1925 - Réflexions d’un « Français moyen »


Publication : octobre 1978
Mise en ligne : 14 octobre 2006

Amené, par son mandat de député, au coeur de la politique de son pays, il se dégage de toute appartenance pour mieux exercer son esprit d’observation et d’analyse.

Les conséquences de la première guerre mondiale sont loin d’être bien comprises. Pas plus qu’on n’a su prévoir la portée de la révolution dans la stratégie militaire, on ne sait apprécier les retombées économiques et financières des événements récents.

Dans « Réflexions d’un Français Moyen » Jacques Duboin analyse ces préoccupations générales : la hausse des prix, l’inflation que le monde découvre. Il en tire la conclusion logique.

DANS une petite ville de province, des Français moyens, comme on en rencontre sur toute l’étendue du territoire, se retrouvent chaque soir au café central : un professeur de lycée aux idées avancées, le receveur de l’enregistrement, un notaire, quelques commerçants notables, un vieux docteur, un agent d’assurances, un retraité... Il n’est pas de problème d’actualité qui ne soit abordé et ne reçoive en un tournemain, autant de solutions que de personnes présentes... Le thème général de la conversation est, depuis quelque temps, la vie chère. Alors que tous ne diffèrent, en général, que sur les solutions des problèmes soulevés, ils ne sont jamais tombés d’accord sur les causes qui provoquent la hausse des prix. Un soir, le vieux médecin, qui a beaucoup voyagé, beaucoup lu et beaucoup retenu, prend position et fait connaître sa manière de voir :

« Mes bons amis, commença-t-il, vous me paraissez mélanger, comme à plaisir, un certain nombre de problèmes. Tâchons de les distinguer. Auparavant, permettez-moi à mon tour une question préalable. Estimez-vous que la France se soit enrichie pendant la guerre ?.. A combien estimez-vous la richesse de la France d’avant-guerre ?.. »

... « En quoi consiste la richesse d’un pays ? En champs, mines, terrains à bâtir, en maisons, usines, stocks de marchandises, navires, chemins de fer, stocks d’or, etc... C’est en quelque sorte le capital. Les évaluations évidemment très approximatives, mais émanant de bons auteurs, faisaient varier l’ensemble de ces richesses entre 250 et 300 milliards de francs. Puis il y a le travail productif de millions de Français qui crée et augmente chaque année le capital du pays. Brutalement la guerre survient, dure quatre années et demie, en provoquant les conséquences suivantes :

 » Des millions d’hommes actifs sont arrachés à leur travail productif du temps de paix. Non seulement ils ne produisent plus rien, mais le reste du pays va avoir à les vêtir, à les nourrir, à les armer, pendant quatre années et demie.

 » Les travailleurs restés à l’intérieur vont produire d’une manière intense du matériel de guerre et des munitions qui vont s’évanouir sur le champ de bataille...

 » On va être obligé de consommer tous les stocks de marchandises accumulés pendant les années de prospérité.

 » Enfin, 1 500 000 morts, 1 200 000 mutilés, dix départements détruits, parmi les plus productifs du pays, telle est au lendemain de la tourmente, la situation nouvelle du pays.

 » ... Mais la surprise est grande. Alors que tout le monde devrait être plus pauvre, se restreindre et travailler plus qu’avant-guerre, voici au contraire que bien des gens se croient plus riches. C’est le mirage... Pourquoi ? Parce qu’on a créé de toutes pièces des richesses nouvelles, 35 milliards de nouveaux billets de banque, 60 milliards de bons du Trésor ou de la Défense, des milliards d’emprunts de guerre, des milliards en comptes courants de banque. Au total, des centaines de milliards de richesses fictives ont été jetés dans la circulation. L’apparence est donc que la fortune de la France a doublé, triplé, quadruplé peut-être.

 » Ces fausses richesses ont l’apparence de richesses réelles...

 » La monnaie, les fluctuations de la monnaie, la question des changes sont autant de sujets sur lesquels il serait facile de s’entendre si on ne les compliquait pas inutilement d’un tas de considérations plus ou moins baroques. A quoi sert la monnaie ? A mesurer la valeur des choses. Evidemment, pour mesurer des longueurs, j’ai besoin d’une longueur comme mesure...

 » Si nous voulons comparer des valeurs, il faut nous servir d’une mesure qui soit elle-même une valeur...

 » Alors, pas de grands mots. Dites simplement qu’une monnaie qui n’est pas toujours identique à elle-même n’est plus une monnaie du tout. Une monnaie est droite... ou c’est de la fausse monnaie.

 » En 1914, la plupart des monnaies étaient des monnaies droites... La question du change n’existait pour ainsi dire pas, puisqu’il suffisait de les mettre en présence pour les mesurer...

 » Mais comme nous n’avons plus d’or, puisque la guerre a eu ce résultat que tout l’or est allé dans les pays neutres et surtout aux Etats-Unis... Les billets de banque, ceux que l’on pouvait échanger librement et à vue, s’élevaient avant la guerre à environ 6 milliards. C’était la circulation de la France. Aujourd’hui cette circulation dépasse 40 milliards. Bien entendu, les billets actuels ne sont pas échangeables contre de l’or - au porteur et à vue - mais ils circulent toujours comme s’ils étaient identiques aux premiers...

 » Quelle période intéressante que celle que nous vivons ! Nous avons vécu et vivons encore l’événement le plus formidable de l’histoire économique du monde civilisé, car si dans l’histoire les fluctuations de la monnaie ont été fréquentes, jamais on ne vit oscillations semblables à celles qui se produisent depuis 1914. Elles ont revêtu un caractère de violence inouïe dont les conséquences sont prodigieuses. Tantôt vous les voyez stimuler la production, tantôt, au contraire, elles la paralysent complètement !..

 » Depuis 1914, l’inflation a sévi dans presque tous les pays, et partout les mêmes phénomènes ont été observés...

 » L’inflation ! Mais qui peut la reprocher sérieusement à un gouvernement engagé dans une guerre longue et coûteuse ? Le 2 août 1914, on proclame le « cours forcé » des billets, c’est-à-dire que personne ne pourrait exiger de l’or en échange du billet de banque. Dès cet instant, le pays était prévenu que l’inflation allait commencer. En fait, le billet de banque se muait en un simple effet moratorié et nous pénétrons de plain-pied dans un régime d’instabilité monétaire ».

(Extrait de « Réflexions d’un Français Moyen »)

Ce premier livre attira pour son auteur l’intérêt du Président du Conseil A. Briand qui lui offrit, aux côtés de Joseph Caillaux, le poste de Sous-Secrétaire d’Etat au Trésor. Porté ainsi au centre même de la gestion économique et financière du pays, il approfondit son analyse. dont l’originalité déroute. Mais’ il estime de son devoir de faire partager sa compréhension des événements et, à ses frais le plus souvent, il publie une série d’ouvrages dont rien que les titres suffisent déjà à coin. prendre l’évolution de sa pensée :


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