Soyons clairs !

Débat
par  B. BLAVETTE, F. CHATEL, M. BERGER
Publication : mai 2020
Mise en ligne : 3 octobre 2020

À partir d’articles récents, Bernard Blavette, François Chatel et Michel Berger expliquent leur choix de certains termes :

 Le capitalisme ne rendra pas gentiment les clés

Bernard  :

On ne peut qu’être d’accord avec le diagnostic du texte de François intitulé “La consommation” dans La Grande Relève 1215 de février. Mais se pose l’éternelle question : comment faire rendre gorge à l’oligarchie dominante ? Car, comme l’affirme Lordon dans le blog du Monde Diplomatique, il n’y a rien à espérer du côté des processus électoraux. Il nous faudra nécessairement sortir de la légalité qui nous est imposée. Mais l’exemple des “gilets jaunes” montre que, faute d’actions soigneusement organisées, la répression aura toujours le dernier mot.

François  :

En effet, le capitalisme ne rendra pas les armes de lui-même, il faudrait que l’oligarchie dominante échappe à ce déni et cette assurance aveuglante, conséquences de sa soi-disant victoire sur tous les genres de socialisme acquise en 1989. Tant que le mouvement contestataire, comme tu dis, ne sera pas porteur d’une idée révolutionnaire structurée, le loup soufflera facilement les revendications de paille ou de bois. Sans une évacuation brutale et globale, l’oligarchie capitaliste et financière saura trouver les solutions pour sa sauvegarde. Bousculée par les problèmes liés au réchauffement climatique, elle va poursuivre l’utilisation des énergies fossiles jusqu’à leur épuisement et imposer en parallèle les nouvelles technologies par l’application d’un totalitarisme écologique, de façon à garder la possibilité de s’accaparer l’énergie en cas de réduction des disponibilités de celle-ci. L’absence ou la réduction importante de l’utilisation des énergies fossiles à l’horizon d’un siècle au maximum, permettra la baisse du taux de dioxyde de carbone dans l’atmosphère. Une bonne propagande ou une guerre féroce et le tour sera joué, les survivants pourront continuer leurs jeux vidéo, utiliser les réseaux sociaux et applaudir les nouveaux “héros”, malgré les bracelets et les puces électroniques garnissant le reste de leurs corps biologiques.

 Quid du “transhumanisme” ?

Michel  :

À ce propos, dans ton texte, tu élimines d’un mot, « élucubration », toute réflexion sur le transhumanisme. Admettons que ce mot est bien vague, mais il me semble que nous sommes déjà engagés dans une transformation de l’humanité qui est du même ordre que l’apparition du langage, ou celles de l’écriture, de l’imprimerie, de l’informatique. Chacune de ces transformations comportait des effets positifs et négatifs. « La langue, disait Esope, est la pire et la meilleure des choses ». Évacuer d’un revers de main les réflexions sur ce terme de transhumanisme me perturbe un peu, car j’ai peu de connaissance dans ce domaine et aucune certitude. J’aurais aimé une formulation plus interrogative. La puissance des GAFA me fait trembler et ce n’est peut-être pas une élucubration.

 “Élucubrations”

François  :

A propos du mot “élucubrations”, tu as entièrement raison. Je rappelle la phrase où ce mot figure  : « Notre espèce composée d’êtres biologiques ne va pas échapper au sort qui est réservée à la nature, puisque nous en faisons partie. A moins de croire aux élucubrations des transhumanistes soi-disant capables de transformer l’humanité en hommes-machines ou en surhommes bioniques ». En effet, la peur m’a conduit à employer ce mot synonyme de divagations, délires.

Cependant, j’implore la circonstance atténuante, puisqu’il suffit de penser à la puissance des avancées technologiques actuelles et futures, associée à un système d’économie de marché capitaliste et aux mains de sa classe sociale supérieure sous forme d’oligarchie, pour ressentir comme un frisson désagréable parcourant la moelle épinière. Cette crainte, pour les générations futures, d’un monde entièrement technicisé aux mains d’un totalitarisme animé par un anthropocentrisme total dénommé “extropianisme”, est peut-être exagérée mais quand on constate que leurs références culturelles sont Nietzsche, David Friedman, Fredrich Hayek, Julian Simon, entre autres, il y a de quoi exprimer quelque défiance. L’émotion passée, il est vrai que certaines de ces technologies seront bienfaitrices, dans le domaine médical en particulier, pour soigner les maladies génétiques par exemple, pour l’aide aux handicaps pour lesquels la robotisation permettra des résultats étonnants. Mais que dire des projets d’amélioration de la durée de vie par l’utilisation de clones fournisseurs d’organes de rechange, de cellules souches prélevées sur des embryons, des modifications génétiques transmissibles, de la gestation artificielle sous couvert d’égalitarisme sexuel et de désir d’enfant chez les transsexuels et les couples d’hommes, et du respect de la liberté individuelle, de l’implantation de puces d’intelligence artificielle dans le cerveau afin d’améliorer les performances cognitives, etc… ?

Un travail d’éthique énorme attend les futures générations et, surtout, elles devront se garantir une organisatiosociale capable de maîtriser ces nouvelles technologies et de savoir distribuer équitablement celles qui seront reconnues démocratiquement d’utilité publique.

