Faut-il prendre parti ?

RÉFLEXION
par  J.-C. PICHOT
Publication : février 2002
Mise en ligne : 27 janvier 2007

Dans l’éditorial de notre N° 1015, daté novembre 2001, Marie-Louise Duboin, estimant que c’est folie de croire qu’on peut venir à bout du terrorisme par l’escalade du terrorisme, dénonçait les méthodes employées par le Président G.W.Bush. Elle a même osé écrire : « Notre monde est mené par des fous furieux à la recherche de leurs seuls intérêts ». Cette désapprobation a ému notre ami Jean- Claude Pichot, qui dit ici combien cette attitude l’a gêné :

Je suis de ceux, apparemment nombreux et que je comprends, qui ne se sont pas précipités dès le mois d’octobre pour réagir aux dramatiques événements de septembre et à leurs suites. Non par indifférence, au risque de laisser croire que j’approuvais cet enchaînement infernal ; mais plutôt parce que je me suis retrouvé effectivement comme tétanisé, seule hypothèse valable que je retiens de l’éditorial de M.-L. Duboin dans le numéro 1015 de la GR. Le recul du temps permet de séparer un peu mieux les émotions et les expressions de la raison ; même si l’actualité nous offre chaque jour ou presque des raisons de retarder l’échéance, il faut bien s’exprimer sans trop attendre, en espérant ne pas livrer aux lecteurs de notre revue les résultats d’une psychanalyse de pacotille ou d’une égoïste introspection...

Je me suis déjà exprimé dans ces colonnes au sujet de la complexité croissante de notre monde terrestre, qui ne permet plus d’en identifier clairement les composantes ni de les situer raisonnablement dans une structure cohérente. Après chaque secousse importante, nos subconscients essaient de retrouver dans nos histoires personnelles les souvenirs de références auxquelles chacun croit pouvoir se raccrocher : le temps de la bipolarisation politique du monde, qui permettait d’étiqueter de manière simpliste les pays et les “gens” en bons et en mauvais, est terminé. Ceci n’empêche naturellement pas ceux qui veulent le diriger (et contre ce phénomène, personne ne peut rien sauf crier, ce qui n’est pas si mal si l’on se souvient, dans certains pays, d’époques pas si lointaines “gérées” par la censure et les milices) de tenter d’imposer à chaque instant leur vue manichéenne et égoïste des choses (n’est-ce pas, M. Georges deubeliou ?).

En outre, nous sommes quotidiennement “manipulés” par choix ou omission, ou tout au moins submergés (ce qui revient à peu près à la même chose), par les flots d’informations que seuls nos préjugés personnels et nos croyances semblent légitimement en situation de trier. Comment pourrions-nous, dans ces conditions, débattre sereinement de ces drames et des défis qu’ils soulèvent ? Comment ne pas replonger dans des errements qui tenaient cahin-caha la route il y a 10 ans encore, alors que nous sommes très probablement tous à la fois “bons” et “mauvais”, blancs et noirs suivant les critères ou les moments ?

Par notre histoire, ne sommes-nous pas partie intégrante des pays dits “développés” qui se sont structurés autour des mêmes “paramètres” (pour ne pas dire “valeurs”) et ne sommes-nous pas au moins partiellement coresponsables de ce qui arrive ? “Ceux d’en face” sont-ils de simples irresponsables ballottés au gré d’influences néo-colonialistes ?

Je suis du côté de ceux, nombreux je pense, qui ont horreur de la violence, de la guerre et de la terreur, qu’elle soit le fait de groupes occultes ou de gouvernements, et je considère qu’au lieu de bombarder les différents pays qui ont eu à faire avec l’Histoire récemment (Afrique de l’est, Bosnie, Kosovo etc.) “nos” avions auraient pu larguer aux populations les médicaments, les vivres et les livres qui leur auraient rendu de bien meilleurs services que les armes déversées sur leurs biens et leurs têtes. Mais on ne refait pas l’histoire et “l’homme” ne peut se transformer de luimême du jour au lendemain : c’est généralement le fait des générations. Prendre parti comme semble le laisser croire l’éditorial de la GR de novembre m’a gêné même s’il est utile de rappeler et dénoncer les méfaits de méthodes qui ont des aspects odieux. Si une sainte alliance devait être dénoncée en premier lieu, c’est bien celle du fanatisme d’une secte musulmane, de l’obscurantisme et du terrorisme qui ont froidement condamné et exécuté des milliers de civils qui pouvaient eux aussi prétendre aux droits de l’homme, alors que, lorsque les armées américaines tuent des civils naturellement innocents, ce n’est pas intentionnel. Les hommes qui ont agi le 11 septembre n’étaient pas des pauvres vivant dans la misère de pays exploités. Prendre parti, c’est emboîter le pas à G.W. Bush.

J’en vois d’ici qui vont encore penser que je ne suis qu’un suppôt à peine déguisé du Satan américain. Erreur : je regrette profondément tous les effets pervers du fonctionnement dit “libéral” du grand frère de notre monde occidental et de sa mainmise sur le monde, avec les techniques violentes qui le caractérisent souvent. Mais comment peut-on l’empêcher de faire ce que nous considérons parfois comme des exactions ? Si des lecteurs de la Grande Relève prennent l’initiative personnelle de manifester en public ou de s’associer à des réflexions au sein de la “percolation” mondiale vers un monde plus juste, je leur dis « bravo » et « merci ». Mais je ne trouve plus suffisamment dans les colonnes de la revue ce qui devrait en faire l’outil d’une démarche destinée au plus grand nombre dans un esprit de tolérance et d’acceptation de l’autre.

Probablement me suis-je trompé en voyant une position partisane dans l’éditorial d’octobre alors qu’il ne s’agissait peut-être que de l’expression d’un “dépit”. Les Etats-Unis et la France ne sont-ils pas les deux plus importants pays universalistes au monde, (dés)unis par le « je t’aime moi non plus » ? Il ne me paraît pas nécessaire de rappeler en détail et régulièrement tout ce qui fait la différence en faveur des premiers (aux plans de la puissance économique et de l’hégémonie).

Je suis habité par deux certitudes : l’économie distributive est la solution qui présente les plus grandes vertus au service d’une vraie démocratie durable, mais je ne la verrai jamais mise en application. L’avenir est donc, pour moi et avant tout, celui de nos descendants et successeurs. Les mises en garde face aux errements présents sont nécessaires, mais il est encore plus essentiel que les esprits les plus jeunes soient préparés à une prise de conscience assumée individuellement qui seule permettra la mise en place des règles communes non imposées qui seront celles de leur monde à venir. Leur succès dépendra grandement de la maîtrise de l’organisation de la société mondiale au plan de la production et surtout de la répartition des richesses ; mais ils ne devront pas ignorer que de nombreux autres paramètres d’ordre culturel devront être pris en compte également.

Aux “timorés” de septembre, je peux confirmer, en arrivant à la fin de mon courrier, que cela fait du bien de s’exprimer. Je les incite à le faire à leur tour : je suis persuadé qu’ils ont des choses à dire.

Ah ! J’allais oublier : moi aussi j’ai une émotion à faire partager, celle, peut-être fugitive, que m’ont donnée les visages d’enfants et de femmes de Kaboul après le départ de leurs bourreaux.

(5 décembre 2001).

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