L’économie prime la politique
par
Publication : 16 octobre 1935
Mise en ligne : 15 avril 2006
La révolution n’est pas à faire, elle
est faite. Les Français qui pensent sont en majorité révolutionnaires ;
cette majorité ne croît plus du tout à la possibilité
d’un redressement par la simple révolution. On dit que les révolutions
sont faites par des minorités ; c’est exact par rapport à
la totalité de la population. Mais si l’on ne tient compte que
des individus susceptibles de penser pour que la révolution soit
faite, il faut aussi que la majorité de ceux-ci soient révolutionnaires.
Il reste aux révolutionnaires à prendre le pouvoir, soit
par le bulletin de vote, soit par un coup de force. La prise de pouvoir
ne donnera de bons résultats que si l’esprit révolutionnaire
est suffisamment évolué ! La prise de pouvoir, si elle
est prématurée, même si elle vient à la suite
d’un vote légal, et à plus forte raison si elle vient
d’un coup de force, est néfaste : cela constitue même un
moyen de défense pour les conservateurs (l’expression « conservateurs »
s’entendant comme l’opposé de « révolutionnaire »
et non dans son sens de parti politique). Si, par contre, sont suffisamment
instruits, éduqués, évolués, la prise de
pouvoir même par un coup de force (car les gens en place peuvent
reporter les élections ou les truquer matériellement ou
moralement) est souhaitable, car, dans ce cas, le coup de force coûtera
peu de sang, si même il en coûte.
L’esprit révolutionnaire est suffisamment évolué
quand les révolutionnaires sont devenus « plus révolutionnaires
que partisans », quand ils sont disposés à admettre
une expérience, même si leur solution personnelle est différente,
plutôt que de maintenir un statut quo qui prolonge une agonie
sans espoir. Il est d’autant plus facile de faire admettre à
un révolutionnaire une expérience en dehors de sa propre
théorie, que la solution adoptée ne sera pas celle d’un
autre révolutionnaire qu’il a pu avoir l’occasion de combattre.
La révolution à laquelle nous assistons est essentiellement
économique. La politique dans les pays où les révolutionnaires
ont pris le pouvoir (U.R.S.S., Italie, Allemagne) n’ayant pour but que
d’adapter le pays à une théorie économique adoptée
une fois pour toute.
En France, l’argument politique est habilement exploité par les
conservateurs, notamment les notions de patrie, nationalisme, internationalisme,
pour diviser les partis révolutionnaires et les empêcher
à tout prix de se rejoindre sur le plan économique. Le
régime français capitalisme-libéral, disparu en
fait, continue à exister officiellement en attendant la prise
de pouvoir par les révolutionnaires. Afin d’éviter un
arrêt absolu de la vie économique par suite de la carence
totale du système, les gouvernements qui gèrent le pays
au nom de système disparu, et qui semblent susceptibles de prendre
des mesures révolutionnaires, y ont été bel et
bien contraints. Lorsqu’on passe du débit de coalition et de
hausse illicite o la coalition par décrets dans le but de provoquer
une hausse des prix, il s’agit en toute évidence de mesures révolutionnaires
(ou tout au moins incohérentes).
Les mesures prises l’ont été dans le sens « fasciste »
qui représente le moindre mal par rapport à l’économie
capitaliste, puisqu’on détruit les richesses, plutôt que
de les distribuer, afin de sauvegarder le profit. Les révolutionnaires
se partagent en deux dont les querelles politiques sont exploitées
par les conservateurs, et dont la divergence réelle est purement
économique. En effet, les révolutionnaires à tendance
fasciste veulent ramener la production à la hauteur de la consommation
pour faire renaître le profit. Les révolutionnaires à
tendance collectiviste veulent ramener la consommation à la hauteur
de la production, celle-ci étant poussée à fond,
et le profit disparaissant du fait de l’abondance.
Les révolutionnaires à tendance fasciste ont un sens de
la collectivité qui, sans être total, est assez développé,
par opposition au système capitaliste, incapable de tout sens
collectif sous peine de disparition. Ils veulent en effet, supprimer
les abus du grand capitalisme et redonner à chacun le goût
du risque et de la responsabilité. Ils emploient les mots : patrie,
nation pour désigner la collectivité du pays, telle qu’ils
la conçoivent, la supposant épargnée des inégalités
abusives et ne conservent que des inégalités estimées
utiles par eux. Les révolutionnaires à tendance collectiviste
ont un sens total de la collectivité.
