LA main qui a appuyé le revolver sur la tempe de René
Lucet ne se doutait pas qu’elle n’allait pas seulement faire sauter
la tête d’un malheureux fonctionnaire.
Les deux balles qui ont fait éclater la cervelle de René
Lucet pourraient bien à terme désintégrer la Sécurité
Sociale et au delà de la S.S., le système de santé
auquel elle sert de« vache à lait ».
Si Lucet n’était pas mort, 50 millions de Français n’auraient
jamais su qu’un directeur de Caisse de la S.S. pouvait s’octroyer 880
000 F de frais de représentation par an et s’offrir en outre
quatre gardes du corps aux frais du contribuable. IIs n’auraient pas
su non plus qu’une Caisse primaire de S.S., à l’ère de
la gestion informatisée, avait besoin de 3 300 employés
pour administrer les dossiers de maladie d’un seul département.
Ils n’auraient pas su que le budget de la Sécurité Sociale
(970 milliards pour 1981) dépassait de 200 milliards le Budget
total de l’Etat et représentait environ le tiers du Produit National
Brut (P.N.B.).
La révélation de l’effarante gabegie qui règne
dans l’Administration n’a pas fini de faire des vagues. Il est scandaleux
en effet qu’un service dont le seul rôle est d’encaisser des cotisations
sociales pour les redistribuer aux ayant droit, en l’occurence les malades,
puisse disposer de « frais de représentation », quel
qu’en soit le montant. Que les fonctionnaires perçoivent des
indemnités dans l’exercice de leurs fonctions, rien de plus normal.
Qu’ils donnent des réceptions et arrosent leurs petits copains,
politiques ou non, aux dépens-de l’Etat, c’est une autre affaire.
Il y a en France 130 caisses d’Assurance-Maladie. Si ces caisses ont
suivi l’exemple de celle des Bouches-du-Rhône, c’est plus de 100
millions de francs qui auront été extorqués à
la Sécurité Sociale pour régler les dépenses
somptuaires et les trafics d’influence de ses gestionnaires. De quoi
faire, vivre convenablement 1500 familles de chômeurs pendant
un an. Extrapolez à l’ensemble de la Fonction Publique, ajoutez-y
le secteur privé qui, lui, a depuis longtemps élevé
la « note de frais » à la hauteur d’une entreprise
lucrative et c’est par milliards qu’il faudra compter les sommes ainsi
détournées par une minorité de profiteurs. A une
époque où le nombre des chômeurs dépasse
les 2 millions et où l’on parle de solidarité nationale,
ce pillage des fonds publics constitue un scandale intolérable.
Cela dit, le laxisme des bureaucrates, le clientélisme des partis
politiques et des syndicats ne sauraient rendre compte de l’accroissement
fantastique des charges sociales et plus particulièrement des
dépenses de santé au cours des deux dernières décennies.
Pour expliquer la progression des dépenses de la Sécurité
Sociale qui dépassent aujourd’hui celles de l’Etat et absorbent
à elles seules le tiers du revenu national, il faut aller chercher
plus loin que la gabegie ou l’incurie administrative.
« Il y a quelque chose de pourri dans le royaume du Danemark »
disait Hamlet. Il doit y avoir aussi quelque chose de pourri dans notre
régime d’Assurance - Maladie qui constitue le poste le plus important
des dépenses sociales.
C’est là que nous découvrons le pot aux roses. Derrière
l’explosion des dépenses de maladie, il y a notre système
de santé, merveilleux amalgame de médecine privée
et de service public (privé pour les recettes, public pour le
financement), admirablement agencé pour promouvoir et garantir
le développement sans limites de la consommation médicale.
C’est ce constat que le signataire du présent article exprimait
en formules sulfureuses lorsqu’il terminait sa carrière au Ministère
de la Santé : « La médecine mercantile ne guérit
pas les malades, elle les cultive ». « Les praticiens, ordonnateurs
des dépenses, ne sont plus que les promoteurs des ventes de l’industrie
pharmaceutique ». « La première. chose à faire,
c’est de démercantiliser la médecine ». On ne surprendra
personne en disant que ces propos sacrilèges n’étaient
pas de nature à favoriser son avancement.
Aujourd’hui, il n’est plus seul à faire cette analyse. Il arrive
même que des membres du corps médical la reprennent à
leur compte. Je recommande à tous ceux qui s’intéressent
aux problèmes de santé la lecture de l’ouvrage fracassant
du Docteur Janine Fontaine « La médecine des trois corps
» édité chez Laffont. La médecine, le Dr
J. Fontaine l’a pratiquée pendant 20 ans, en qualité d’anesthésiste
et de cardiologue dans les services des hôpitaux parisiens, avant
d’aller découvrir les guérisseurs des lies Philippines.
Cette médecine, elle la connaît de l’intérieur.
Aussi sa critique est-elle dévastatrice, ce qui explique que
les pontes du système aient tenté de la réduire
au silence, en la faisant interdire à la télévision
et dans les média.
Ecoutons-la dénoncer « la dépersonnalisation de
la médecine, le culte des hôpitaux immenses qui multiplient
les risques infectieux ». « Le tout, écrit-elle avec
un sens aigu du diagnostic, fait partie d’un système matérialiste
démentiel dans lequel se multiplient les examens inutiles et
coûteux, où l’on maintient les malades dans les lits afin
que ceux-ci soient remplis, où les, locaux deviennent prétextes
et non plus instruments de soins, où l’on fabrique à la
pelle des maladies iatrogènes... » (p. 218). Ce qu’elle
dit s’applique aussi à la médecine de cabinet.
