Le pillage légalisé d’EDF

Actualités
par  C. AUBIN
Publication : août 2010
Mise en ligne : 10 septembre 2010

« Heureux les fêlés, ils laissent passer la lumière ! » disait Michel Audiard. Alors tâchons d’élargir ces “fractures”, car ce dont on peut être sûr c’est qu’à ces gens-là, il manque l’intelligence du cœur, celle sans laquelle on ne peut gagner, à la fin de l’histoire. Le pire à craindre est que, dans leur folie, et vu la totale inconscience du public, ils préfèrent que tout disparaisse, eux avec, plutôt que de lâcher leur pouvoir.

Dans l’actualité de cet été, c’est EDF, Électricité de France, élément essentiel de notre indépendance énergétique et de notre patrimoine industriel, qui est systématiquement pillé au profit d’intérêts privés.

À ce sujet, Christian Aubin attire l’attention sur une nouvelle “réforme”, une loi scélérate en préparation : la NOME.

Mon père était ouvrier à EDF, et il est resté très fier d’avoir contribué, aussi modestement soit-il, à la création de cette grande entreprise nationale qu’était EDF-GDF, en 1946, issue des multiples entreprises privées électriques et gazières qui, auparavant, délivraient chacune sa production, par son réseau particulier, et à ses propres normes [1].

Cette nationalisation s’inscrivait dans la reconstruction d’une France qui venait d’être dévastée non seulement par la guerre, mais aussi par le plan de “réforme de l’État”, copié sur ses voisins fascistes, et que le maréchal Pétain, en accord avec le Reich, avait mis en œuvre au profit des tenants de l’industrie et de la finance [2].

Le programme du Conseil national de la résistance (CNR) préconisait en effet « le retour à la Nation des grands moyens de production monopolisés, fruit du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurance et des grandes banque » [3], ce qui est devenu réalité dans le domaine de l’énergie sous l’impulsion des salariés concernés et du ministre Marcel Paul (communiste, grand résistant rescapé de Buchenwald [4]).

Ainsi, à partir de 1946, de lourds investissements ont été faits pour pouvoir produire, transporter et distribuer l’électricité dont le pays a besoin. Et les usagers ont payé ces investissements en acquittant leurs factures d’électricité et leurs impôts. Mais les tarifs étant fixés par l’État, le prix des KWh fournis par EDF était proche du prix coûtant, donc parmi les moins chers au monde.

Mais à partir des années 90, tout a complètement changé. L’objectif n’est plus de fournir au moindre prix à la nation l’énergie dont ses habitants ont besoin. Les gouvernements inscrivent désormais leur politique dans le concept du libéralisme économique, ils veulent par conséquent construire une Union Européenne dans laquelle « la concurrence est libre et non faussée ». Et cela partout, même dans le domaine des grands services publics : télécommunications et services postaux, électricité et gaz, transports ferroviaires, santé, enseignement, recherche, etc.

Et depuis 2000, tout s’est accéléré. Les directives européennes étant transposées en droit français, on a assisté à l’ouverture progressive, puis totale, des marchés de l’électricité et du gaz ; GDF a été marié à SUEZ et privatisé ; EDF a été transformée en une société anonyme, qui a ensuite été morcelée en plusieurs entreprises ; obligation lui est faite maintenant de racheter des énergies renouvelables à des prix souvent très élevés (jusqu’à 0,58 euro pour le solaire photovoltaïque) et c’est l’ensemble des usagers qui en fait les frais.

Car les conséquences de cette politique de régression sont immédiates pour les usagers. Alors que tous, politiques, médias à leur service, et économistes en général, affirment que « la concurrence fait baisser les prix », les prix, au contraire, ont flambé dés l’ouverture des marchés : à l’échelle de l’UE, la hausse générale des prix de l’énergie a été, entre 2005 et 2007, de 18 % pour le gaz domestique et de 14 % pour l’électricité. En France, comme c’est désormais l’entreprise GDF-SUEZ qui fixe les tarifs du gaz, et que pour elle l’objectif est de satisfaire ses actionnaires en augmentant ses marges bénéficiaires (4,5 milliards d’euros en 2009), le prix du gaz s’est envolé de 51,8 % depuis 2004 !

