Les fossoyeurs

ACTUALITÉS
par  G.-H. BRISSÉ
Publication : avril 2004
Mise en ligne : 8 novembre 2006

À l’heure où nous bouclons ce numéro, les résultats des élections ne sont pas connus, mais pensant qu’elles pourraient marquer un tournant, nous pensons utile de présenter une vue d’ensemble de l’actuelle politique française :

Le 3 janvier dernier, un aéronef de type Boeing 737-300, propriété d’une compagnie égyptienne, s’écrase pour une cause encore indéterminée en Mer Rouge, au large de Charm El-Cheikh, lieu de villégiature balnéaire très prisé des Européens. 148 passagers, dont une majorité de Français et 13 membres d’équipage, y laissent la vie. Défaillance technique ? Erreur de pilotage ? Ce que l’on sait de source sûre, c’est que cet appareil avait été utilisé par sept compagnies en onze années d’exploitation, que des voyageurs rescapés de précédents périples avaient relevé son état de grande vétusté, par delà les contrôles techniques auxquels il avait été soumis. Ce qui paraît certain, c’est que de privatisations en dérégulations et dérèglementations, la recherche effrénée du profit maximum à court terme constitue le moteur fondamental des investisseurs dans l’aéronautique comme en d’autres secteurs, bien avant le confort ou la sécurité des passagers, des touristes considérés comme une marchandise.

À l’instar de leurs avions, les compagnies aériennes tombent comme des mouches sous les coups redoublés des faillites d’entreprises avec leurs corollaires obligés, les licenciements collectifs. On pense à Air France, cette entreprise d’État qui a effectué, au fil des dernières années, un redressement remarquable et que l’on jette en pâture à la concurrence internationale, l’État devenu minoritaire abandonnant son regard sur la gestion, au profit d’un secteur privé en pleine catalepsie ! C’est exactement l’inverse qu’il fallait faire : renforcer le contrôle de la collectivité publique dans un secteur où elle engrange des bénéfices !

 Haro sur le service public !

Le bradage du secteur public s’accélère dans la plus grande confusion, entre les séductions d’un modèle anglo-saxon toujours « à la mode » en dépit de ses énormes déconvenues, et les directives données dans le mêmes sens par les autorités de “Bruxelles”.

Dans un domaine aussi sensible et crucial que la recherche fondamentale, qui conditionne tout l’avenir d’une nation moderne, et de l’Humanité entière, des coupes sont pratiquées à la hache sur l’autel des restrictions financières… La mode, partout, est à la suppression d’emplois de titulaires, à leur remplacement par des contractuels, intérimaires ou temporaires, à la substitution de la gestion comptable de la pénurie aux grands projets publics, et à l’irruption de fondations privées, dont la prolifération constitue un viatique pour contrer l’effondrement du secteur public. C’est évidemment un leurre que la nation France, ou ce qu’il en reste, devra payer d’un prix élevé dans les années à venir !

L’Éducation nationale est un secteur clé qui subit de plein fouet les restrictions budgétaires. Les manifestations monstres du corps enseignant sur le thème du refus de la réforme des retraites reflètent son grand malaise. Il est vrai que les initiatives prises par les pouvoirs publics sur l’autonomie des universités a de quoi les inquiéter. En matière de douche écossaise, on ne fait pas mieux : un projet de loi est annoncé le 28 novembre 2002 par le ministre de l’Éducation nationale, pour vote et application au printemps 2003. Annonce confirmée par le Premier ministre le 28 février 2003. Devant la grogne des enseignants, le gouvernement recule. Le 30 mai, le ministre fait publiquement allusion à « un report à la rentrée du débat sur le projet de loi », lequel est annoncé le 22 septembre « pour présentation au parlement en l’an 2004 » puis le ministre précise le 22 novembre dernier « qu’aucun projet de loi n’est inscrit au programme de travail du gouvernement à l’agenda parlementaire ».

Las de ces contradictions et sans doute pour tenter d’amadouer le corps enseignant, le ministre lance l’idée d’un grand débat sur l’école. Le cinquième depuis 1994 ! … Ce n’est pas si lointain, mais quelles conclusions en ont été tirées ? Pour ne citer que l’enseignement supérieur, les dotations budgétaires ont été diminuées de 20% en 2003, de plus 10 % en 2004.

