Compétition => sabotage


par  M. DEVOS
Publication : octobre 2000
Mise en ligne : 16 juin 2008

La controverse soulevée par l’article de Jean-Claude Pichot (GR-ED 1001 p.12) n’est pas close. Voici deux lettres, venues toutes deux de Strasbourg, suivies d’une réponse de l’auteur de l’article :

Pour le premier correspondant,

Ce qui me gène [dans cet article] n’est pas le fait qu’il justifie la compétition, libre à lui, mais les trucages intellectuels faits de mensonges et manipulations, et “l’oubli” des conséquences. Manipulations : Dans cette tribune libre de nombreux exemples justifient la compétition- concurrence [1]. Je ne reviendrai pas dessus avec les contre-exemples que je pourrais fournir, nous serions dans la compétition que je refuse. Pour moi, dans un raisonnement honnête, les exemples viennent illustrer, donner des images, éclairer ce que veut dire l’auteur et ne sont en aucun cas des justifications ou des preuves. C’est comme si je justifiais les massacres de la guerre parce qu’ils ont permis la création de la Croix Rouge et de la médecine d’urgence.

Mensonge : « l’esprit de compétition est inhérent à la nature humaine », c’est un acte de foi inhérent à la logique de compétition du libéralisme, si friand de langage religieux, mais cela demande à être prouvé ou démontré. Si c’était le cas, il n’aurait pas pu exister de société non compétitive. Or la compétition semble limitée aux sociétés patriarcales, surtout indo-européennes, aujourd’hui adeptes du libéralisme [2]. L’auteur est tellement peu sur de sa foi qu’il la justifie par une autre manipulation : « C’est en relevant les défis qui lui étaient imposés (ou proposés  ?) par la nature que notre humanité a pu évoluer ».

Considérer que la seule manière possible de relever un défi soit la compétition est un mensonge, qui considère que la seule attitude possible est l’escalade. Pour ma part, je vois quatre possibilités face à un défi : la soumission et l’escalade, qui sont deux attitudes compétitives, l’antithèse (ne pas accepter la donne) qui est une tentative de sortie de compétition et la coopération [3], qui est hors compétition.

Deuxième mensonge : pour prouver le “naturel” de la compétition, l’auteur donne des exemples “culturels” en réécrivant l’histoire. Je ne parle pas de malhonnêteté intellectuelle, parce que je pense que ce n’est pas une question de personne, mais de logique, un effet système. Je ne pense pas qu’il soit possible de défendre la compétition autrement que de manière compétitive, c’est-à-dire par trucages et mensonges. Quand J-C.Pichot veut mettre de côté les excès de la compétition, c’est lui qui a du être touché par la grâce pour rêver de cette sorte de guerre pacifique, à moins que comme nos militaires, il cherche une guerre qui ne fasse pas de dégâts chez les militaires de notre camp, seulement chez les civils et si possible adverses [4].

Je voudrais m’éloigner de la tribune libre pour revenir sur la compétition en général. La manipulation fondamentale qui discrédite, à mes yeux, la compétition est qu’elle repose sur l’inégalité des droits et crée la pénurie et l’incompétence, c’est donc un vice de “nature” dont je vois mal limiter les excès.

Cette inégalité est rarement dite ouvertement. Souvenons nous que l’exemple le plus pur de la compétition mis en vedette, l’olympisme, est le fruit d’une société esclavagiste et était interdit aux femmes, son slogan est en lui même un chef d’oeuvre de manipulation : « Que le meilleur gagne ! »,car la preuve se prouve elle-même : c’est le meilleur puisqu’il a gagné et il a gagné parce que c’est le meilleur, on peut continuer longtemps ! Pour moi, je commencerai à y croire le jour où quelqu’un aura pu me montrer la différence entre le meilleur et le moins mauvais. Le génie de cette manipulation est de faire passer le plus fort pour le meilleur, donc d’accorder une valeur morale à la force. Cela nous renvoie directement aux jugements de Dieu du Moyen âge ou la justice était rendue par un duel, celui qui était vaincu était donc le coupable, l’avantage était qu’il était déjà exécuté.

Le but de la compétition est d’être plus fort que le concurrent et non d’avoir une certaine compétence ou d’atteindre un objectif. Ceci, je l’appelle de l’émulation, et pour moi c’est sain car il y a des critères objectifs à atteindre, que l’on se fixe, une compétence à acquérir et on peut être plusieurs tendus dans cet effort pour réussir le défi et non pas pour être “le meilleur” !

L’objectif de la compétition est d’être le premier, pas de bien faire. Une des conséquences en est le principe de Peter : chacun monte dans l’échelle jusqu’au moment où il ne peut plus progresser parce qu’il n’en est plus capable, il a atteint son seuil d’incompétence et reste bloqué. Donc si la compétition était appliquée cela signifierait que tous nos dirigeants sont des incompétents [5]

L’inégalité apparaît dans toute logique compétitive si on gratte un peu : que peuvent signifier ces deux citations que je coupe de la tribune de J-C. Pichot : « L’humanisation de la mécanique économique ne pourra venir que de changements fondamentaux de comportement des gouvernants et des responsables des entreprises… Comme les foules nourries au panem et circenses des Romains veulent des vainqueurs et des champions  » ? Il est difficile de dire de manière plus élégante qu’on prend les citoyens pour des cons impuissants à cause des dérives, et les gens au pouvoir comme les responsables puissants.

