La fuite en avant
par
Publication : décembre 1977
Mise en ligne : 28 mai 2008
Répondant à l’appel de J. MESTRALLET,
notre camarade Jean MATEU nous parle des problèmes du midi méditerranéen.
Nous remercions ces camarades d’avoir répondu à notre
demande d’engager de tels dialogues dans nos colonnes.
C’est un exemple à suivre !
D’EMBLEE je me déclare entièrement d’accord
avec J. MESTRALLET en reconnaissant la supériorité de
la culture agrobiologique sur la culture agrochimique, son antithèse.
Mais est-ce là le problème ? Je ne le pense pas : en effet,
quels que soient les mérites des adeptes de l’agrobiologie, et
les résultats qu’ils obtiennent, et qui sont évidents,
il n’en reste pas moins que la généralisation de la culture
agrobiologique butera toujours contre les impératifs de l’économie
marchande.
Pour réussir pleinement, la culture agrobiologique, comme toute
autre manifestation d’ordre écologique, postule une planification
rationnelle - j’entends humaniste, non totalitaire - dont l’avènement
n’est pas pour demain. Au surplus, le mal est fait : les oiseaux sont
partis, sinon pour toujours, du moins pour très longtemps.
En attendant, le producteur ne voit d’autre solution à ses problèmes
que dans la fuite en avant, visant avant toute considération
de diététique ou de morale, l’obtention de hauts rendements.
Le Roussillon ne fait pas exception à la règle, en appliquant
justement les méthodes de « forcing » en complément
du soleil, avantage naturel gratuit, et inappréciable pour une
région à vocation primeuriste.
D’où, pour les cultures maraîchères et fruitières,
irrigation, engrais à doses massives, traitements polluants intensifs,
cultures sous serre, utilisation de toute la gamme des fongicides, tailles
appropriées, éclaircissage selon les variétés,
etc...
Bref, mise en oeuvre de toutes les techniques visant au même résultat
: précocité des récoltes et production maximale
avec de moins en moins de main-d’oeuvre.
Le résultat ? des récoltes optimales.
Le hic, c’est lorsqu’il s’agit de commercialiser une récolte
dépassant la capacité d’absorption du marché solvable.
C’est cet aspect de la question qui. à mon avis, prime tout.
En ce qui concerne, la vigne, dont les traitements de base restent encore
le soufre et le sulfate de cuivre (rien donc de changé quant
aux innovations biologiques), il faut distinguer les ténements
de faible ou moyenne production mais à haut degré, souvent
plantés sur des sols ne se prêtant pas à d’autres
cultures, de ceux à haut rendement mais à faible degré,
produisant des vins médiocres sollicitant le coupage.
C’est ce dernier secteur de la viticulture, particulièrement,
développé dans le midi méditerranéen, qui
est le plus touché par l’évolution des progrès
techniques. Nous n’en sommes plus à la révolte de 1907
mais Montredon reste trop présent à nos mémoires
pour ne pas souhaiter qu’un effort soit fait en vue de populariser nos
thèses parmi les viticulteurs.
Nous assistons en effet, et ce depuis longtemps déjà,
à une mutation complète des activités rurales sans
que les dirigeants des instances professionnelles veuillent bien se
donner la peine d’éclairer leurs mandants sur ses conséquences.
Il m’est arrivé de m’adresser à plus d’un représentant
qualifié et de lui demander, par exemple, ce qu’il entendait
(dans le régime) par « solution socialiste dirigiste ».
L’un d’eux écrivait dans un des plus importants quotidiens du
Midi : « Dans un univers capitaliste, le sort des hommes est déterminé
par les lois du marché fondées sur le profit. Tout le
reste est littérature et manipulation. »
Peu après, M. Verdale, à Nîmes, s’exprimait ainsi
: « Nous croyons qu’il est impensable que le marché viticole
continue dans la voie du libéralisme. » Je pourrais à
l’infini multiplier les citations. A quoi bon ? Tout le monde est d’accord
pour condamner un système qui n’apporte qu’insatisfaction quand
ce n’est pas le désordre, avec toutes ses conséquences.
D’où, pour nous, l’impérieux devoir d’essayer de faire
admettre, au plus grand nombre possible, l’idée, qui nous tient
à coeur, d’un REVENU SOCIAL.
Des milliers de petits exploitants se trouvent virtuellement exclus
du circuit des échanges, ne subsistant nue grâce aux subterfuges
propres au système qui vont des prêts aux subventions,
en passant par les indemnisations pour cause de sinistre et finissant
à la maigre retraite où à l’indemnisation viagère
de départ après intervention des S.A.F.E.R., faisant d’eux
des assistés permanents. Il faut expliquer à tous ces
exclus qu’ils n’ont rien à perdre en troquant leur statut d’exploitant
pour celui de fonctionnaire appointé au même titre nue
nombre d’autres participants à des activités similaires
qui bénéficient, eux, des avantages de la sécurité
de l’emploi et d’un traitement garanti.
Un jour de barrage de route et autres aménités, il m’est
arrivé de demander : « à quoi rime tout ce gaspillage
de forces, ce déploiement de banderoles, ces brimades envers
les passants, puisque vous allez vous retrouver gros jean comme devant
avec vos chais débordant de vin que vous ne pare venez pas à
écouler avec profit ? »
Un brave manifestant de ma connaissance me répondit devant plusieurs
de ses collègues : « J’ai souvent pensé à
ce que vous me disiez un jour qu’on ne lutte pas contre l’abondance
et que ce n’est pas tout de produire mais qu’il faut encore vendre.
Et il est évident que, devant des stocks dépassant les
besoins solvables, il n’y a rien à faire. » « Sauf
distiller, ajoutai-je, et aux frais de tous. Est-ce une solution ? Ne
vaudrait-il pas mieux, pour vous, producteurs, continuer à produire
sans souci de débouchés ? En fait de soucis, vous avez
déjà ceux, et ils sont sérieux, de faire «
venir une récolte ». Pourquoi devoir y ajouter ceux de
son écoulement ? A la collectivité le soin d’y veiller,
à vous de produire et c’est tout. En échange, bien entendu,
d’un revenu que nous appelons social. Pensez-y ! »
Songeons donc à l’impact que cela produirait si quelques exemplaires
de « La Grande Relève » traitant de ces questions
pouvaient être diffusés parmi les intéressés,
dirigeants compris. En effet, il ne faut pas perdre de vue que, parmi
eux, se trouvent déjà ceux qui ont eu l’occasion de se
déclarer « insolidaires » du régime des échanges
(sans parvenir, il est vrai, à en tirer les conclusions adéquates).
En leur mettant sous leurs yeux leurs propres déclarations suivies
de nos arguments, cela permettrait d’attaquer efficacement tout l’arsenal
de préjugés et de lieux communs dont ils abreuvent leurs
troupes.
Quant au paysan de « base », il répugne à
la destruction de denrées, sous forme de distillation pour le
vin, de retraits pour les fruits et les légumes. Il a conscience
de l’absurdité de tels procédés. Qu’on lui montre,
argumentation irréfutable à l’appui, la possibilité
d’échapper à cette situation et le voilà devenu
réceptif à d’autres solutions. Il va se mettre à
réfléchir. Le reste suivra. Fi comme personne d’autre
que nous ne peut lui exposer un raisonnement convainquant...
Il y a là un effort à faire.