Les immigrés ne sont-ils que des travailleurs ?


par  P.-N. ARMAND
Publication : juillet 1977
Mise en ligne : 17 avril 2008

LA main-d’oeuvre immigrée est indispensable à l’économie nationale. Axiome bien posé que personne ne conteste.
Le ministère du Travail, d’après ses derniers chiffres connus, évaluait à 4 128 312 le nombre d’immigrés en France et le chiffre de l’Institut de la statistique n’en diffère que de 85000. Ne cherchons pas à savoir si cet écart provient d’une différence dans la façon d’évaluer la main-d’oeuvre étrangère saisonnière, de l’absence de contrôle en ce qui concerne les ressortissants d’Afrique Noire ou de l’impossibilité (?) de connaître, comme le prétend l’Office National d’Immigration, les sorties de France. Mais notons que certaines évaluations vont jusqu’à 6 millions.
Parmi ces 4 millions d’immigrés, on évalue à 1,9 millions le nombre de travailleurs. Ceci correspond à une proportion travailleurs/inactifs assez forte quand on sait que le taux de natalité en Algérie atteint 3,5 % alors qu’il est en France inférieur à 0,4 %.
Dans l’ensemble, la proportion étrangers/Français est de 7,7 %. En détail, voici cette proportion dans les secteurs employant le plus de main-d’oeuvre étrangère :

Etrangers
Français
Bâtiment et travaux publics :
36 %
64 %
Voirie, hygiène, etc. :
35 %
65 %
Transport :
19 %
81 %
Caoutchouc, pneumatiques :
18 %
82 %
Verrerie, céramique :
16 %
84 %
Mines :
13 %
87 %
Métallurgie :
12 %
88 %
Produits chimiques :
7 %
93 %
Ensemble de ces activités :
12,4 %
87,6 %

Tous secteurs confondus, la proportion de main d’oeuvre étrangère était, en 1973, comme suit :

 
Etrangers
Français
Manoeuvres :
8,5 %
91,5 %
O.S. :
25,2 %
74,8 %
O. qualifiés :
25,2 %
74,8 %
Employés :
22,8 %
77,2 %
Techniciens :
10,3 %
89,7 %
Cadres :
7,6 %
92,4 %

Dans certains milieux en France, tel le sport professionnel ou le spectacle, les Français et les Etrangers viennent nettement en concurrence.

LES AVANTAGES POUR L’ETAT ET LE PATRONAT

Voici tels que les exposent les organismes d’Etat et les Chambres syndicales patronales les avantages qu’ils voient dans la main-d’oeuvre étrangère :
1°- elle est mobile : « facilement utilisable pour supprimer les tensions conjoncturelles de l’emploi ». Cet euphémisme technocratique signifie qu’elle permet d’être opposée, à tous moments et en tous lieux, aux travailleurs locaux manifestant leur désapprobation pour telle ou telle forme d’exploitation.
2°- elle est bon marché : elle permet à de nombreux Français de garder leur emploi, certaines branches auraient dû, sans elle, limiter leur croissance faute de main-d’oeuvre à bon marché.
A travail égal, salaire égal. Il n’existe aucune disposition légale permettant de moins payer un étranger. Néanmoins, dans la pratique, elle constitue un réservoir-épouvantail utilisé contre les travailleurs comme chantage à un chômage possible afin de modérer des exigences.
3° - elle accepte les emplois dont les Français ne veulent pas : éboueurs, manoeuvres, maçons, ouvriers à la chaîne, mineurs, femmes de ménage, etc..,
Remarquons cependant que les égoutiers qui font un travail guère plus aimable que les éboueurs sont rarement en grève car ils jouissent du statut d’employé communal, d’un salaire décent et de la garantie de l’emploi.
4°- elle est jeune et valide. Permet d’économiser une partie des frais d’éducation et de mieux équilibrer les charges de la nation ». Pour avoir en permanence des hommes disponibles, il faut en faire venir de nouveaux. Ils sont « valides », étant donnée la précarité des contrôles sanitaires d’entrée (qui ne portent que sur 1/5 des effectifs). Il n’empêche que l’inexpérience de beaucoup les désigne comme victimes de prédilection des accidents du travail et que les services d’Etat admettent que les immigrés sont plus vulnérables à la maladie en raison de leurs conditions de vie. La tuberculose se diffuse dans les taudis qu’ils habitent où le cubage d’air est insuffisant, où les paillasses servent alternativement à plusieurs, etc... Dans la région parisienne, 39 % des tuberculeux sont étrangers.
5°- Les immigrés rapportent à la Sécurité Sociale. « Leurs dépenses de santé sont minimes en raison de leur jeunesse et du fait que la S.S. n’est garantie à leur famille que si elle réside en France. De plus la retraite leur est retenue alors que la moitié quitteront la France avant de l’atteindre ». Nous noterons la malhonnêteté qu’il y a à percevoir des retenues de retraite dont on sait d’avance