Cette inégalité auto justifiée ne date pas, malheureusement, de Seatle ou du G8. Au siècle dernier elle a produit le “sabotage” quand les ouvriers des filatures de Lyon en grève ont cassé les métiers à tisser à coups de “sabot”. Je pense que ce type de méthode n’est pas le meilleur, et je peux me permettre de le dire parce que je suis contre la compétition et que le sabotage en est une conséquence logique. Quelqu’un qui justifie la compétition doit en assumer les conséquences et ne pas se plaindre si des loubards viennent brûler sa voiture ou si les ouvriers de Celatex polluent [6].

La pénurie engendrée par la compétition fait des milliers de morts dans le Sud, il suffit de lire les journaux pour s’en rendre compte. Je prendrai juste des exemples courants pour illustrer le lien entre compétition et pénurie. Quand sur la route deux files se réduisent à une, si vous laissez libre cours à votre “nature compétitive” et voulez être le premier à passer, vous produisez au mieux un bouchon et personne ne passe plus, au pire un accident. Seul le premier qui réussit à passer gagne.

Combien de fois ai-je vu un buffet de desserts où les premiers se servaient à être malades d’indigestion et laissaient des assiettes à peine touchées sur la table alors qu’il ne restait plus grand’chose pour les derniers  ! (C’est un peu l’image de notre monde ou la recherche médicale a de l’argent pour se consacrer aux maladies du trop manger alors que d’autres meurent dans des décharges d’ordure) [7].

Je n’accuse pas J-C Pichot d’être responsable de cet état de fait, je lui reproche de soutenir, en toute bonne foi, le maintien de cet état de fait, en profitant de son érudition [8] pour tenter de jeter la confusion dans les idées de ceux qui cherchent à réfléchir pour s’y opposer. C’est la raison qui m’a fait écrire.

Nous vivons dans un monde dominé par la compétition et avons besoin de savoir y faire face et démonter ses manipulations, comme je viens de le faire, pour pouvoir nous défendre autrement que par la violence le jour où nous n’en pouvons plus. Violence contre les autres qui n’y sont pour rien, ou violence contre nous par le stress, l’alcool ou la drogue. Il y a d’autres voies que la compétition : votre, notre revue et tous ceux qui cherchent autour, Attac et tous ces mouvements qui relèvent la tête depuis quelque temps !

Pour ma part, la coopération est une manière de faire qui me va. Elle n’est pas naturelle, c’est la manière la plus efficace d’obtenir le maximum de satisfaction pour le maximum de gens en réponse à nos besoins de pouvoir, de sécurité, de reconnaissance, d’honneur, d’amour et de prospérité. Elle est basée sur deux principes : 1) nous sommes tous égaux en droit et 2) il n’y a pas de pénurie inéluctable. Ces deux principes sont l’antithèse des fondements de la compétition qui tente de satisfaire aux mêmes besoins pour quelques “élus” sur le dos des autres.

Les personnes qui adhèrent à ces deux principes peuvent coopérer. Claude Steiner [9] a élaboré une méthode qui permet de pratiquer la coopération. Je peux témoigner de mon expérience satisfaisante à fonctionner, depuis des années, de manière coopérative, aussi bien en couple qu’avec et entre les personnes de l’association que je préside (Ceci est une parenthèse et une antithèse et n’est pas l’objectif de ma tribune libre d’aujourd’hui !)

Les idées défendues par la Grande Relève au niveau économique me semblent en phase avec les idées sociales de coopération. Si la GR-ED devait devenir le “super Calais” de l’économie distributive, comme le suggère J-C Pichot, j’irais chercher ailleurs car, pour moi, la victoire de David sur Goliath est peut être très jouissive, mais ne supprime pas la guerre. Il y a suffisamment d’exemples historiques de persécutés qui génèrent des persécuteurs [10] pour supposer que le fait d’être opprimé ne vaccine pas forcément contre l’oppression.


[1Là-dessus, je suis d’accord. Pour moi aussi “compétition” et “concurrence” c’est la même chose et j’emploie le terme de “compétition”.

[2Le système des castes n’existait pas en Inde avant l’invasion Aryenne.

[3L’autre face du Pouvoir , de C. Steiner, aux éditions DDB.

[4Ce n’est pas parce que je suis contre les manipulations et que je les dénonce que je ne sais pas les utiliser.

[5Cela doit faire partie des excès de la compétition que les grandes firmes tentent d’atténuer ou de cacher.

[6Le déversement de soude a, en fait, eu moins de conséquences pour la pollution que les déversements de l’usine dans son fonctionnement normal

[7Lily me fait remarquer que je fais une manipulation provocatrice en opposant économique et humanitaire, comme celle employée pour faire manger les enfants parce que « les petits africains ont faim. » !

[8Ou en en étant victime, car l’éducation aussi est un effet système basé sur la compétition. La création de notre médecine, par exemple, s’est faite au prix de deux millions recensés de soignantes, guérisseuses brûlées comme sorcières. Plus récemment les sages-femmes n’ont été réintégrées dans le corps médical qu’une fois la preuve faite que leur exclusion était cause de trop de morts à la naissance !

[9L’association Synerguia, “coopérer c’est pouvoir”, tient à la disposition des personnes intéressées la brochure de C.Steiner, “Manuel de coopération”.

[10Les pilgrims fathers persécutés protestants à l’origine des USA qui réussiront le génocide des indiens, les boers persécutés religieux à l’origine de l’Afrique du Sud, les communards exilés en Nouvelle Calédonie devenus Caldoches ou colons en Algérie, Israel qui fait payer la Shoah aux Palestiniens…


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