Rencontres Européennes et Mondialistes
par
Publication : août 1990
Mise en ligne : 14 avril 2008
Congrès des peuples
Quarante ans après la réunion des quatre
premiers "députés mondiaux" à Genève,
en décembre 1950, la plupart des délégués
élus au Congrès des Peuples et leurs suppléants
se sont trouvés au même endroit du 12 au 16 ruai 1990.
Rappelons qu’à la suite de l’ajournement de la tentative d’Assemblée
Constituante des Peuples qui devait comprendre un député
pour chaque million d’habitants, le Congrès des Peuples fut imaginé
par Rodrigues Brent, en 1953. Avec Maurice Cosyn et Jacques Savary,
il lança l’idée d’une Assemblée de délégués
élus transnationnellement par tranches successives de 10.000
électeurs. Depuis huit élections ont eu lieu portant sur
un corps électoral d’environ 80.000 personnes dans plus de 110
pays. 16 délégués et leurs 16 suppléants
ont été élus.
Le principal sujet à l’ordre du jour était le soutien
par le CDP d’une proposition tendant à la création, au
sein des Nations Unies, d’une commission chargée d’étudier
la possiblité d’adjoindre une seconde chambre, celle des peuples,
à l’Assemblée générale.
Les représentants des associations mondialistes dont les membres,
en plus des citoyens du monde enregistrés, ont participé
aux élections, ont donc présenté leurs observations
ainsi que les délégués présents et certains
observateurs.
Contrairement aux Assises de Tours, la réunion de Genève
était plutôt une rencontre de spécialistes où
une large part fut consacrée à des questions de droit
international. Les professeurs Paul de la Pradelle et Tsuruji Kotani
présentèrent donc, le lundi 14 mai, aux Nations Unies,
Palais des Nations, des exposés fort documentés sur l’aspect
juridique du projet.
Le directeur du bureau de Jan Martenson, directeur général
des Nations Unies, qui, pour la première fois, recevait le CDP,
ne laissa guère d’espoir aux mondialistes. Un mouvement populaire
serait pour lui irréaliste et une démarche classique,
par l’intermédiaire de l’une des grandes commissions, se heurterait
à un ordre du jour fort chargé pendant plusieurs années.
Même en admettant que la proposition soit examinée, elle
serait repoussée à un moment ou à un autre par
le droit de veto. Le représentant de l’ONU ne voit qu’une possiblité
: c’est que les délégations nationales s’adjoignent des
représentations populaires, ce qui parut à ses interlocuteurs
encore plus hors de portée que les autres revendications présentées...
Keith Best, ancien député britannique, et Muriel Saragoussi,
président en exercice du CDP, défendirent l’idée
que les changements ne pouvaient venir que du peuple. Hanna Newcombe,
Canadienne, déléguée élue, fit part des
travaux de l’Institut de Recherche sur la Paix de Toronto, relatifs
aux nombreuses recherches sur la façon de pondérer les
votes à une seconde assemblée. II s’avère, en effet,
que le principe : une personne égale une voix qui parait le plus
démocratique, avantagerait trop les contrées surpeuplées
comme la Chine ou l’Inde et aurait, pour cela, grand mal à s’imposer.
Entre les 25 auteurs de ces recherches, la préférence
d’Hanna Newcombe va à une formule qui comprendrait la population
peut-être atténuée par sa racine carrée et
les dépenses d’éducation. Tout cela parait bien abstrait...
et très respectueux des nationalismes.
Bhupendra Kishore, délégué élu indien, expliqua
la raison d’une seconde chambre, afin qu’une véritable sécurité,
une dignité et une identité soient garanties aux peuples
du monde et il ajouta que le CDP ne tenait pas spécialement à
être incorporé aux Nations Unies.
Bamba Fall, notaire sénégalais, délégué
suppléant, s’interrogea aussi sur le mode de représentation
: direct ou indirect à adopter. Si, par exemple, la chambre populaire
devait comprendre des représentants des parlements nationaux,
si nous devions solliciter pour elle des pouvoirs réglementaires,
ce qui nécessiterait un amendement de la Charte de l’ONU, ou,
simplement, des délégations consultatives, plus faciles
à obtenir.
Tsuruji Kotani avait des préoccupations du même type et
se demanda si un modèle genre Organisation Internationale du
Travail où sont représentés, à parité,
les gouvernements, les employeurs et les salariés, ne pouvait
pas être adopté.