L’affaire de la loi contre le port du voile à l’école et par extension, de tout signe religieux ostentatoire, n’a fait qu’accroître le malaise suscité par l’insécurité ambiante. Sans doute, la nécessité s’affirmait-elle d’édicter une règle commune qui viendrait conforter le caractère laïque de l’enseignement public. Mais il n’est pas sûr que le vote par le parlement d’une loi (une de plus ! ) et dont on subodore les difficultés d’application, puisse répondre d’une manière concrète à la provocation manifeste que constitue le port du voile en milieu scolaire. Par ailleurs, il est clair que si l’on évoque les autres religions (ne serait-ce que les Sikhs porteurs du turban), les croyants islamistes se sentent les premiers visés par cette mesure…

 Politique de santé : payez, vous serez considéré !

La gestion calamiteuse de la canicule a attiré l’attention sur les insuffisances de nos services de santé : hôpitaux, maisons de retraite. Les responsabilités sont à chercher en tout premier lieu auprès de tous ceux, et ils sont encore fort nombreux, qui considèrent les aléas climatiques comme des phénomènes cycliques, sous-estimant le réchauffement de la planète lié à l’effet de serre et induit par l’excès de gaz carbonique dans l’atmosphère…

Non seulement les industries polluantes sont responsables, mais aussi nos modes de transports. Nous avons la possibilité de limiter considérablement la pollution émise par nos camions, grâce au système de ferroutage qui doit être mis en place sur les grands axes. Il existe en matière de transports individuels des véhicules “propres”, pourquoi ne pas les mettre en service immédiatement, sous contrats locatifs ? L’industrie automobile se déshonorerait-elle en faisant moins de publicité sur les grosses cylindrées et les puissantes voitures de luxe, et un peu plus sur ce créneau ? Les gouvernements successifs se heurtent aux groupes de pression pétroliers, de l’automobile, des camionneurs. Ces derniers peuvent à tout moment, par un mouvement de grève, stopper net l’activité économique. Alors on continue, comme on a continué à utiliser pendant des années un produit hautement nocif, l’amiante, au risque d’envoyer dans nos hôpitaux des milliers de victimes du cancer engendré par ce poison. Et il y va ici de la survie des Terriens !

L’aveuglement et la pusillanimité des pouvoirs publics face à la nécessité d’engager une lutte drastique contre toutes les pollutions n’est pas seulement dramatique, elle est suicidaire. En matière de santé, des dérives importantes tolérées ou activées mettent nos structures sanitaires à rude épreuve. Il s’agit de mettre la gestion des sites hospitaliers sous le signe du profit et de la rentabilité, là où il fallait combattre les gaspillages, rationaliser les comportements et harmoniser les modes opératoires entre les services.

Pour orienter les patients vers de grands consortiums, de modestes unités sont déclarées trop coûteuses, alors que la dégradation matérielle de nos quelque 1.500 établissements hospitaliers est flagrante.

Un numérus clausus imbécile a contribué à limiter drastiquement l’effectif de nos médecins et infirmières, là où il aurait fallu prévoir leur renforcement en fonction de l’évolution démographique et des perspectives de départs à la retraite. Nous avons la chance, par delà ce grand malheur, d’avoir affaire en général à des personnels très motivés, d’un dévouement à toute épreuve, et compétents. Mais on comprend que leur réaction soit à la mesure de leur découragement et de leurs justes revendications. On l’a vu dans les manifestations pour la sauvegarde de l’hôpital de Saint-Affrique : il était condamné à fermer ses portes et c’est la réaction de ses usagers et de son personnel qui a permis de le maintenir.

Ce processus de démantèlement est également patent dans la réorganisation de la carte hospitalière. Le poids des remboursements des soins (le tiers payant) va être reporté essentiellement sur les mutuelles, qui augmentent déjà leurs cotisations, ce qui pèsera un peu plus lourd sur les salaires, lesquels sont soumis aux aléas de la précarité de l’emploi. Ce qui réduira d’autant le pouvoir d’achat des citoyens : c’est un cercle vicieux !

Les compagnies d’assurances privées n’attendent que cette échéance pour récupérer la mise, comme elles le font déjà pour les compléments de retraites et les fonds de pension…

 Haro sur l’énergie ...

En matière d’armes de destruction massive, il en est une qui nous mine, c’est la rage qui s’est emparée des États européens de saper les fondations d’un édifice élaboré par des générations de grands commis et de citoyens républicains. Les pouvoirs publics s’acharnent à scier la branche sur laquelle ils sont assis.

