Sur quoi repose le système bancaire ? *
par
Publication : avril 1982
Mise en ligne : 13 janvier 2009
Quand un nombre suffisant de gens courageux auront entrepris de
mettre sur pied un système distributif, ils seront amenés
à exiger l’intervention du gouvernement sur un point capital
: l’instauration d’une monnaie distributive.
Ils se heurteront à tous ceux qui croient encore que la monnaie
est une institution éternelle que rien ne peut remettre en cause.
A ceux-là, nous répondons par l’étude publiée
ci-dessous en 1961 par J. Duboin. Elle leur montre que cette sacro-sainte
institution est totalement inconsistante : les bases du système
bancaire, sur lequel reposent toutes nos relations économiques,
ne sont en fait qu’un accord tacite, une simple convention entre gens
de connivence... et qui savent bien s’entendre par exemple quand il
s’agit de faire baisser le franc pour influencer l’électorat
!
POUR le grand public, la banque est une sorte de garde-meubles où
l’on met son argent à l’abri des voleurs. On l’en retire quand
on en a besoin. La banque vous ouvre un compte (le compte en banque
!) qu’elle crédite des sommes versées et débite
de celles retirées. Le déposant reçoit un carnet
de chèques et s’en sert pour payer ses fournisseurs : c’est très
commode. L’homme de la rue sait encore que la banque ne paye un chèque
que si l’on a de l’argent à son compte, tirer un chèque
sans « provision » étant un délit ; ici s’arrêtent
ses connaissances. Si on lui demande cependant si les banques prêtent
quelquefois de l’argent à leurs clients, il répond affirmativement.
Quel argent prêtent- elles ? Mais celui qu’on leur a déposé
! s’écrie-t-il avec un léger sourire de pitié.
Cette naïveté est répétée couramment
; elle se rencontre sous la signature de journalistes, même d’économistes
distingués et d’analystes financiers qui expliquent doctement
que les crédits consentis par les banques sont forcément
limités, car elles ne peuvent prêter que l’argent qu’elles
possèdent : la plus belle fille du monde...
Lorsque vous rencontrez un de ces innocents, dites - lui ceci quand
vous déposez 100 000 F à votre compte, n’avez-vous pas
le droit de les retirer à vue, donc à n’importe quel moment
? Supposons que vous les réclamiez le lendemain et que le caissier
vous dise : « Mille regrets ; nous venons de prêter votre
argent à un brave homme - votre voisin - qui en avait grand besoin
:il nous le remboursera dans quelques mois augmenté d’un bon
intérêt et des commissions d’usage », quelle tête
feriez-vous ? Ce n’est plus de l’argent que vous déposeriez,
ce serait une plainte pour vol ou abus de confiance. Certes vos 100
000 F appartenaient bien à la banque qui les avait mis dans sa
caisse, qui fait partie de son Actif ; mais elle avait inscrit dans sa
comptabilité qu’elle vous les devait, car vos 100 000 F figurent
à son Passif. Admettriez-vous qu’un commerçant prêtât
un élément de son Passif ? Qu’il prêtât l’argent
de ses créanciers ?
Votre interlocuteur cherchera à s’en tirer en disant que l’argent
prêté est celui de la banque ou de ses actionnaires. Conseillez-lui
de courir retirer ses fonds, car elle ne tardera pas à fermer
ses guichets : elle ne couvre pas ses frais généraux !
Il faut lui apprendre que les choses se passent autrement. Rappelez-lui
l’histoire des orfèvres de Londres chez qui les Anglais déposaient
leurs pièces d’or quand ils partaient en voyage. Les orfèvres
leur délivraient un reçu. Mais les Anglais, trouvant plus
commode de se servir des reçus à la place des pièces
d’or, négligeaient souvent de réclamer celles-ci aux orfèvres.
Ceux-ci s’enhardirent donc à fabriquer des reçus fictifs
qui, mis en circulation, sont devenus les billets de banque.
La même aventure est arrivée aux billets de banque que
les clients déposent dans les banques. Elles s’aperçurent
que, si les déposants sont nombreux, une fraction ces sommes
déposées ne sort plus de leur caisse, car si des clients
retirent de l’argent, d’autres en apportent. Elles estimèrent
donc qu’elles pouvaient autoriser quelques clients à retirer
momentanément plus d’argent qu’ils n’en avaient à leur
compte ; puis ce privilège fut étendu à de nouveaux
clients. Cette monnaie ainsi créée porte aujourd’hui le
nom de monnaie bancaire ou scripturale ; elle a pris un développement
considérable, les banques en créant souvent plus qu’il
n’existe de billets de banque en circulation.
Les 100 000 F que vous avez effectivement versés à votre
compte, permettront de créer peut-être 100 000 F de Monnaie
bancaire en faveur d’Antoine, 100 000 F de plus en faveur de Bernard,
et 100 000 F encore au profit de Casimir.
A ces trois emprunteurs, la banque remettra, comme à vous, un
carnet de chèques qu’ils pourront tirer jusqu’à concurrence
des 100 000 F prêtés. Si des porteurs de ces chèques
réclamaient des billets, vos 100 000 F effectivement versés
suffiraient à leur donner satisfaction.
En bref, la banque autorise Antoine, Bernard et Casimir à tirer
des chèques sans provision, car c’est elle qui fait la provision
.. en monnaie bancaire !
C’est que l’expérience a prouvé aux établissements
de crédit et aux grandes banques, que l’argent qui sort de leur
caisse ne découche jamais longtemps. Trois cas peuvent se présenter
: 1°) le porteur du chèque possède un compte dans
la même banque : elle crédite alors son compte et débite
celui du tireur ; 2°) il possède un compte dans une autre
banque : elle remet son chèque à la Chambre de Compensation
qui joue le rôle d’un super-siège social de toutes les
banques, car elle compense chaque soir leurs opérations de la
journée ; 3°) le porteur du chèque l’encaisse et reçoit
des billets dont il se servira pour ses achats ou pour payer les salaires
de son personnel : ces billets ne tarderont pas à faire retour
à la banque par les mille canaux du commerce de détail.
Si l’on désire une explication plus technique, la voici : la
monnaie bancaire n’a d’autre existence que celle d’un compte sur lequel
son titulaire tire des chèques s’il est créditeur. Cette
monnaie bancaire lui appartient mais ne consiste qu’en écritures
comptables ce qui sort d’un compte entre dans un autre compte et ainsi
de suite. Enfin quelques billets de banque sont nécessaires pour
les porteurs de chèques qui préfèrent les toucher
en « espèces », c’est-à-dire en papier !
* Ce texte est extrait de « Pourquoi manquons-nous de crédits ? ».