En ce qui concerne l’électricité, malgré les mesures déjà prises pour affaiblir EDF et démanteler cet élément essentiel de notre indépendance énergétique et de notre patrimoine industriel, le gouvernement a un problème : ce service public est tellement performant que ses tarifs, trop bas, nuisent à la concurrence ! Les grandes sociétés internationales de distribution d’électricité ont bien eu l’opportunité d’envahir notre marché, mais elles n’ont pas réussi à convaincre plus de 4 % des usagers d’EDF de changer de fournisseur ! Malgré des campagnes médiatiques de séduction, promettant d’importantes baisses de prix à ceux qui abandonneraient “l’opérateur historique”, malgré un racolage souvent indécent et des procédés de vente pas toujours très honnêtes, les concurrents ne sont pas venus à bout de la résistance des abonnés à EDF. Il est vrai que le coût du KWh domestique en France n’est que de 0,115 euro (tarif réglementé EDF calculé sur la base des coûts de production, transport et distribution), alors qu’il est de 0,209 euro en Allemagne !

Il est donc manifeste que c’est 96 % des usagers d’EDF qui ont fait le choix des tarifs réglementés du service public. Mais nos ministres, qui répètent constamment que les “réformes“ qu’ils mettent en œuvre sont voulues par les Français, font semblant d’ignorer ce chiffre éloquent. N’y allant pas par quatre chemins, ils ont fait voter en première lecture, à la mi-juin 2010, par les parlementaires, une loi appelée NOME (nouvelle organisation du marché de l’électricité).

En regardant de près cette loi, on peut juger à quel point ces parlementaires se sont montrés peu soucieux du bien public et de l’intérêt des familles. Car EDF sera tenue de céder à ses concurrents, à prix coûtant, jusqu’à 1.000 millions de KWh par an, soit 25 % de sa production. Dans de telles conditions de « concurrence libre et non faussée », on comprend que les concurrents d’EDF (comme GDF-Suez, Poweo ou Direct Energie) ont maintenant en vue le changement de fournisseur de près du tiers des ménages français, soit environ 10 millions de sites ! Disposant à bas prix de l’électricité produite par EDF, ils pourront faire des offres à des prix bien inférieurs à ceux qu’ils pratiquent actuellement. Il s’agit donc bien du pillage légalement organisé d’un bien public qui a été financé par le peuple de France, au profit de la concurrence privée internationale.

Cette loi prévoit aussi une réforme de l’organisation de la Commission de Régulation de l’énergie. C’est elle qui fixera désormais les prix en intégrant une référence au prix du marché, ce qui lui permettra d’aligner progressivement les tarifs sur ce prix, bien plus élevé. Les Français en sentiront très rapidement les conséquences à travers leur porte-monnaie.

Ce sera le résultat de la destruction progressive du service public qui continuera à supporter la charge des investissements productifs tandis que les gros actionnaires des concurrents privés se partageront les profits.


[1NDLR Ce qui entraînait aussi d’énormes complications, inévitables quand chaque entreprise ne se soucie que de ses intérêts propres : personne n’assume la responsabilité du bon fonctionnement de l’ensemble, même si les difficultés apparaissent plus évidentes lors de grandes catastrophes …

[2Comme le montre Le choix de la défaite, d’Annie Lacroix-Riz, éd. Armand Colin, 2007. Voir aussi ses articles dans GR 1104 et GR 1107.

[3Citation issue de ce programme, republié récemment sous le titre Les jours heureux, éd La Découverte, 2010.

[4Lire La résistance des Français à Buchenwald et Dora, de Pierre Durand, éd. Le temps des cerises, 2008 et sur internet : http://www.Buchenwald-dora.fr/1lecampdebuch/historique/12resistanceclandestine.htm


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