Franco cacophonie

Témoignage
par  P. VINCENT
Mise en ligne : 4 juin 2006

Entre francophonisation conquérante et tri sélectif des étrangers, il faudra choisir ! D’une amie thaïlandaise, que j’ai connue il y a fort longtemps quand elle était étudiante à Paris VII, où elle effectuait une intéressante recherche sur « la conception et la mise en œuvre de projets culturels », je viens de recevoir par internet le message suivant : « La question se pose pour moi de savoir si je dois inscrire ma fille au lycée français. Qu’en pensez-vous ? Quels sont les avantages pour elle (nouvelle génération) d’apprendre le français plutôt que l’anglais ? »

Je vois beaucoup d’amis étrangers francophones se montrer ainsi hésitants sur l’orientation linguistique à donner à leurs enfants. N’ayant pas appris l’anglais, je souhaiterais égoïstement continuer à trouver dans le monde des gens avec qui pouvoir quand même communiquer. Ce problème devrait aussi préoccuper les promoteurs attitrés du rayonnement de la France.

Que puis-je, pour ma part, dire d’encourageant à ceux qui envisagent encore d’apprendre le français, pour bien sûr venir un jour en France à des titres divers, sinon qu’ils y seront bien accueillis par une majorité de Français, mais qu’ils se verront toujours mal traités par nos ministres de l’Intérieur et les fonctionnaires qui directement ou indirectement en dépendent, comme ils l’ont toujours été plus ou moins depuis l’impulsion donnée par Charles Pasqua ?

J’ai un ami maghrébin ingénieur de Centrale, que j’avais connu à Paris alors qu’il était le directeur technique d’une Société française pour laquelle je travaillais, et nous sommes depuis toujours restés en contact. Après qu’il eût fondé dans son pays sa propre entreprise, il revenait souvent en France rencontrer ses fournisseurs. Un jour il m’a téléphoné pour me raconter les avanies subies à notre consulat et me faire part de sa résolution de ne plus jamais y remettre les pieds. Il revient quand même parfois me voir, grâce aux accords de Schengen, depuis l’Italie ou l’Allemagne où il a trouvé de nouveaux fournisseurs. Tant pis pour nous !

Je connais aussi une Japonaise qui avait passé plusieurs années en France à apprendre le français et qui aurait bien voulu y rester pour travailler. Elle avait réussi à obtenir dans un palace de Monte-Carlo un emploi pour lequel on n’avait pu lui opposer de candidat (ou de candidate) français connaissant aussi l’anglais et le japonais, mais on ne lui avait accordé que des cartes de séjour temporaires et on l’a finalement contrainte à rentrer au Japon. Il lui fallut revenir quelques années plus tard comme secrétaire du directeur d’une société japonaise construisant une nouvelle usine à côté d’Orléans, avec à la clé des centaines d’emplois créés, pour découvrir la gentillesse de nos fonctionnaires, surtout lorsqu’à leur tour ils cherchaient du travail pour un parent ou un ami, ce qu’elle raconte avec une certaine ironie. Pas de quoi être fiers de nous !

Pour en revenir à la Thaïlande, j’ai eu à me faire du souci au sujet d’une professeur de français d’un lycée de Bangkok qui avait failli rater ses vacances bien que je lui eus fait établir en temps utile un certificat d’hébergement. À la dernière minute, on lui réclamait en plus la photocopie de ma carte d’identité, ce que l’on m’avait déjà demandé à ma mairie, et bien sûr de présenter elle-même la carte d’identité , pour pouvoir délivrer ce certificat. Suprême absurdité, le consulat exigeait l’original de cette photocopie et non pas que celle-ci fût envoyée par fax, ce dont heureusement ils étaient incapables de voir la différence.