Wladimir Zhirinovski, président du parti libéral démocratique
d’Union soviétique, rendit ensuite hommage à Max Habicht,
ancien président des fédéralistes mondiaux suisses,
décédé en 1986, et à Jacques Muhlethaler,
Genèvois, ancien président de l’Ecole Instrument de Paix
qui a été à l’origine de la réception aux
Nations Unies.
Le soir, une conférence de presse eut lieu en la bibliothèque
des journalistes accrédités auprès des Nations
Unies en présence de Mario Bettati, représentant de Bernard
Kouchner, Secrétaire d’Etat Français à l’Action
Humanitaire. II fut question du droit d’ingérence, justifié
par la volonté de soulager la souffrance. M. Bettati raconta
comment, en raison de l’urgence, 48 vols furent effectués par
des appareils militaires français, transportant des soldats et
autres militaires dont les pompiers en uniforme, vers l’Union Soviétique,
lors du dernier tremblement de terre en Arménie. Tout cela avec
l’accord tacite des officiels soviétiques, mais sans visa, ni
passeports
L’enregistrement des Citoyens du Monde, le Congrès des Peuples,
le Fonds Mondial d’action contre la faim, l’Institut d’Etudes mondialistes,
l’Agence Mondialiste de Presse et l’Action d’urgence internationale
furent présentés aux journalistes, soit deux représentants
de radios suisses, une journaliste allemande et un Polonais.
Les autres réunions eurent lieu au Centre réformé
John Knox. L’après midi du 14 mai fut consacrée à
"la protection de la biosphère" dont nous avons parlé
dans la première partie de ce compte-rendu, sur le plan européen.
Ralf Haegler, fédéraliste suisse, précisa que les
mondialistes n’ont pas attendu la mode écologique pour s’inquiéter
de la pollution des océans puisque, dès 1955, 107 députés
et lords du groupe parlementaire britannique proposaient le projet Neptuno
afin de placer les mers et les océans, hors les eaux territoriales,
sous le contrôle de l’ONU. En 1956, ce fut le projet Etheruno
de Guy Marchand pour mettre sous l’autorité de l’OACI (1) l’espace
atmosphérique au dessus de dix kilomètres d’altitude.
Puis ce furent des projets d’utilisation pacifique et de dénucléarisation
des océans.
Muriel Saragoussi et Jerry Bourgesois rappelèrent, comme ils
l’avaient fait lors de la conférence de presse, l’appel de La
Haye signé par les chefs d’Etat ou de gouvernements, le 11 mars
1989, en vue de "créer une autorité mondiale dotée
de vrais pouvoirs de décision et d’exécution pour sauver
l’atmosphère..." les 24 pays signataires se déclarant
"... prêts à déléguer une parcelle de
leur souveraineté nationale pour le bien commun de l’humanité
toute entiere". Ces termes, identiques à ceux employés
par les mondialistes, sont significatifs de la prise de conscience de
certains hommes d’Etat. J. Bourgeois annonça la création
d’un groupement afin de suivre l’exécution de l’intention qu’ils
ont ainsi exprimée.
Le mardi 15 mai, Marc Garcet, délégué élu
belge, fit un remarquable exposé sur l’historique, ainsi que
sur le présent et l’avenir du CDP. II constata que 25 ans après
sa création c’était devenu une institution publique, d’un
type particulier, à améliorer dans certains domaines.
Ainsi son fonctionnement n’est pas facilité par la nécessité
du travail par correspondance. Un certain nombre de suggestions furent
émises, notamment celle de Michel Forestier consistant à
faire voter par le CDP des prototypes de lois mondiales.
Enfin furent examinées un certain nombre de questions pratiques,
comme le lieu de la prochaine réunion : New Delhi, Moscou furent
cités et surtout le financement du fonctionnement du CDP et de
la neuvième élection. Le difficile remplacement de Guy
Marchand démissionnaire comme secrétaire général
et pilier du CDP fut étudié mais non résolu.
Jacques Muhlethaler président et Bhupendra Kishore vice président
furent élus pour deux ans . Bamba Fall présenta une synthèse
des réunions.
Réflexions
Pour quelqu’un qui a moins travaillé pour le
mondialisme depuis une quinzaine d’années et qui reprenait vraiment
contact, ce qui était mon cas, rien ou presque rien n’avait changé.
