Déjà cette transition


par  A. PRIME
Publication : mai 1986
Mise en ligne : 23 juin 2009

« Nombre de nos contemporains comprennent ou sentent plus ou moins confusément que le régime économique et social actuel est en train de s’effondrer. Mais ils sont effrayés ou s’inquiètent du PASSAGE entre le monde d’aujourd’hui et ce monde nouveau dont ils pressentent la nécessité.
Le saut dans l’inconnu leur fait peur.
Cette brochure est faite pour calmer ces inquiétudes.
Elle montre que ce passage n’a rien d’effrayant ni de surnaturel ; elle prouve qu’il est possible de sortir du régime actuel sans mettre le pays à feu et à sang ».

Ces remarques « d’actualité » datent... de Septembre 1938. Elles figurent dans l’avant-propos d’une brochure de 40 pages éditée par JEUNES (Jeunes Equipes Unies pour une Nouvelle Economie Sociale) sous le titre « UN PLAN DE TRANSITION  » : c’est précisément le débat auquel la G.R. invite ses lecteurs à participer.
La « faiblesse » de cette ancienne brochure me semble, comme beaucoup de nos études et propositions à ce jour, résider dans le fait qu’elle suppose un gouvernement, une autorité en place pour instaurer une économie et une monnaie distributives. Un demi-siècle plus tard, cette hypothèse apparaît encore plus aléatoire qu’en 1938, période de crise grave sur fond de guerre probable et même imminente. Nous relèverons néanmoins un certain nombre d’idées judicieuses.

Les deux premières parties font l’analyse que nous connaissons bien d’un capitalisme qui ne peut plus fonctionner, empêtré dans ses contradictions. Notons simplement cet appel angoissé (nous sommes en 1938) : « Allons-nous donc demain nous égorger tous au pied des immenses montagnes de produits qui feraient le bonheur de l’Humanité, et cela, au nom d’une fidélité à un dogme vétuste qui, lui, nous abandonne ? ».
Venons-en à la 3e partie, intitulée « Le régime nouveau. Période de transition », et à ses propositions « constructives ». Constructives encore une fois, si nous avions pouvoir de décider ; or, ce qui est d’ABORD demandé aux lecteurs de la G.R., actuellement, ce n’est pas cela : c’est comment, dans le contexte politique, économique, social, que connaissent la France et le monde, comment, dis-je, espérer passer à une économie distributive (moyens, temps nécessaire etc...). Mais... rêvons un instant à l’après « prise de pouvoir », avec nos camarades en 1938 :

Quel est le problème ?
Nous avons atteint la troisième partie : l’institution du régime nouveau que nous avons appelé ; LE REGIME DE L’ECONOMIE DISTRIBUTIVE DE L’ABONDANCE.
Mais nous tenons à prévenir le lecteur que s’il n’a pas été convaincu de la faillite du régime capitaliste, même réformé, il est inutile qu’il lise plus avant.
C’est qu’en effet notre système fait table rase de principes trop vieux et de conceptions périmées et qu’il fait disparaître tous les obstacles qui s’opposent actuellement à la vie normale de l’homme et dont les principaux sont : les notions de l’or et du profit.
(Mais on verra que la disparition du système actuel se fait sans heurt, sans coup violent, avec une suffisante souplesse et à la façon d’un embrayage qui communique aux roues de l’automobile la puissance du moteur.
Nous n’avons pas voulu que des situations acquises soient soudainement détruites, et que certains individus se trouvent ainsi privés de toute ressource.
Chacun à l’assurance de vivre et de bien vivre.
Tout notre système, toute notre action n’ont qu’un but ; le bonheur matériel de l’homme, sa liberté,
son total épanouissement.
C’est l’homme en soi qui nous intéresse.
Tout est fait pour lui.
Notre plan, car nous avons un plan, permet, DU JOUR AU LENDEMAIN, de changer de régime.
Nous sommes prêts, soit par l’institution de mesures immédiates et définitives, soit par l’institution de mesures transitoires.
Car vous allez le voir, nous sommes des constructeurs qui savons ce que nous voulons, et comment nous voulons construire.