Plus récemment, prenant chaque matin mon petit déjeuner à l’Alliance Française située dans le même immeuble que notre consulat, j’ai vu une professeur d’Université être obligée d’y revenir trois jours de suite pour régler les formalités de visas concernant un séjour linguistique qu’elle avait organisé pour ses étudiants. Professeur et étudiants étaient tous bien connus du personnel du consulat, dont le zèle ne pouvait donc être inspiré par le souci de ne pas laisser entrer en France de personnes indésirables, mais uniquement par la crainte de déplaire à ses supérieurs hiérarchiques parisiens.

Je connais aussi des enseignants-chercheurs thaïlandais venus faire une thèse de doctorat en biochimie à l’Université de Bobigny (Paris XIII) et qui eux avaient obtenu leurs visas sans difficulté, mais arrivés en France ils ont eu par contre toutes les peines du monde pour se faire établir un titre de séjour. L’un d’eux s’est vu éconduire, après plus de trois heures d’attente dans une préfecture de la Région Parisienne, au prétexte que son passeport, sur lequel le consulat de France avait pourtant apposé son visa, n’était pas un passeport normal, et c’était vrai : c’était un passeport spécial délivré aux seuls fonctionnaires et qui, ô ironie, est censé valoir à leur titulaire davantage de considération !

Il s’agissait pourtant dans tous ces exemples d’étrangers modèles, parfaitement aptes à être importés au regard des plus récents critères de sélection que l’on veut instituer. Souhaitons que les étrangers que nous jugeons dignes d’intérêt continuent de leur côté de s’intéresser à la France, c’est-à-dire que celle-ci corresponde encore à leurs propres critères de choix.

Dans le courrier des lecteurs de Libération du 8/2/2006, j’ai découvert avec plaisir, sous la plume d’un de mes amis, ancien enseignant de lettres dans une Université de Bangkok, puis professeur et ancien directeur de l’INALCO (Langues O), une protestation qui a rencontré une large approbation de la part de ses élèves et anciens élèves contre les projets que concoctait déjà Nicolas Sarkozy, lequel n’a pas non plus compris que l’épaississement de la couche de méfiance à l’égard des étrangers diminue le rayonnement de la France.

Un ancien enseignant québécois de l’Université Laval, aujourd’hui retiré en Thaïlande, à qui j’avais écrit qu’en France on semblait vouloir donner une éducation de plus en plus basique, m’avait déjà exprimé aussi ses craintes concernant cette orientation culturelle : « Il en va de même de la présence de la France en Thaïlande. Le nouvel ambassadeur vient de définir le nouveau projet linguistique : on y laisse tomber toute aide et subvention aux profs et aux recherches de français, pour mettre l’accent sur le repérage des esprits de pointe en science, à qui on donnera des bourses pour aller se parfaire en France, donc pour apprendre là le français, mais la littérature et la culture française, c’est fini ! La semaine dernière, j’ai remarqué que l’Alliance française n’affichait plus qu’en anglais, y compris pour annoncer les cours de français...Ouf ! J’ai changé d’intérêt à temps en me fixant au Siam ! J’ai failli aller prendre ma retraite en France, mais j’y aurais été très malheureux de voir la France se courber devant les impératifs du monde actuel, c’est-à-dire américain...J’en ai pris mon parti, après avoir passé la plus grande partie de ma vie à me battre pour la francophonie... »

Cela ne présentera évidemment plus beaucoup d’intérêt d’apprendre le français et de venir en France si c’est pour étudier l’informatique...

Il faut savoir ce qu’on veut. Il ne servira à rien de continuer à célébrer de coûteuses grand’messes francophonesques, ni de recourir pour des campagnes de propagande aux meilleurs gourous de la communication, si ceux qui avaient fait le choix du français ont aujourd’hui trop de motifs de se montrer déçus par la France pour confirmer auprès de leurs compatriotes l’image que nous voudrions en donner. Nos politiciens, qui déterminent leur attitude à l’égard des étrangers en fonction de calculs électoralistes, devraient se préoccuper un peu plus des dommages collatéraux que cela entraîne pour le pays.


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