Voies de sortie ?


par  M.-L. DUBOIN
Publication : novembre 2018
Mise en ligne : 26 février 2019

Dans Le Nez dans l’assiette, ci-dessus, Guy Gourévitch pose ainsi le problème : les analyses sont complètes, les diagnostics indiscutables, les objectifs unanimes… avant de conclure : reste à trouver comment faire.

En effet, même si l’alternative n’est pas souvent pensée par tous ceux qui n’osent imaginer ni la séparation entre emploi et revenu, ni la monnaie non circulante qui sont à la base de ce que nous défendons en décrivant la démocratie économique d’une économie distributive, il n’empêche que l’objectif unanime est bel et bien la sortie du capitalisme.

 ·*·

Diverses voies de cette sortie sont actuellement envisagées.

Pour certains, il suffirait de développer au maximum le principe de la cotisation sociale, qui assurerait ainsi les salaires. Cette bonne idée est défendue par Bernard Friot et nous l’avons exposée et longuement analysée dans ces colonnes.

Ce serait évidemment une façon de mettre fin à bien des abus du système capita­liste… et c’est pourquoi la politique actuelle va exactement dans le sens opposé.

Un autre souhait est présenté comme “porte de sortie”. Je cite cette annonce parue le 1er octobre : l’Observatoire International de la Gratuité (OIG) vient de lancer « une mobilisation continue pour mettre la question de la gratuité du service public au cœur des prochaines élections municipales et de la reconstruction d’un projet global d’émancipation.

Cette mobilisation se fait en trois temps forts  : la publication début septembre du livre-manifeste “Gratuité vs Capi­talisme“, signé par Paul Ariès au nom de l’OIG (éditions Larousse), le lancement d’un appel national le 1er octobre et l’organisation d’un forum national le samedi 5 janvier 2019 à Lyon » et le mensuel Le Monde Diplomatique consacre une grande page à soutenir cette mobilisation.

On ne peut, en effet, qu’approuver les auteurs de cette tribune quand ils affirment : « il est temps de faire place à une nouvelle civilisation, celle de la gratuité économiquement, socialement, écologi­quement et politiquement construite », car c’est bien ce que nous défendons en affirmant, plus simplement :

 Ne doit être comptabilisé que ce qui doit être économisé.

Ces auteurs ajoutent : « Nous, toutes et tous, amoureux et amoureuses de la gratuité de l’eau et de l’énergie élémentaires, des transports en commun urbains et des TER, de la restauration scolaire, des services culturels et funéraires, etc., nous clamons que l’heure est venue d’en finir avec une gratuité d’accompagnement du système, la gratuité pour les seuls naufragés, une gratuité qui ne va jamais sans condescendance ni flicage, pour passer à une véritable gratuité d’émancipation qui commence non seulement à démarchandiser, à démonétariser, mais aussi à sortir d’une conception individualiste des besoins. La gratuité est un chemin qui conduit à une société des usagers davantage maîtres de leurs usages. Nous voulons la gratuité du bon usage face au renchérissement du mésusage. Pourquoi payer son eau le même prix pour faire son ménage et pour remplir sa piscine privée ? Ce qui vaut pour l’eau vaut aussi pour l’ensemble des communs. Nous voulons que la gratuité soit la condition pour repenser le contenu social, écologique, démocratique du service public dans le but d’en finir avec le capitalisme et son monde. Au moment où les débats fleurissent à propos des prochaines élections municipales, nous vous invitons à faire de la défense et de la promotion de la sphère de la gratuité un enjeu essentiel des prochains scrutins, nous appelons toutes les personnes de bonne volonté à partager les fruits des mille et une formes de gratuité et à coopérer pour faire pousser cette belle idée ».

Bien d’accord… mais c’est justement parce qu’une telle gratuité va à l’encontre de l’idéologie capitaliste que l’idée aura bien du mal à passer dans les prochains scru­tins !

Une autre affirmation a le vent en poupe : le seul problème à surmonter pour résoudre tous les autres serait celui de la démographie qui est devenue galopante.

Là, l’erreur est manifeste. La démographie n’est pas la cause.

Renaud Duterme (du CADTM, le Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde, souvent cité dans dans La Grande Relève) l’explique très clairement : « La question démographique est loin d’être le pro­blème fondamental. Plus que le nombre, c’est davantage le mode de production et de consommation historiquement encouragé par les pays industrialisés qui pose problème.

Un seul chiffre révélateur concernant le ré­chauf­fement climatique, on estime que les 500 millions de personnes les plus aisées sont responsables d’environ la moitié des émissions de gaz à effet de serre.

On peut ainsi réduire drastiquement la po­pulation, les crises écologiques et climatiques ne seraient pas résolues pour autant.

C’est d’autant plus vrai que les pays n’ayant pas terminé leur transition démographique sont précisément ceux dont les populations émettent le moins de CO2 et ont le mode de vie le plus “soutenable”, en termes purement quantita­tifs. à l’inverse, les pays qui ont la plus forte empreinte écologique ont pour la plupart une population qui se stabilise, voire décroît, et ce sans aucune mesure coercitive.

Car au regard de l’évolution démographique des différentes régions du monde, on constate que les facteurs expliquant une forte natalité sont très souvent liés à des conditions socio-économiques précaires, notamment liées à une absence de sécurité sociale, des revenus fami­liaux insuffisants et une forte mortalité infantile.

Ainsi, l’histoire des pays qui ont terminé leur transition démographique montre que la population a tendance à se stabiliser une fois que des systèmes de santé, d’éducation et de protection sociale sont établis. …Celles et ceux qui insistent sur le pro­blème démographique ont le plus souvent accès à ces mécanismes de protection, ce qui leur permet précisément d’envisager l’avenir avec sérénité et, qui plus est, ont une empreinte écologique bien plus problématique que celle des populations qu’ils pointent. Les personnes tant préoccupées par cette question auraient ainsi tout intérêt à lutter contre les politiques génératrices d’inégalités mises en œuvre depuis les années 80 dans le cadre de ce qu’on nomme l’idéologie néolibérale.

Plus généralement, placer la question de la démographie au centre du débat revient surtout à occulter d’autres facteurs, qui pourtant sont primordiaux, tels que la question du mode de production.

Ainsi, pointer l’accroissement démographique revient souvent, volontairement ou non, à dédouaner de ses responsabilités une logique économique exclusivement orientée vers le profit et le productivisme, véritable cause des catastrophes qui se profilent.

Enfin, considérer le problème comme résultant principalement de facteurs quantitatifs conduit à une vision des choses mettant l’ensemble de l’humanité devant les mêmes responsabilités et faisant fi des relations d’exploitation au sein de cette humanité, relations pourtant cruciales si l’on veut comprendre comment nous en sommes arrivés là.

En définitive, le dilemme est le suivant : soit on considère la démographie comme la prio­rité et par là on admet être partisan d’une solution coercitive comme celle pratiquée par les autorités chinoises ; soit on arrête de mettre cette question à l’avant plan et on se concentre sur d’autres revendications comme la réduction des inégalités, une meilleures redistribution des richesses, la défense de politiques sociales et économiques inclusives et la sortie du modèle productiviste, revendications qui auront précisément pour résultat indirect une stabilisation de la population. »

Nous ne sommes plus seuls à pousser l’ana­lyse jusque là  !


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