Vous avez dit chômage ?
par
Publication : mai 1982
Mise en ligne : 27 janvier 2009
UNE organisation charitable dont j’ai déjà parlé
dans ces colonnes attire à nouveau notre attention sur le douloureux
problème de l’exploitation des enfants. Je ne peux résister
au besoin de vous communiquer l’information reçue de «
Frères d’Espérance ».
Comment en effet rester indifférent quand on lit que 52 millions
d’enfants de moins de quinze ans accomplissent des tâches souvent
très dures pour un revenu parfois inexistant. Bien sûr,
on ne rencontre plus une telle exploitation dans les pays développés.
C’est dans des parties du monde comme l’Inde, l’Amérique Latine,
l’Asie du Sud-Est que des patrons osent traiter comme esclaves des êtres
sans défense.
Encore les statistiques officielles sont-elles sujettes à caution.
Elles sont établies par le Bureau International du Travail qui
n’a à sa disposition que les chiffres que les gouvernements veulent
bien lui communiquer. Gageons qu’ils ne sont pas sincères. En
septembre 1981 le rapporteur spécial devant la Sous-Commission
des Droits de l’Homme à Genève déclarait «
Plus de 150 millions d’enfants entre 10 et 14 ans font partie de la
population active mondiale ».
Je comprends bien que, dans les économies pauvres, il n’est pas
question d’offrir aux jeunes des études longues et coûteuses
qui leur donneraient une formation professionnelle et les prépareraient
à la vie. Il n’est pas étonnant que, dans de tels pays,
où l’énergie mécanique n’existe pas encore en quantité
suffisante le travail humain soit nécessaire. On peut admettre
que les enfants contribuent à la vie économique de la
nation. Mais pas dans n’importe quelles conditions.
Il n’y a pas si longtemps les enfants d’Europe n’étaient guère
mieux traités. Au siècle dernier ils étaient nombreux
à pousser les wagonnets dans les mines de charbon, d’Angleterre
et d’ailleurs. Il a fallu l’action des âmes charitables pour que
cela cesse. Surtout il a fallu le développement de l’énergie
et de la machine pour que l’homme n’ait plus à accomplir des
tâches démesurées car imposées, non pas par
la nature mais par l’industrialisation.
LA GRANDE RELEVE
Nous avons maintenant franchi ce stade et, dans la plupart des secteurs
la tendance est complètement inversée. Les tâches
pénibles n’ont pas entièrement disparu mais elles sont
souvent allégées voire éliminées par les
robots.
On serait tenté de croire que nous vivons désormais dans
un monde où le travail n’est plus la corvée qu’il était,
le labeur qui use prématurément. C’est en partie vrai.
Pourtant la réalité demeure sombre car le chômage
est venu prendre la suite de l’exploitation honteuse. La machine qui
devait libérer condamne à l’inactivité et, pour
se défendre, les travailleurs redécouvrent d’instinct
les procédés des Luddites anglais qui, en 1811, détruisirent
les métiers à tisser qui venaient prendre leur emploi.
Les 3 millions d’enfants qui travaillent dans des mines d’Amérique
Latine à 280 mètres sous terre, sans étai et sans
ventilation n’ont pas ce souci, pas plus que les petites filles de Thaïlande
qui emballent des bonbons 15 heures par jour. On ne leur prendra pas
leur emploi. D’abord on a trop besoin d’eux. Quelle main d’oeuvre extraordinaire.
Rapides, habiles, non syndiqués, peu exigeants sur la nourriture
les enfants offrent les meilleures garanties de rentabilité pour
un patron. Et quand ils grandissent et réclament un salaire on
les met à la porte.
Qui ne voit que la misère ainsi profite à certains. Les
familles sont tentées de donner ou de vendre leur enfant à
des marchands d’esclaves quand elles ne peuvent plus le nourrir ou sont
incapables de payer leurs dettes. Les entreprises peuvent alors produire
à bas prix et demeurer compétitives. C’est, en un sens,
le même phénomène avec nos chômeurs. Quand
le travailleur coûte trop cher à l’entreprise elle s en
débarrasse.
Si l’on admet que, dans la fabrication, il entre trois facteurs de coûts
: la matière première, l’énergie et la main d’oeuvre,
et que les deux premiers sont incompressibles on ne peut donc agir que
sur les salaires pour maintenir les coûts à un niveau acceptable
et permettre le profit d’ailleurs indispensable en économie capitaliste.
Pas de doute ; c’est le système entier qu’il faut revoir et repenser.
L’économie distributive en substituant la notion de revenu social
à celle de salaire doit redonner à l’être humain
sa dignité en le libérant de l’exploitation comme du chômage.