Les controverses étaient toujours les mêmes, les personnes
aussi. Mais se pose maintenant le problème de la succession pour
certains postes-clés. Le renouvellement des actifs se fait mal,
il s’agit d’une difficulté générale pour tous les
mouvements. La jeunesse est peu attirée par le militantisme.
La plus grande diffusion de la culture fait que les jeunes ne désirent
plus coller des affiches ou distribuer des tracts. Ils tiennent, comme
dans la société civile, à accéder de suite
aux postes de responsabilité. C’est ce qui explique que, ayant
une ou des idées, ils ne cherchent pas à renforcer les
groupes défendant des thèses analogues, mais qu’ils songent
immédiatement à créer de nouvelles associations.
D’où la prolifération des groupuscules et leur relative
inefficacité. Ce fut particulièrement net à Tours,
où certains participants ont découvert la mondialité
des problèmes et le déjà long passé d’histoire,
d’expérience, de travail et de résultats accumulés
par les citoyens du monde. Ils l’ont dit eux-mêmes très
franchement et très simplement sans en tirer les leçons...
L’incompréhension se manifeste quelquefois aussi entre les générations
aussi bien qu’entre personnes de formations diverses : juridique, littéraire
ou scientifique. Le racisme anti-jeunes ou anti-âgés fait
place quelquefois à la démagogie projeunes qui se manifeste
par une adhésion irréfléchie aux thèses
réputées les attirer : tiers-mondismebusiness, ethnologie
amérindienne dans la voie de Claude Lévi-Strauss, agriculture
moyenâgeuse, écologie du catastrophisme derrière
René Dumont, antinucléarisme primaire, énergétique
artisanal, etc...
Par contre, un point positif se révèle être la présence
de plusieurs représentants des pays de l’Est, aussi bien à
Genève qu’à Tours. La création d’un centre d’enregistrement
de citoyens du monde à Moscou est une bonne nouvelle. Le mondialisme
manquait jusque là d’universalité. La présence
de Bulgares, Polonais, Lituaniens, Roumains y remédie remarquablement.
Nous en avons bien sûr profité pour parler d’économie
distributive...
Mais l’autre écueil du mondialisme, c’est la candeur face aux
problèmes immenses et complexes des pays en voie de développement.
L’on se croirait revenu au temps du Genevois JeanJacques Rousseau à
l’époque du "bon sauvage". Tout ce qui vient des pays
excolonisateurs serait néfaste et les habitants des contrées
ex-colonisées seraient tous victimes des ex et actuels dominateurs.
La réalité est plus nuancée. Les exploiteurs sont
partout et certains Africains ou Asiatiques n’ont guère gagné
à échanger des Blancs cupides et vaniteux contre des autochtones
corrompus et incompétents.Le problème de la dette se poserait
en d’autres termes si les gouvernants et les décideurs du tiersmonde
dénonçaient le cycle de l’accumulation capitalistique
et décidaient de ne plus rembourser au lieu de se vautrer dans
le confort de la complicité.
Jean-Paul II peu suspect d’extrêmisme renvoie ".. dos à
dos le marxisme matérialiste et le capitalisme libéral
qui n’ont pas été capables de répondre aux profondes
aspirations de l’humanité... Les événements récents,
a-t-il déclaré le 9 mai1990, à Durango (Mexique),
faisant allusion aux bouleversements en Europe de l’Est, ont été
interprêtés, parfois, de manière superficielle,
comme le triomphe du système capitaliste libéral. Certains
sont allés, ajoutaitil, jusqu’à présenter le système
qu’ils considèrent vainqueur comme le seul chemin pour le monde
... évitant de porter le jugement critique nécessaire
sur les effets produits par le capitalisme libéral sur les pays
du tiersmonde. "
Si Garcia Suarez, le président de la confédération
des Chambres de commerce, a reconnu que le Pape avait raison de dénoncer
la concentration de la richesse qui crée la pauvreté,
le président de la Bourse, José Madariaga, a exprimé
la pensée de la majorité des grands financiers présents
en disant : "Nous ne pouvons pas accepter que ceux qui travaillent
plus aient la même chose que les autres... ".(2)
A ce moment donc les mondialistes délégués, élus
ou suppléants, soutiennent le système, soit en le considérant
comme une évidence pensant qu’on ne peut en sortir, soit en confondant
libertés et libéralisme ou démocratie et capitalisme.
