Le trou

Soit dit en passant
par  G. LAFONT
Publication : février 1980
Mise en ligne : 18 septembre 2008

Non, ce n’est pas celui des Halles.
Le trou des Halles, on n’en parle plus depuis longtemps. Dieu sait pourtant si on en a parlé à l’époque, et ce qu’on a pu y engloutir de milliards. Mais, soyons justes, ces milliards, pour une fois, ont servi à quelque chose. On a mis à la place le Centre Pompidou et le Forum. Un Centre Pompidou comme ils n’en ont pas en Angleterre ni ailleurs, et que les touristes du monde entier, déversés par pleins autocars, polaroïds en bandoulière, viennent admirer.
Le trou dont il s’agit aujourd’hui, et dont on n’a pas fini de parler, c’est celui de la Sécurité Sociale. Vous y êtes  ?
M. Raymond Barre, qui est toujours Premier ministre à l’heure où j’écris, est bien enquiquine avec ce trou que son prédécesseur lui a laissé voici trois ans avant de partir. Pas facile à boucher, un trou. Surtout un trou pareil. Tous les spécialistes, qu’ils soient énarques, polytechniciens, inspecteurs des finances ou terrassiers, vous le diront : pour boucher un trou il faut creuser un autre trou. Et ainsi de suite. De sorte qu’il reste toujours un trou à reboucher quelque part. Pas moyen d’en sortir autrement. Sinon à la rigueur, en faisant un Centre Pompidou. Moi, je veux bien, mais celui que nous avons suffit largement à mon bonheur.
Alors, si vous avez une idée, ou si vous connaissez un truc, allez voir M. le Premier ministre, à tout hasard. Moi, j’y renonce. Même s’il est dans ses bons jours je ne suis pas certain qu’il vous écoutera.
Il faut dire, et vous vous en doutez sans doute, qu’il a son truc à lui. Et il y tient. Besoin de personne pour lui donner des conseils. Quand on est le meilleur économiste de France et qu’on ne veut pas perdre un titre aussi convoité pour qu’il soit ramassé par le premier Chirac venu, ça la ficherait plutôt mal de demander des conseils aux autres et encore plus mal de se révéler incapable de boucher un trou de quelques milliards de francs. R. Barre en est capable, pensez. Mais voilà, il y a Chirac qui l’attend au virage et qui ne serait pas fâché de l’envoyer avec son plan au fond du trou.
Cela dit, il n’est pourtant pas si mal, le plan - appelez ça le truc si vous voulez - de Raymond Barre. Ce plan voté à la sauvette en décembre dernier par une Assemblée récalcitrante. Il consiste, comme vous savez, à résorber le déficit de la Sécurité Sociale en augmentant le taux des cotisations des retraités. Belle trouvaille. Et personne n’y avait encore pensé. Un truc qui revient à boucher un trou - et quel trou ! - en faisant des petits trous dans la poche des vieux et autres budgétivores. Bien sûr, ce n’est pas génial. Mais on a vu pire.
Il reste sans doute, et quoi qu’en pense son auteur, d’autres solutions. Des solutions mieux adaptées que la sienne aux problèmes du monde moderne. Si le professeur Barre, un jour qu’il n’aura rien de mieux à faire, lit « Rareté et Abondance » d’un certain Jacques Duboin, ça pourrait lui donner des idées. Il ne faut jamais rater une occasion de s’instruire, même quand on est chargé d’instruire les autres. Il aura vite compris que les foudroyants progrès des sciences et des techniques réalisés depuis le début du XXe siècle ont permis de prolonger la vie et de produire tout ce dont les hommes ont besoin, avec le superflu en prime, tout en réduisant le temps de travail encore nécessaire pour assurer cette production. Il saura, mais ne le sait-il pas ? - que le nombre des actifs ne peut cesser de diminuer et que les machines qui les remplacent, ne cotisant pas à la Sécurité Sociale ni aux caisses de retraites, le déficit ne peut que s’aggraver.
Mais s’est-il jamais demandé comment et par quel miracle on trouve toujours - et le Parlement les vote sans la moindre motion de censure - tous les milliards destinés à « assainir » la production dite excédentaire dont nos économiquement faibles avec leurs 1 200 francs par mois, les smicards et les chômeurs, ne verront pas la couleur ?
Certainement pas. Sinon notre Joffre de l’économie aurait trouvé la réponse tout seul, sans qu’on lui souffle. Il aurait même pu aller plus loin une fois lancé et réaliser que dans les pays modernement équipés le problème de la production des richesses étant résolu, il ne restait plus qu’à résoudre celui de la distribution. Le plus facile, en somme.
Ce qui aurait pu l’amener, tout doucement, sans trop se creuser les méninges, à cette solution de simple bon sens : plutôt que de pratiquer la politique du cocotier à l’égard des vieux comme cela se faisait peut-être encore dans son île natale au siècle dernier, pourquoi ne pas verser à tous les exclus de l’abondance les milliards si allègrement fabriqués par la planche à billets, pour assainir la production que l’on ne réussit plus à vendre ?
Mais ici, attention. On ne serait pas loin du « Revenu Social  ». Ce qui n’a rien à voir avec le libéralisme, même avancé.


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