 L’évolution n’est pas achevée

Michel  :

Pour moi, l’évolution darwinienne de l’humanité n’est pas forcément achevée et l’apparition d’une autre espèce n’est pas impossible.

Par contre, je te rejoins tout à fait sur le fait que nous consommons de plus en plus d’énergie et que nous courons à la catastrophe. La mettre entièrement sur le compte de l’oligarchie dominante me semble un peu une facilité. Elle peut conduire à une révolution qui n’aura d’autre effet, outre une accumulation de malheurs, que de remplacer une oligarchie par une autre, comme la noblesse d’empire a remplacé l’aristocratie de l’ancien régime. Le mot révolution signifie bien « retour à un état antérieur ». Que faire alors pour que l’humanité survive ? Si on le savait, on aurait peut-être quelque chance d’y parvenir.

Pour moi, la révolution est sans effet positif à long terme, et je ne vois que dans l’instruction et l’éducation de tous le moyen de développer l’esprit critique et la réflexion.

Malheureusement en France, les réformes scolaires successives sont dominées par l’exaltation de la concurrence et de la sélection. Le mépris dans lequel sont tenus le corps enseignant et celui de la recherche en dit long sur les priorités de notre monde, dont les soubresauts sont inquiétants et peu inspirés par l’esprit critique.

On n’avait pas vu depuis longtemps autant de dirigeants de grandes nations aussi stupides  !

Ton texte décrit une organisation sociale fondée sur la concurrence et non sur la coopération. Je suis comme toi persuadé que la coopération a des vertus que ne peut égaler la concurrence. 

 Coopération ou concurrence  ?

François  :

Il s’avère donc que deux tendances innées s’affronteraient en chacun de nous, celle de l’entraide et celle de la distinction vis-à-vis des autres. Il suffit que le système social mette en exergue et récompense l’une ou l’autre de ces tendances pour que le comportement de chacun diffère. On favorise soit la coopération, soit, comme le système actuel, la concurrence. Or, nous savons, à partir d’expériences, comme tu dis, que la coopération produit des effets supérieurs à la concurrence, autant au niveau de l’efficacité qu’à celui de la santé mentale.

Thurstein Veblen montre que la responsabilité de l’excès de consommation et son entretien n’incombe pas directement à l’oligarchie dominante formée par les hyper riches, mais, indirectement, leur modèle de consommation tire inexorablement les classes inférieures vers celui-ci, en vertu de la tendance à dominer autrui qui habite l’individu. La possession de biens matériels affichant la puissance financière des nantis sert, dans notre civilisation, de référence pour reconnaître les élites. Tous, jusqu’à ceux appartenant à la classe la plus inférieure, se battent avec leurs moyens pour tenter d’atteindre le niveau affiché par l’oligarchie ou, tout du moins, l’imitent en se rabattant sur des produits à leur portée. D’où un gâchis monstrueux qui n’est pas prêt de s’arrêter si la classe supérieure ne réduit pas drastiquement sa consommation. Mais qu’est-ce qui la distinguerait, alors  ? Ou bien nous supprimons les classes sociales et nous orientons le besoin de se distinguer vers un autre moyen de distinction, plus social, qui peut être la recherche de reconnaissance.

“Émulation” ?

Bernard  : Un point me gêne dans le texte, l’utilisation du terme “émulation” comme un synonyme de compétition ou concurrence. A mon sens, l’émulation est un processus qui implique la collaboration en vue d’atteindre un but en commun, ce qui est bien différent de la compétition J’ai demandé à deux profs de français : ils sont d’accord avec moi. Par contre, le dictionnaire ne fait pas la distinction, ce qui me semble bien étrange. Thorstein Veblen ne semble pas non plus distinguer l’émulation de la concurrence, mais là, il faut faire attention car il peut s’agir d’un problème de traduction. En tous les cas, assimiler émulation, concurrence et compétition me semble inexact et gênant.

Michel  :

Sur le terme “émulation”, je partage les positions de Bernard. Alors, de la même façon, j’ai recherché les définitions des dictionnaires. A ma grande surprise, j’ai constaté que émulation et concurrence étaient bien considérés comme des synonymes. Alors que pour moi émulation voulait dire « chercher à imiter » et concurrence « chercher à dominer ». Ils seraient donc loin d’avoir le même sens.

François  :

L’utilisation du mot “émulation”, peut en effet porter à confusion. Il possède les deux définitions suivantes : d’une part, il est synonyme de compétition, de concurrence, de rivalité envers les autres, tel qu’il est employé dans la traduction de la citation de Thorstein Veblen, et d’autre part il désigne une raison, un sentiment noble et moralement approuvé qui amène à se surpasser pour acquérir des connaissances ou des biens.

Michel  :

Je pense que cela en dit long sur notre évolution. La langue n’est pas figée, mais ses transformations sont à l’image de notre monde. En remontant un peu plus loin dans l’étymologie, j’ai constaté que le terme origine était le mot latin “aemulus” qui voulait dire : « imitation dans quelque chose de louable ». Le terme louable n’est pas neutre, et il me semble perdu dans la notion de concurrence. Je reste donc persuadé que les deux mots ne sont pas synonymes et que si on attribue deux sens au mot émulation, l’un est le sens véritable, l’autre une déformation qui en dit long sur nos priorités.


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