D’autres font semblant de croire que le communisme ou le socialisme
étaient instaurés à l’Est et se sont effondrés,
alors qu’il s’agissait d’un capitalisme d’Etat totalitaire, bureaucratique
et dirigiste. Cette erreur d’analyse les fait se rebeller contre la
société de consommation qui, d’après eux, aurait
tendance à s’instaurer partout. Ils dénoncent alors le
productivisme au nom d’une austérité mythique et appellent
à un changement du modèle de développement sans
voir que c’est le profit qui génère cette tendance. II
faudrait renoncer aux attraits du progrès technique ; jusqu’où
et dans quels domaines ? Ils se gardent bien de l’indiquer. Sont-ils
prêts euxmêmes à ne jamais utiliser avions, transatlantiques,
automobiles, télévision, cinéma, etc... Sont-ils
prêts à réduire de moitié ou plus leur propre
consommation d’eau, de gaz, d’électricité, de carburants
divers. Ils n’entrent pas dans ces détails sordides.
Mais nous ne chercherons pas à convaincre ceux qui ne tiennent
pas à nous entendre. Au reste, le citoyen du monde comme le citoyen
français est libre de ses options religieuses, philosophiques,
syndicales ou économiques. Nous remarquerons plutôt que
nombreux sont les distributistes qui sont en même temps des mondialistes
convaincus. Les multiples contacts que nous avons eus dans les couloirs
à Genève et à Tours nous l’ont confirmé.
Nos thèses sont celles d’un grand nombre de personnes suffisamment
ouvertes pour aspirer aussi à la citoyenneté mondiale.
Un jour viendra peut-être où les abonnés à
la Grande Relève en tant que tels pourront participer à
une des futures élections au Congrès des Peuples, tout
au moins ceux d’entre eux qui n’ont pas encore voté. Ce jourlà
un ou deux représentants authentiques de notre courant de pensée
pourront véritablement prendre part aux discussions, à
l’élaboration des déclarations ou des futurs prototypes
de lois mondiales et faire sortir cet organisme de la routine en matière
d’économie. C’est évidemment plus difficile que les grandes
envolées humanitaires, les leçons de charité et
de morale ou d’antiracisme comme l’a d’ailleurs bien compris notre gouvernement
dit socialiste.
Dans notre conception, le mondialisme n’est pas destiné à
prendre en compte toutes les petites et grandes misères du monde.
Si elles restent locales et n’ont donc pas une dimension transnationale,
elles relèvent, si émouvantes ou passionnantes qu’elles
soient, d’actions régionales. Faute de quoi, elles retirent de
l’efficacité et nous font qualifier de doux rêveurs par
les responsables politiques. Ces derniers prendront à leur charge
les problèmes mondiaux dès que l’opinion s’y intéressera.
Ils l’ont déjà commencé avec l’appel de La Haye.
Ils le feront de plus en plus et bientôt les purs militants seront
marginalisés au profit des professionnels de la politique spectacle.
Attention le gouvernement mondial que nous refusons, même les
institutions mondiales d’arbitrage que nous désirons, peuvent
tourner à la dictature et, dans la pire des hypothèses,
à une tyrannie, sans recours extérieur, par définition.
Des oligarchies financières, religieuses, mystiques, industrielles
cherchent déjà à prendre le pouvoir mondial. Des
banquiers et politiciens sans mandat exercent, audessus des Etats, une
influence usurpée. Nous devons être vigilants et n’avancer
vers la supranationalité que dans la mesure où elle reste
démocratique. Toute souveraineté émane du peuple.
C’est notre seule garantie. Soyons prêts à nous opposer
à toute force qui n’irait pas dans ce sens, même si la
marche vers le mondialisme parait en être retardée. La
constitution pragmatique et progressive d’un Congrès des Peuples
demeure une des meilleurs méthodes pour nous préserver
d’une dangereuse aventure. Nous n’y parviendrons que si ces questions
sont mises sur la place publique. Là, les grands médias
doivent intervenir. II y faudrait une prise de conscience des responsables
et des journalistes. Malgré leur présence dans ces réunions,
il ne semble pas qu’ils y soient prêts. Agissons pour faire sauter
l’obstacle...
(1) Organisation de l’aviation civile internationale.
(2) "Le Monde" du 15 mai 1990