Ils pensent qu’on ne peut supprimer les abus du capitalisme qu’en supprimant
le capitalisme lui-même. Ils veulent remplacer le goût du
risque individuel par la notion du service rendu, et sont également
partisans du principe de la responsabilité, mais vis-à-vis
de la collectivité et non par rapport à l’intérêt
du responsable ainsi que l’établit le système fasciste.
Ils ne conçoivent l’idée de patrie et de nation qu’à
travers la collectivité, pensant que ne seront dignes d’être
défendus que les nations où le patrimoine appartient à
la collectivité et non pas à un certain nombre d’individus.
Cette notion de patrie en relation avec la possession du patrimoine
national les amènent aux théories internationales, car
ils pensent que les collectivités ne peuvent avoir aucun intérêt
à la guerre, laquelle ne peut profiter qu’à quelques-uns
au détriment de tous.
Ces deux notions de la patrie qui forment la seule divergence politique
sérieuse entre les deux grands groupes révolutionnaires
français, ne sont inconciliables en aucune façon, nous
voulons en voir la preuve dans les mesures franchement collectivistes
prises ces derniers temps en Allemagne et en Italie, et bien propres
à amener dans les cerveaux collectivistes l’idée de patrie ;
et dans les discours favorables à l’idée de patrie en
faveur de l’armée et de la défense du patrimoine national
en U.R.S.S., bien propres également à amener les esprits
fascistes à concevoir l’idée de patrie collectiviste.
Reste : la différence de conception économique. Que les
fascistes italiens et allemands n’aient pas songé à organiser
l’abondance en produisant à plein, et en élevant le pouvoir
d’achat de la masse à la hauteur de la production, cela provient
uniquement de leurs origines anticollectivistes. (Nous voyons maintenant
ce qu’est devenu l’anticollectivisme dans ces deux pays où il
ne subsiste plus qu’en parole, - et encore - mais est complètement
abandonné dans les actes). Cela provient aussi de ce que, dans
des deux pays, si l’abondance industrielle est possible (sauf importation
de matière première pour l’Italie surtout), l’abondance
agricole et dans le domaine du futur ou dans le domaine de l’internationalisme.
Les gouvernants italiens et allemands, s’ils ont volontiers réduit
les production industrielles pour maintenir le profit, n’ont pas eu
à réduire les productions agricoles. Au contraire, surtout
en Italie, où un gros effort a été fait en faveur
de l’augmentation de la production agricole, et notamment du blé.
Que ces pays n’aient pas songé à s’organiser sous le signe
de l’abondance se conçoit donc.
Que l’U.R.S.S. ait osé le faire, et cela dans un moment où
elle manquait de tout, cela se conçoit aussi, car ses dirigeants
et ses savants connaissaient les possibilités du sol national
en toutes choses.
Le difficile était, au contraire, de supprimer au début
le profit sous le signe de la rareté, car, au fur et à
mesure de la venue de l’abondance, l’absence de profit coule de source.
Et la France ?
Elle n’a plus de régime économique défini.
Il faut en organiser un. Sous le signe de la rareté des produits ?
Ou bien sous le signe de l’abondance ?
Les Français qui pensent que la France doit et peut vivre sous
le signe de la rareté des produits industriels ou agricoles,
aiment peut-être beaucoup leur pays, mais ne connaissent rien
de ses ressources.
En ce moment, sous l’empreinte d’un long passé de disette, nous
faisons des efforts inouïs pour essayer d’organiser la rareté,
sans cependant y parvenir.
Pense-t-on rassurer les paysans français en leur expliquant que,
grâce à la mauvaise récolte en blé de cette
année (ce mauvais n’est que relatif), les choses vont s’arranger ?
La hausse du blé par suite de la récolte moyenne et juste
suffisante, peut être transformée en victoire gouvernementale,
quoique le gouvernement n’y soit pour rien de tout ; mais c’est en tout
cas une défaite paysanne : morale et matérielle, car à
qui sert de vendre le blé plus cher si on vend moins ?
Et puis, vendre le blé plus cher à qui ?
Aux ouvriers ? Aux fonctionnaires ? Alors, on va les augmenter.
Mais non ? On les diminue. Alors qui paiera la hausse ?
Dans un pays où l’abondance est naturelles par la valeur du sol
et le génie de ses habitants, on ne peut pas organiser la rareté,
et les essais qui sont faits ne peuvent qu’abattre le moral des citoyens
puisque leur niveau de vie ne cesse de diminuer.