Ecoutons-la encore décrire le conditionnement auquel est soumis le personnel médical : « Les puissants laboratoires pharmaceutiques ou les fabricants de matériel nous abreuvent dès la première année de médecine, de luxueux fascicules qui deviennent notre Bible et qui adroitement, après avoir décrit les signes de la maladie et sa physiopathologie, concluent à la nécessisté de pratiquer X examens et d’administrer N médicaments. Et l’on est pris au piège... ».
C’est le procès en règle d’un système de soins
soumis aux impératifs de l’économie de marché.
La logique du système le pousse irrésistiblement à
multiplier les actes médicaux générateurs d’honoraires,
à développer la consommation pharmaceutique dont dépend
la prospérité des officines et des laboratoires, à
remplir les hôpitaux et les cliniques financés par les
« prix de journées », à la limite à
« fabriquer des malades - autrement dit des clients - pour rentabiliser
l’institution » (1).
Logique d’autant plus irrésistible que l’Industrie de la Santé
peut compter sur une « vache à lait » apparemment
inépuisable, la Sécurité Sociale, ce qui avait
conduit un économiste facétieux à avancer l’idée
d’un « capitalisme monopoliste d’étable ». A la vérité,
si on pousse l’analyse, notre système de santé fonctionne
comme un gigantesque « rackett » qui crée les besoins
qu’il exploite, comme une immense pieuvre aux cent mille ventouses qui
pompe le sang de la nation en même temps qu’il l’empoisonne.
Le résultat de ce système démentiel, c’est que
jamais on n’a autant dépensé pour la santé des
Français et jamais ils ne se sont si mal portés. Plus
ils fréquentent les cabinets de consultation et les hôpitaux
et plus ils sont patraques. La pathologie « iatrogène »
fait des progrès foudroyants. Aux U.S.A., 8 % des malades hospitalisés
le sont à la suite d’une intoxication médicamenteuse.
Un professeur de dermatologie de Montpellier me disait il y a 10 ans
que la moitié des clients de son service lui étaient envoyés
par ses confrères des autres disciplines. On pense au principe
de Parkinson : « Tout service a pour objectif de donner du travail
à un autre service ». Tous les ans, en France, on est obligé
de fermer des hôpitaux devenus des foyers d’infection particulièrement
virulents. Les thèses d’Ivan Illitch sur la Némésis
médicale sont toujours pertinentes. C’est que la médecine
mercantile polarisée par la poursuite du profit ne peut avoir
pour cible les causes profondes de la maladie, mais seulement ses symptômes,
à condition qu’ils soient solvables.
Ces tendances désastreuses et morbides pourraient être
éliminées et il serait sans aucun doute possible de réduire
considérablement les dépenses de soins tout en améliorant
la santé de la population (2).
Mais cela supposerait que l’on échappe à l’attraction
et à la logique de l’économie de marché. C’est
une éventualité que l’inertie mentale et les modestes
capacités de réflexion des ilotes modernes ne permettent
pas de prévoir pour demain. Cependant les choses bougent. Comme
le disait Nietzche, « les idées qui bouleversent le monde
avancent sur des pattes de colombe ».
Il peut même arriver qu’elles fassent irruption dans la tête
des gens comme les deux balles qui ont mis fin à la vie de René
Lucet.
(1) Une illustration à peine caricaturale de cette fatalité
nous a été fournie il y a 2 ans par la presse argentine.
Les pharmaciens de Buenos-Aires avaient sur les bras un énorme
stock d’une lotion contre les poux qu’ils n’arrivaient pas à
écouler. Ils ont eu l’idée de faire répandre dans
les écoles une nuée de poux sur le crâne des jeunes
écoliers. Trois semaines après, les flacons de lotion
se vendaient comme des petits pains. Ce qu’il faut bien voir c’est qu’un
état de santé satisfaisant constitue objectivement une
catastrophe pour la profession médicale et pharmaceutique. La
démarche du Dr Knock est parfaitement rationnelle dans le cadre
existant. « La santé est un état qui ne présage
rien de bon ».
(2) Il y a quelques années, j’avais soumis une proposition à
l’inspection des Finances et à la Direction des Hôpitaux
légitimement alarmées par la progression des dépenses
de santé qui dévorent une part croissante du produit national
et grèvent lourdement notre économie. Je leur avais dit
à peu près ceci : « Il y a en France une association
« Vivre en Harmonie », fondée par Raymond Dextreit,
qui préconise le végétarisme, un mode de vie près
de la nature et le traitement des maladies par les plantes, à
l’exclusion de tout recours à la médecine allopathique.
Cette association doit regrouper une vingtaine de milliers de familles.
Il vous est très facile (sous réserve d’un accord avec
l’association) de faire procéder par les services comptables
de la Sécurité Sociale, à l’évaluation des
dépenses de santé afférentes à ces familles
et de les comparer avec celles des usagers de la médecine officielle.
D’après mes estimations personnelles, basées sur un échantillonnage
réduit et donc sujettes à vérification, le rapport
des coûts serait de l’ordre de 1 à 5 en faveur des méthodes
harmonistes ». Il est à peine besoin de préciser
que cette proposition n’a pas eu de suite.