DANS l’éditorial d’octobre dernier, intitulé
« La guerre ou l’économie distributive ? », je tentais,
une fois de plus dans ces colonnes, d’attirer l’attention sur les risques
de guerre que nous fait courir le régime économique des
« prix- salaires-profits ».
En trois mois, l’évocation de ce risque a fait du chemin et tout
le monde aujourd’hui courbe le dos comme devant une fatalité.
Plus largement diffusé que mon éditorial, hélas...,
le message de Nouvel An de Giscard d’Estaing n’a fait qu’augmenter la
peur. Et au lieu de se révolter des crimes qui se préparent,
nombreux sont les Françaises-Français qui n’ont pour toute
réaction que... d’entasser des provisions. Quelle époque
et quelle déchéance !
Mais si la peur retient, au dernier moment, ceux dont dépend
le génocide final, ces mêmes braves Français rééliront
V.G.E. lorsqu’il se présentera comme le sauveur de la Paix...
Ces fins électoralistes ne sont peut-être pas les seules
motivations du Président de la République. La peur de
la guerre fait remonter les actions des producteurs d’armes. Et nous,
dont les préoccupations sont tout autres, nous enrageons de voir
nos semblables s’obstiner à fermer les yeux au point de ne pas
constater que c’est bien l’économie de marché qui crée
la situation lamentable où nous sommes, face aux moyens prodigieux
dont nous pourrions disposer. C’est pourtant facile à voir, par
tout être de bon sens qui se donne la peine d’observer. Lisons,
par exemple, « Le Monde » du 10 janvier, Patrice Claude
sous le titre judicieux « Mettez un char d’assaut dans votre portefeuille
» fait ainsi parler un conseiller en opérations boursières
: « Le pétrole ? Oui, sûrement. Les mines d’or ?
C’est un bon choix, mais attention aux troubles politiques en Afrique
Australe. Les valeurs de consommation ?
Non, Monsieur, on entre dans une période d’austérité
(?), la consommation, c’est fini pour l’instant. Achetez plutôt...
je ne sais pas moi... des actions Matra ou Dassaut... ». Il remarque
en effet :
« Les bruits de bottes stimulent les imaginations et partout les
spécialistes des marchés boursiers
internationaux conseillent de plus en plus ouvertement, en ce début
d’année trouble, l’achat d’actions liées à l’armement...
».
L’intérêt des capitalistes pour les productions d’armes
n’est pas nouveau aux Etats-Unis : « Les fabuleux hélicoptères
de combat, construits par une filiale de Boeing, sont l’objet d’une
intense publicité financière. A Wall Street, les missiles
de Northtrop, les mérites et les perspectives des avions F-14
de Grummann ou des F-16 de General Dynamics sont soupesés avec
soin par une clientèle boursière soucieuse de ne pas se
tromper ».
En Angleterre, le Premier Ministre Conservateur l’a promis, toutes les
entreprises liées à l’armement vont être dénationalisées.
Déjà Westland Aircraft, qui fabrique aussi des hélicoptères,
a des actions cotées. De même que Swan Hunters pour sa
fabrication de destroyers et Hunting Associate pour ses fusils mitrailleurs
qui « ont une bonne réputation »... Racal n’a de
son côté, jamais eu un carnet de commandes aussi garni.
Son dernier client, anonyme, vient de commander pour 40 millions de
Livres de matériel de transmissions tactiques »...
« Aux Pays - Bas, les avions Fokker sont également très
appréciés de la clientèle boursière, mais
les lance-roquettes construits par Saab en Suède. n’ont rien
à leur envier ». Une société qui fabrique
des missiles a des actions très bien cotées en Bourse
à Milan.
Et en Allemagne ? La société du Professeur Messerschmidt
n’est plus cotée à la Bourse de Francfort, mais ses héritiers
détiennent encore 14 % du capital et peuvent en toucher des dividendes.
La firme est devenue une S.A.R.L. et s’est associée (ceux qui
ont vécu la dernière guerre s’en réjouiront), à
la S.N.I.A.S. française et au groupe britannique Aerospace pour
la commercialisation de ses engins antichars. Le capital de la société
productrice des chars « Léopard est détenu à
94 % par le groupe industriel Buderus qui, lui, est coté à
la Bourse de Francfort.
En France, les 287 000 travailleurs de l’armement ne sont pas inquiets,
car les affaires de la SNIAS, de la SNECMA, celles de Dassaut, Matra,
Manurhin, Luchaire, Thomson ou Turboméca vont bien. Nos exportations
d’armements ont pratiquement quadruplé de 1970 à 1978,
alors que le total de nos exportations croissait deux fois moins vite.
Les « bruits de bottes » vont pouvoir faire monter encore
leur chiffre d’affaires qui a atteint, en 1977, trente milliards de
Nouveaux Francs.
EXPORTATIONS FRANÇAISES
D’ARMEMENTS (en milliards de Francs) |
||||||||
1970 |
1971 |
1972 |
1973 |
1974 |
1975 |
1976 |
1977 |
1978 |
2,35 |
2,52 |
3,39 |
4,11 |
4,78 |
5,26 |
6,7 |
7,83 |
8,41 |
(d’après « Le Monde
Dimanche » du 4-11-1979) |
En 1976, la Banque Mondiale a calculé que 900 millions d’individus vivaient dans la pauvreté absolue...