Alors, la seconde solution, l’Organisation de l’Abondance ? Oui, car
rien ne s’y oppose. Toutes les conditions techniques sont non seulement
réalisées, mais ne permettent pas d’autre solution. Les
conditions doctrinales seront réalisées demain si nous
voulons bien ne pas copier ce qui s’est passé à l’étranger.
Tous les Français sont partisans de l’abondance, mais ils la
conçoivent sous forme d’abondance d’argent. Ils veulent tous
avoir beaucoup d’argent. Pour quoi faire ? Pour bien vivre, se nourrir,
se loger, prendre des loisirs, et assurer leurs vieux jours. Qu’ils
ne ramènent donc plus tout à l’argent, et cela deviendra
immédiatement possible.
Les Français le savent, et le sentent au fond d’eux-mêmes,
et il est bien difficile de les persuader de la nécessité
de faire pénitence au milieu des richesses qu’ils voient inutilisées.
Au profit de qui ? Au profit de quoi ?
Pour faire régner l’abondance, il faut organiser la production
au profit de la collectivité, mais il est absolument inutile
de collectiviser la consommation, car cela n’est utile qu’en régime
de rareté.
Les Français sont individualistes,. Ils pourront l’être
encore plus en augmentant leurs loisirs. Les Français aiment
la propriété : il y a en France du sol, et des pierres,
et de la main-d’oeuvre pour tout le monde.
La majorité des Français conçoit-elle encore que
les différentes qualités, et notamment l’intelligence,
doivent conférer des avantages à ceux qui en sont pourvus ?
Surtout, disent certains, que les différences sociales sont utiles
à l’émulation.
La collectivisation des moyens de production ne s’oppose pas du tout
à ce principe, car il ne s’agit pas de collectiviser des hommes.
Les paysans propriétaires de leur terre ne veulent pas qu’on
la leur prenne ! Qu’ils se rassurent ! Il ne s’agit pas de cela, puisque
l’abondance existe dès aujourd’hui, alors qu’ils en sont propriétaires.
Mais si on leur offre de puissants moyens de travail à très
bas prix, tout en leur assurant la vent de leurs produits à des
cours fixes, refuseront-ils en échange de suivre des directives
techniques, qu’ils pourront du reste contrôler, tout en observant
pour leur main-d’oeuvre un contrat de travail permettant à celle-ci
de vivre aussi dans l’abondance ?
Les Français aiment une monnaie stable. Pourquoi ? Parce qu’une
monnaie stable doit assurer la stabilité des prix.
Pourquoi ne pas s’assurer cette stabilité par l’organisation
de la distribution de marchandises ? Gager de la monnaie par de l’or
est défendable, tant que l’or a une valeur internationale ; mais
baser la valeur de la monnaie sur l’or, marchandise étrangère
que nous devons importer, est tout à fait contraire aux intérêts
de la France.
Les Français, à de rares exceptions près, conçoivent
la nécessité de la défense nationale, mais ils
n’aiment guère être soldats. - Pourquoi ? - Parce que l’armée
est démodée.
Si la valeur technique du Haut Commandement est certaine, l’organisation
sociale de l’armée est en retard de cent ans : nourriture, habillement,
casernement, sport, bibliothèque, exercice des religions, tout
cela date de la campagne d’Algérie. Et le Français de
20 ans s’y sent dépaysé, brimé moralement et matériellement
au détriment de la valeur de l’armée.
Il faut que l’Armée profite de l’abondance. L’abondance nous
permet d’avoir une armée supérieurement outillée,
la mieux nourrie, la mieux habillée, etc. ; mais, là comme
ailleurs, on économise !!! On économise quoi ? du fer, du
charbon, de l’électricité, de la viande, du blé,
des pierres. Pourquoi ? Puisque nous en avons trop.
On pourrait continuer ainsi dans tous les domaines. Alors nous direz-vous,
il faut un plan ; encore un plan qui sera démodé quand
il faudra s’en servir ? Non, seulement un recensement exact des richesse
du pays, et la volonté de les exploiter à fond : c’est
tout ce qu’il nous faut !
Quand on a un poulet pour 10 personnes, il faut un plan ! Quand on a
un poulet pour 4, il n’y a qu’à choisir. Quand on a un poulet
pour 2, on n’a même plus besoin de choisir. Une directive et c’est
tout !!!
Celui qui produit une richesse est un bon Français. Celui qui
détruit... une richesse, qui dénature le blé, qui
arrache de la vigne est un traître à la nation.