Au beau pays de la libre entreprise
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Publication : décembre 1977
Mise en ligne : 28 mai 2008
L ’ECONOMIE américaine repose sur le dogme de la libre entreprise et les Américains, en toute circonstance, et singulièrement à l’occasion des élections, sont invités à en préserver la pureté. Le dogme ne court pourtant pas grand risque de manquer d’adeptes outre-Atlantique comme le prouvent les fréquentes dénonciations et condamnations d’une bureaucratie stérilisante, juste bonne pour les pays de l’Est. ; Et tout le monde sait qu’ils en crèvent.
Le citoyen américain, cependant, lorsqu’il reçoit
ses feuilles d’impôt, ne peut que constater que la facture qu’il
paye au gouvernement fédéral, aux bureaucrates de Washington,
est au moins aussi élevée que celle qu’il paye au gouvernement
de son Etat et à celui de sa ville. Pas plus que son confrère
européen, le contribuable n’est heureux.
Il comprendrait mieux son sort et le pourquoi des impôts qu’il
paye en rechignant s’il se penchait sur l’article que le « Scientific
American », désormais publié en français,
a fait paraître en décembre 1976. En voici les points essentiels.
Au pays de la libre entreprise, le secteur public est responsable d’au moins un quart des emplois. Certes, les statistiques officielles se veulent rassurantes et ne reconnaissent que 13 millions et demi de « fonctionnaires » sur une population active d’à peu près 85 millions, soit un sixième environ. Mais si on regarde de plus près on constate que le gouvernement fédéral fait vivre, par ses commandes de fournitures et d’armement, un peu plus de 7 millions d’Américains dont le patron est un chef d’entreprise du secteur privé. Comme les salaires de ces travailleurs proviennent en totalité des fonds publics et puisque leur production va toute entière à la communauté, on pourrait bien ranger ces travailleurs au côté des fonctionnaires et, ainsi, on arriverait à un total de 20 millions et demi d’Américains dépendant entièrement du secteur public, soit environ un travailleur sur quatre.
Et que dire des écoles, des églises (et Dieu sait qu’elles sont nombreuses), des syndicats, des associations, toutes entreprises non lucratives, qui emploient près de 5 millions de personnes et, comme le gouvernement, passent des commandes au secteur privé. Il y a encore les transports, les télécommunications, les fournisseurs d’énergie, l’agriculture, la banque, l’assurance qui tous travaillent sous le contrôle, plus ou moins direct, du gouvernement fédéral, pour montrer, s’il en était besoin, que la libre entreprise ne rend pas compte de la totalité de la production américaine. Quant aux gouvernements d’Etats et aux municipalités, elles ont vu leurs dépenses croître considérablement en peu de temps. Entre 1950 et 1974, le nombre de leurs employés s’est augmenté de 174 % alors que, pour l’ensemble de la nation, le nombre des emplois s’élevait de 46 %.
Il est donc bien clair que le secteur public, ou tout
le moins, à but non lucratif, c’est-à-dire, non privé,
joue, aux Etats-Unis, un rôle grandissant.
D’abord, parce que le citoyen demande à ce secteur à but
non lucratif ce que l’autre ne saurait lui donner faute d’en tirer des
profits, à savoir, la défense, l’éducation et la
santé. Ensuite, parce que les services tiennent une place de
plus en plus importante dans l’économie américaine alors
que les autres secteurs (agriculture, mines et industries) voient leur
production stagner ou même franchement décroître.
Or, les services représentent une activité indispensable
qui répond aux besoins du consommateur mais aussi du producteur
qui les utilise largement sous forme de publicité, banque, conseil
juridique, etc.
S’il est vrai que l’Amérique nous montre la voie, force est de reconnaître que l’activité économique va en se diversifiant, que l’ère d’une production industrielle effrénée est sur le déclin, que l’Etat doit prendre en charge les activités jugées non rentables par le secteur privé et qu’il est temps de refermer le livre où Adam Smith disait que toute activité qui ne débouche pas sur une marchandise est stérile. L’Economie Distributive est- elle encore si loin ?