaucoup de nos lecteurs (des extraits de lettres dans ce numéro
en témoignent), la plupart de nos camarades parmi les plus actifs,
et nous-mêmes, au cours de nos réunions mensuelles de préparation
du journal, nous a conduits à proposer un plan de transition
vers !’économie distributive.
*
L’initiative de ce plan, et l’essentiel des propositions qu’il contient,
sont dûs à André Hunebelle, dont la réputation
de cinéaste ne doit pas faire oublier qu’il a acquis une grande
expérience en matière économique*. Deux de ses
articles ont posé les prémisses. En juillet, il nous rappelait
que « la crise » a les mêmes causes profondes que
celle de 29 : les problèmes posés par la production sont
solubles, ce sont ceux posés par sa distribution qu’il faut enfin
se décider à aborder. Le mois dernier, il rappelait à
nos gouvernants que l’utopie, à notre époque, c’est de
croire qu’on va pouvoir revenir au « plein emploi » (sous
entendu : pour produire les choses utiles, car on sait bien qu’on pourrait
le rétablir en faisant creuser de grands trous avec des cuillers
à café...).
Pris par ses obligations, A. Hunebelle ne pourra publier qu’un peu plus
tard les détails de son projet. Mais nous sommes conscients qu’il
est urgent de faire des propositions constructives. C’est pourquoi notre
ami a accepté que je livre dès maintenant les grandes
lignes de notre plan afin que nos lecteurs nous apportent au plus vite
leur collaboration sous forme d’amendements, de chiffres, d’arguments,
etc...
*
La croissance du chômage et la montée fulgurante des prix
au cours de l’été, nous ont conduits à prévoir
deux étapes.
La première est une mesure d’urgence. Une mesure de salut public
envers, d’une part, les chômeurs et. tous les jeunes à
la recherche d’un premier emploi, et d’autre part envers tous ceux qui,
par divers impôts ou taxes, sont amenés à les prendre
en charge. Il s’agit d’obtenir du gouvernement que soient créés,
à l’usage des chômeurs, qui y auraient accès grâce
à une monnaie spéciale, des magasins qui leur procureraient
tout ce dont ils ont besoin, au prix coûtant. Comme le fait remarquer
notre ami : « les salariés ont accès, grâce
aux comités d’entreprise par exemple, à des cantines et
à des coopératives à prix réduits, pourquoi
pas les chômeurs qui en ont tant besoin ? ». Créer
un hypermarché est chose, facile, et rapide, à notre époque.
Et créer un circuit de distribution qui permette de l’approvisionner
directement par les producteurs est à la portée d’un gouvernement
entreprenant à qui il appartient d’embaucher le personnel nécessaire.
Cela fera baisser les chiffres d’affaires de ceux qui, à l’heure
actuelle, vendent aux chômeurs ? Même pas, puisque ce sont
eux, qui, de l’autre main, versent à l’Etat ce qui permet aux
chômeurs d’acheter !
*
Cette première étape contient l’amorce de notre plan
de transition. Celui-ci consiste, essentiellement, à créer
un système économique parallèle, à l’usage
de tous les actuels « sans travail », qu’ils soient chômeurs
ou « faillis ». Ils sont disponibles : ils pourraient donc
travailler à assurer la bonne marche de ce circuit dont la rentabilité
ne serait plus l’objectif essentiel : ils travailleraient pour eux.
N’ayant plus à être compétitifs pour séduire
les clients, ils pourraient même utiliser le matériel des
entreprises jugées « dépassés » non
rentables, aux yeux du marché.
Bien entendu, un tel circuit ne pourrait pas, du jour au lendemain,
se mettre à fabriquer tout ce qui lui est nécessaire.
Il faut prévoir des dispositifs d’échanges entre ce circuit
parallèle « distributif » fonctionnant avec sa monnaie
interne et le circuit actuel du marché à monnaie capitaliste.
Mais à la réflexion, ceci est possible. Il ne manque que
la volonté de l’entreprendre.
Nos lecteurs auront certainement celle d’aider A. Hunebelle à
chiffrer son projet, puis de le défendre auprès de ceux
qui détiennent notre avenir entre leurs mains.
* Qui, de 1935 à 1939, fut un des plus intimes collaborateurs de G. Bergery, fondateur du « parti frontiste » et de « La Flèche ».