On n’est pas encore sorti du tunnel, mais ça vient. Les «
affaires » reprennent. Timidement. On doit peut-être ce
démarrage . à M. Alain Peyrefitte qui, désireux
de laisser un grand souvenir de son passage place Vendôme et de
montrer qu’on ne le paye pas à roupiller comme un vulgaire balayeur
du métro, s’est mis en tête de réformer le Code
pénal. Vous ne voyez pas le rapport ? Attendez qu’on vous explique.
Le projet de réforme du ministre, inspiré peut-être
de son séjour chez Mao-Tsé-Toung - non, il n’y a pas la
moindre chinoiserie dans cette histoire - qui a été soumis
à l’approbation du gouvernement, sera discuté en fin de
session au Palais-Bourbon. Et s’il n’y a pas un coup fourré d’ici
là ou au cours des débats, on espère que la lumière,
toute la lumière, sera faite sur « l’affaire » de
Broglie - pour ne parler que de celle-là - dont le dossier attend
toujours qu’un juge curieux le sorte du tiroir poussiéreux où
il moisit depuis trois ou quatre ans.
M. Peyrefitte entend réveiller notre Thémis somnolente.
La lenteur de la justice, en effet, est l’une des conclusions auxquelles
il s’est arrêté au cours de son enquête : «
Il y a actuellement 40 000 détenus dont 19 000, soit près
de la moitié attendent leur jugement. Ils attendent parfois plusieurs
années ». C’est le ministre lui- même qui nous l’apprend
dans une interview au « Journal du Dimanche ». Il n’en dit
pas plus mais on devine qu’il serait prêt à nous rassurer
en expliquant :
Primo, que ces 19 000 détenus en attente se les roulent aux frais
de la princesse, nourris, dorlotés, dans des prisons de luxe
(trois étoiles) avec télé en couleurs où
nos smigards seraient heureux de passer leurs vacances ; Secundo, que
certains hauts personnages impliqués de près ou de loin
dans l’affaire « de Broglie » - entre autres - sont encore
en liberté.
Soucieux de mettre tout ce joli monde à l’abri des intempéries
et des accidents, M. Peyrefitte s’inquiète devant l’aggravation
de la criminalité qui emplit les prisons au point que l’on risque
de manquer de place. Il faut donc accélérer la procédure.
Comment ? Mais en débarrassant le Code de tout le fatras dont
il est encombré et qui ne fait que ralentir l’action judiciaire.
Notamment, mais sans le désigner nommément, l’article
439 dont on a beaucoup parlé. Ce qui permettrait au Garde des
Sceaux de remplacer - progrès oblige - l’éteignoir par
le vote à la sauvette. Et rendrait le sourire à M. Poniatovski.
J’abandonne aux exégètes et autres coupeurs de cheveux
en quatre cet article que l’on voudrait - je me demande pourquoi - escamoter,
et je livre à vos réflexions le passage de l’interview :
« En France, entre 1972 et 1978 le nombre des faits de grande
criminalité a plus que doublé (+ 115,5 %). Si notre production
avait suivi la même courbe nous serions aujourd’hui le peuple
le plus riche du monde. »
Et alors ? On n’est pas le peuple le plus riche, mais on n’est pas des
fauchés. Si M. Peyrefitte en doute qu’il demande à Raymond
Barre. Le premier économiste de France se fera un plaisir de
lui apprendre, s’il est de bon poil - ça arrive - que, question
de pépètes, depuis qu’il est, lui, à Matignon,
la France n’a pas à se plaindre. Et que, s’il les lâche
avec un élastique aux smigards et autres mendigoteurs jamais
contents, il trouve toujours le fric nécessaire pour assainir
les denrées excédentaires que l’on ne réussit plus
à vendre, ou pour doter de temps à autre la France éternelle
d’un nouveau sous-marin nucléaire en vue du grand feu d’artifice
de l’an 2000.
Enfin, pour en revenir au taux de criminalité, et puisque le
Garde des Sceaux aime les statistiques, qu’il se renseigne auprès
du ministre du Travail sur l’accroissement du chômage. C’est pas
meilleur. Il en arrivera à cette conclusion que le nombre des
sans emploi suit sensiblement la même courbe que celui des grands
délinquants.
Alors, entre nous, si la société libérale dite
avancée n’est même pas foutue de donner du travail avec
l’espoir de créer un monde plus fraternel à tous les jeunes
qui entrent dans la vie, je ne vois pas comment le Code pénal
revu et corrigé, même en escamotant l’article 439, ferait
de tous les révoltés des agneaux bêlants disposés
à se laisser tondre.
P.S. - L’article 439, à ce qu’on dit, punit de la réclusion criminelle quiconque aura détruit ou dissimulé un document de nature à faciliter la recherche de crimes ou délits. Mais qui cela peut-il concerner ?