Voyez ce qu’il en est des secteurs vitaux et cruciaux de l’énergie et des télécommunications : l’“obligation” de s’ouvrir aux marchés étrangers incite la direction d’EDF-GDF, dont le statut est actuellement celui d’un établissement public (EPIC), à solliciter un changement de statut. Dans cette perspective, deux sociétés anonymes seront créées, avec ouverture du capital aux investisseurs étrangers. De plus, le commissaire européen à la concurrence exige d’EDF le remboursement d’un milliard d’euros correspondant à des avantages fiscaux indûment payés : logique, mais aberrant ! EDF-GDF est une entreprise hautement stratégique, de sorte que transférer une part de son capital, voire de ses activités, à des firmes étrangères, eut été perçu, en d’autres temps, comme un acte de haute trahison. Mais c’est le “modèle” américain qui sert de référence, et le scandale d’Enron (la société de revente de l’énergie aux États-Unis) n’a pas refroidi les ardeurs des adeptes du “tout libéral” !

On a vu comment a évolué la gestion de l’eau. Autrefois, elle était assurée par les municipalités. Puis réelle a été confiée à une entreprise spécialisée, la Générale des Eaux. Puis, progressivement, les profits engendrés par ce type de gestion furent, comme on dit, “diversifiés”. Et la Générale des Eaux se mua en Vivendi Universal… On connaît la suite.

 La Poste et les Télécommunications.

La Poste aussi va s’ouvrir à la concurrence, d’abord pour le marché des lettres de plus de cent grammes, puis c’est l’ensemble du courrier qui sera pris en charge par le secteur privé. Plus de 900 bureaux de poste vont être fermés dans les zones rurales. Comme aux États-Unis ou en Grande Bretagne, la gestion du courrier et d’autres services sera confiée aux boutiquiers locaux, s’il en reste. La notion de “proximité” va en prendre un sacré coup… Des centaines de postes de travail vont être supprimés, ce qui allongera d’autant les files d’attente dans les bureaux de poste restants.

Quant au secteur des télécommunications, une vache ne retrouverait pas son veau dans la dizaine d’options proposées aux usagers du téléphone. Si, s’agissant des abonnements, ils doivent tous passer obligatoirement par les centraux téléphoniques de France Télécom (pour combien de temps encore ?) certains opérateurs font leur beurre sur le marché juteux des portables.

 La hausse du chômage…
ou l’histoire du chien qui court après sa queue.

Pour tenter de freiner la hausse continuelle du taux de chômage, le gouvernement vient d’élaborer un “plan emploi”, qui s’ajoute à tous ceux qui ont été mis en place depuis une trentaine d’années, avec le résultat que l’on sait. Plus se multiplient les “plans emploi”, plus le chômage augmente !

La prétendue lutte contre le chômage révèle une énorme hypocrisie : d’un côté, l’État distribue des crédits aux entreprises, soi-disant pour favoriser l’embauche, mais de l’autre, il se refuse à dépénaliser le travail. Officiellement on encourage “le travail” mais on décourage certaines catégories de demandeurs d’emplois (les jeunes sans expérience, les seniors de plus de quarante ans) de s’insérer sur “le marché” du travail !

À défaut d’offres d’emplois en quantité, on utilise des critères tels que la morpho-psychologie, l’astrologie ou la numérologie pour départager, à compétences égales, les candidats. Et une fois en poste, leur mérite sera jugé par référence à des règles comptables et non pas à leur manière de servir : un policier sera noté en considération du nombre de gardes à vues qu’il aura comptabilisées, un magistrat, à l’aune de la totalité des procès qu’il aura instruits, etc. Le stalinisme avait promu le stakhanovisme comme critère de référence du bon travailleur, il n’y a donc rien de nouveau sous le soleil !

On le sait, le marché du travail est une jungle. Les intermittents du spectacle en savent quelque chose, ainsi que tous ceux dont l’assurance chômage se trouve rognée, voire supprimée. Il n’y a plus de droits acquis, de protection sociale ou de revenus assurés. Le problème numéro un de l’assurance-chômage est celui de la précarité de l’emploi. Autant le travail à temps partiel peut être bénéfique s’il est souhaité, autant il constitue un tourment permanent lorsqu’il est subi. Malheureusement, la précarité s’étend et a des conséquences sur les revenus, le calcul du taux de retraite, etc.

On perçoit le désastre engendré par la liaison entre travail et revenus dans une société d’abondance. C’est la raison pour laquelle je crois, aujourd’hui plus que jamais, aux vertus d’un revenu social garanti versé au profit de chaque citoyen, sans exclusive, de la naissance à la mort, et dont la valeur embraye sur le montant des biens et services de grande consommation disponible.

Il s’agit d’un droit nouveau, le droit à la subsistance pour tous, qui implique en contrepartie une exigence de service social, dans le cadre d’un contrat civique, ou pacte “anthropolitique”.

Mais sa mise en application se heurte aux préjugés et aux habitudes acquises…


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