qu’elles ne bénéficieront pas à l’intéressé.
En fait, l’intéressé aura un jour l’âge requis et droit ouvert à pension ou à restitution.

MAIS A QUOI SERVENT ALORS 4 MILLIONS D’ÉTRANGERS  ?

C’est la question à se poser, lorsque l’on constate que l’axiome du début se réduit à un postulat. Si les étrangers sont parmi nous ce n’est pas seulement pour produire, comme on veut nous le faire croire.
Pour nos industriels, producteurs, fabricants, etc., c’est une clientèle obligatoire, réservée, un marché clos, protégé, qu’ils n’ont pas à aller conquérir ailleurs. On objectera que les immigrés consomment peu, envoient chez eux leurs économies. Ces transferts de fonds existent : 9 626 millions de francs en 1974. Ils représentent 18,60 de la masse salariale servie aux travailleurs étrangers Un solde de plus de 51 milliards reste dans l’hexagone (1). Ce n’est pas un marché négligeable. Le célibataire épargne beaucoup plus que le couple. C’est pourquoi l’immigration, après avoir été considérée seulement en tant que facteur de production, main-d’oeuvre de substitution et épouvantail au chômage, est devenue une masse de consommateurs, en appelant la famille à rejoindre le célibataire, en facilitant son transport et son installation. Leurs dépenses seront d’autant plus importantes qu’ils auront tout à acquérir.
t’est si vrai que les pouvoirs publics ne cessent d’être de plus en plus indulgents à l’égard de ceux qui sont entrés illégalement en France s’ils consentent à faire venir leur famille. Les facilités de leur installation ne cessent de s’améliorer. Ces dispositions n’ont aucun rapport avec la production. Femmes et enfants présentent le double avantage de ne rien produire et de consommer. Si l’on considérait les étrangers uniquement sous l’angle pragmatique de la production on ne consentirait pas à ce qu’un ressortissant étranger soit payé étant inactif. C’est cependant ce qui se produit puisque les indemnités de chômage sont servies indistinctement aux nationaux et aux immigrés. Jacques Duboin avait déjà dit « Quand il n’est plus nécessaire de payer un travailleur pour qu’il produise, l’Etat doit le payer pour qu’il consomme ».
Et la forte natalité des immigrés fait que chez eux le nombre de bouches à nourrir par travailleur est bien plus élevé que dans un foyer français. Que deviendraient les morutiers bretons si les Portugais ne consommaient pas la majeure partie de leur pêche ?
Le comble du bonheur pour notre économie, dirait avec ironie Jacques Duboin, serait que ces étrangers soient non pas 4 millions, mais le double et, parmi eux, deux fois moins de travailleurs ! Ils rempliraient encore mieux le rôle que nous attribuons depuis longtemps aux étrangers : en temps de paix, qu’ils achètent nos réfrigérateurs et notre vaisselle, en temps de guerre, qu’ils consomment nos bombes et nos torpilles.

(1) Ref. Bulletin officiel de l’Economie et des Finances. déc. 1976, page 41.


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