LA PROPRIETE

Ce problème est longuement traité : il faut reconnaître que c’est une des principales questions sur laquelle nous achoppons lorsque nous voulons convaincre nos interlocuteurs à nos thèses :

Retenons simplement qu’il y a :
a) La propriété qui répond à la nécessité de satisfaire des besoins : le vêtement, la bicyclette, l’automobile, le logement, l’argent en banque ou à la caisse d’épargne.
b) La propriété qui confère une puissance, un revenu  ; le propriétaire d’immeuble, le propriétaire de titres.
c) La propriété qui confère une domination et qui est celle des banques, des trusts, des cartels.
On ne peut traiter d’une façon semblable ces différentes formes de propriétés.
Les premières sont valables et semblent répondre à un sentiment, à un besoin vraiment humain, et il n’apparaît pas qu’elles doivent disparaître.

Les secondes sont consacrées par le temps et répondent aux besoins d’un système, le système capitaliste, lequel, condamné par les faits et par la science, condamne du même coup ces secondes formes de la propriété.

Les troisièmes, qui sont une amplification de ces secondes formes, doivent donc disparaître également.

Mais ces disparitions peuvent- elles se faire brutalement du jour au lendemain et sans transition ?

Est-il admissible que tel individu, telle famille qui a économisé, parfois au prix de durs sacrifices, se trouve, soudainement privé du revenu de son capital ?
Est-il possible d’admettre que tels parents, qui ont mal vécu pour que leurs enfants au moins vivent mieux, se trouvent soudainement dépouillés ?
Il ne nous l’a pas semblé.
Et c’est pourquoi nous avons étudié un système de transition, lequel est inévitablement obligatoire, quelque position révolutionnaire que l’on prenne, car s’il est facile de construire du neuf quand l’on part de zéro, il est impossible de repartir à zéro avec quelque chose. Or ce quelque chose existe : c’est le régime actuel, et il faut compter avec lui.
Le régime nouveau de la propriété a pour but :
1 ° Le maintien de la propriété lorsque celle-ci confère à l’individu la satisfaction de besoins personnels (voir «  a » ci-dessus).
2 ° L’amortissement de la propriété qui confère à son possesseur puissance et domination (« b » et « c » ci-dessus).
3 ° La disparition immédiate du capital proprement dit.

LA MONNAIE, Comme nous le proposons, est rattachée à la production et est fongible. En ce qui concerne le commerce extérieur :
« L’Office du Commerce Extérieur, qui règlera les transactions commerciales et monétaires avec l’étranger, sera créé dès le premier jour.
Précisons enfin deux points importants
1 ° Cette monnaie sera une monnaie intérieure, et n’aura de valeur que sur le territoire français.
2° Pour les paiements internationaux : il sera créé une monnaie spéciale, garantie par le contrôle des changes, - socialement utile, cette fois, puisque sortis du régime du profit, - en attendant que les autres pays adoptent le même système que le notre ».

LE CREDIT est envisagé pour les achats importants  : Les chapitres sur la PRODUCTION ne diffèrent guère de nos analyses actuelles. L’entreprise coopérative est obligatoire au dessus de 20 personnes, facultative, mais soumise au plan, au dessus de 10 personnes, libre pour l’artisanat et les professions libérales. Suivent des chapitres que nous ne pouvons développer ici, sur les divisions administratives, l’organisation syndicale, les professions libérales etc...

En conclusion :
« Notre système repose sur la compréhension et l’intelligence des individus.
Il leur propose de gérer eux- mêmes leurs propres affaires et les affaires de la France.
Mais si ces individus s’estiment incapables d’assurer cette gestion, alors ils sont mûrs pour la dictature et ils l’auront bien méritée.
Si, au contraire, comme nous l’espérons, ils sont capables de secouer leur vieilles formules, leurs vieilles idées et leurs vieilles doctrines, alors l’avenir est à nous.
Ne maudissons pas le régime présent ; il nous a procuré un niveau de vie progressivement meilleur. Aujourd’hui il n’est plus adapté, il est dépassé, il ne peut plus rien ; alors, tout simplement, sans regret, quittons-le ».


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